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Classement des lycées, mythes et réalités

L'analyse de Jean-Paul Brighelli


Classement des lycées, mythes et réalités
Le Lycée Franco-Allemand de Buc (Yvelines), 3e au classement des lycées du Figaro, et 1er parmi les établissements publics. Image : Google maps.

Parents qui vous souciez présentement de l’établissement dans lequel passera en Seconde MonChéri-MonCœur, pupille de vos yeux, écoutez bien…


Il est revenu, le temps du muguet et du classement des meilleurs lycées. Le Figaro a ouvert le feu dans son édition du 18 mars, classant d’un côté « les meilleurs lycées de France » (aucune surprise, le privé représente 85% de ces établissements), et de l’autre les meilleurs lycées publics : aucune surprise, le lycée franco-allemand de Buc et le lycée Henri-IV caracolent en tête.

Il est à craindre que le parent pressé en reste là, sans lire les commentaires de Sophie de Tarlé. La journaliste explique que le privé jouit d’un statut exceptionnel: l’établissement recrute qui il veut, et si un élève se montre peu travailleur ou indiscipliné, on le vire, la liste d’attente est si longue qu’il sera remplacé dans l’instant. Et contrairement au public, le privé n’a aucune obligation de recaser le mauvais sujet.

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Quant aux « grands » lycées publics parisiens, ils bénéficient d’un régime d’exception qui leur permet de recruter hors Affelnet (le système d’affectation du collège au lycée — je vais y revenir), sur toute l’Île-de-France, voire sur toute la France: en sélectionnant a priori les meilleurs, inutile de s’émerveiller si 100% d’élèves ont le Bac avec mention. Si vous constituez une équipe avec les meilleurs joueurs de l’Hexagone, cela s’appelle l’équipe de France, et elle doit raisonnablement enfoncer Canet-en-Roussillon (qui a eu bien du plaisir à éliminer l’OM récemment).

Des lycées méritants non cités dans les classements

D’où le mérite de lycées installés dans des zones défavorisées, réalisant des performances bien meilleures que des établissements réputés. Le lycée Pierre-Gilles-de-Gennes, à Digne-les-Bains, est au 17ème rang français — juste derrière le lycée Charlemagne, que les parents parisiens se disputent l’arme au poing. Le lycée Thiers, à Marseille, sis dans le Ier arrondissement, l’un des plus pauvres de la ville, donc de France, est au 23ème rang national, bien avant le très chic lycée La Fontaine (Paris XVIe) ou le lycée du Parc à Lyon. L’un et l’autre montent dans les classements grâce à une « valeur ajoutée sur le taux de mentions » (la différence entre ce qui pouvait être attendu et la réalité de l’examen) impressionnante.

Pour les lycées « standard », c’est plus compliqué, et c’est là que le classement pêche. Un voyou multi-récidiviste ne peut pas être viré sans qu’on lui trouve un autre établissement. Les pires mauvais sujets tournent ainsi de bahut en bahut, chacun se refilant le bâton merdeux, si vous me passez l’expression. Ou bien on crée quelque part une section STMG, qui en Première héritera des élèves d’autres lycées incapables de suivre en section générale. Les résultats des uns en pâtiront, ceux des autres s’amélioreront par magie. Que savent les parents de ces petits arrangements avec l’égalité républicaine?

97,6% de réussite au Bac. Tout le monde devrait avoir compris que ce n’est plus au lycée que ça se joue, mais après

Alors, parents qui vous souciez présentement de l’établissement dans lequel passera en Seconde MonChéri-MonCœur, pupille de vos yeux, écoutez bien.

Il n’y a aucune différence au niveau des enseignants entre deux établissements. À peine peut-on noter que les enseignants débutants ont une première mutation dans les aires géographiques les plus déshéritées. Cela ne signifie pas qu’ils soient mauvais, des enseignants chevronnés, mais las, se laissent parfois aller à des routines peu stimulantes. Pire: les lycées privés recrutent, sur la base de concours spécifiques notoirement moins exigeants que ceux du public, des profs moins bien payés. Et les salaires du public en France étant les plus bas d’Europe, cela donne une idée.

Christophe Kerrero s’attaque aux « ghettos de riches »

D’ailleurs, privé et public peinent également à recruter. Ce qui signifie que les heureux titulaires ne sont pas forcément la crème de la crème — si vous prenez en compte le fait qu’un étudiant doué en maths fera dans l’industrie ou la finance des carrières cent fois plus rémunératrices que dans l’enseignement, auquel ne restent que les bras cassés ou les masochistes — et quelques cinglés dans mon genre habités par une vocation.

Ce qui fait la différence entre deux lycées, ce sont les élèves. Encore que l’on puisse se demander, quand on a interrogé au niveau Bac, si cette supériorité n’est pas en grande partie une légende. Entrer à l’Ecole alsacienne ne signifie pas que vous appartenez à l’élite pédagogique, mais que vous soignez votre carnet d’adresses dès l’âge de 12 ans —et que vous avez les moyens de débourser peu ou prou 5000 € dans l’année. Et là se révèle le caractère oligarchique du système. Ce ne sont pas les meilleurs que les meilleurs établissements recrutent, mais les enfants des parents qui ont le plus d’entregent. Des milliers de demandes de dérogations arrivent chaque année au rectorat de Paris — qui, excédé, a choisi cette année une nouvelle distribution des élèves, du collège au lycée, afin de ventiler davantage sur plus d’établissements.

Comme c’est curieux, comme c’est étrange, et quelle coïncidence ! Un recteur macroniste, Christophe Kerrero, ancien Directeur de Cabinet de Blanquer, met au point un système plus juste, basé sur l’Indice de Position Sociale, un indicateur basé sur les professions des parents, qui permettra un peu plus de mixité scolaire. Au lieu de pérenniser les ghettos de riches, il suggère aux parents d’accepter l’installation de leur enfant dans un lycée moins prestigieux (voir ci-dessus le caractère biaisé du terme), mais présentant à terme des caractéristiques tout aussi séduisantes. La réforme vise à diminuer le poids des « lycées de niveau » en revalorisant des établissements boudés par les familles.

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Il fallait s’y attendre : les parents d’élèves du public, tous bobos de pure souche, se sont divisés sur le sujet, les uns craignant que MonChéri-MonCœur n’aille pas à Charlemagne (voir ci-dessus), ou y rencontrent des petits pauvres, les autres comprenant — parce qu’ils ne sont quand même pas tous idiots — que la mixité sociale est en fait une valeur ajoutée qui sera profitable à la pupille de leurs yeux.

Ce n’est plus au lycée que ça se joue

Que des parents veuillent le meilleur pour leur enfant, c’est normal. Mais qu’ils finissent obnubilés par des classements qui ne signifient pas grand chose, préférant la réputation, aussi usurpée soit-elle, à des pédagogies stimulantes et un encadrement compétent…

D’autant qu’à l’arrivée, les uns et les autres auront le Bac — il faut faire une demande spéciale pour le rater, en ce moment: 97,6% de réussite l’année dernière au Bac général, et 2021 sera une cuvée encore plus gouleyante. Tout le monde devrait avoir compris que ce n’est plus au lycée que ça se joue, mais après. Et nombre de filières d’exception, dans le Supérieur, refusent désormais de s’obnubiler sur l’établissement d’origine des candidats, préférant examiner les résultats du contrôle continu ou les motivations des futurs étudiants.

Alors autant que les parents s’évitent l’infarctus fatal lorsque la lumière de leurs yeux sera versée au lycée international de l’Est parisien, à Noisy-le-Grand, banlieue suspecte s’il en est, et non à Chaptal — bien plus loin pourtant dans les classements.



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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