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Cher et regretté bac de français

Déclaration passionnée pour une épreuve négligée


Cher et regretté bac de français
Diplôme du Bac (c) ALLILI MOURAD/SIPA/2006251520

Alors que le bac de français a été annulé cette année, Laurence Cadet, professeur de français, tient à lui déclarer sa flamme. Cette regrettable disparition, motivée par des angoisses sanitaires, est en fait loin d’être anodine…


Cher et regretté bac de français,

Je ne sais pas si tu comptes encore beaucoup de défenseurs en notre République covidée mais je chante pour toi l’élégie de ta disparition.

Il paraît que tu n’étais là que pour semer le trouble et l’inquiétude dans les esprits : parents, élèves, professeurs, pas un qui n’échappait à tes assauts, tout tremblant de stupeur et d’effarement !

Quoi ! Nous allons maintenir cet improbable despote, ce fanal des austères humanités alors que le pays est confiné, les élèves renvoyés dans leurs pénates et leurs enseignants assignés à résidence ?

Les parents hurlaient : qu’on leur donne leur bac sans risque sanitaire ! Les élèves réclamaient : droit au bac comme nos aînés par contrôle continu et les enseignants suppliaient leur ministre : revenez sur votre décision ! Cette épreuve est une injustice sociale ! Bourdieu renaissait: c’est le milieu social et non l’élève que nous allons évaluer !

On peut dire qu’ils ont été nombreux à vouloir ta peau et tenaces et efficaces.

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Et pourtant, jamais nous n’avions eu tant besoin de toi en ces temps confinés. Nous redécouvrions ce qu’Hugo peut nous dire du présent quand il écrit que le travail qui se développe sous l’effet de l’industrialisation : « produit la richesse en créant la misère » et qu’il « prend l’âge tendre en sa serre », qu’il « se sert d’un enfant ainsi que d’un outil ». Ce n’était pas bien difficile de comprendre que notre société n’avait fait que déplacer le problème social au reste du monde et qu’il faudrait toujours, quelque part dans le monde, des petites mains naïves et dociles pour continuer à fabriquer de la croissance.

Et pourtant nos cours à distance sur des serveurs pas toujours efficaces avaient quelque chose d’insolite et d’étonnant. Le prof devenait clavier et les élèves frappaient leurs réponses, la salle de classe avait la dimension d’un petit écran mais nous formions un réseau d’un genre nouveau. Nous n’avions ni produits à placer ni profils à enregistrer, juste quelque chose de bien désuet qu’on appelle le savoir, juste cet objet- là au bout de nos doigts qui ne se décourageaient pas, même s’il nous arrivait souvent d’être déconnectés.

Et pourtant, je pensais qu’après les soignants qui avaient tant donné pour essayer de sauver des vies, les enseignants répondraient tous présents pour élever la jeunesse de France. Car « chaque enfant qu’on élève est un homme qu’on gagne » et que le sang des hussards noirs de la République battrait encore suffisamment fort pour évaluer le mérite de ceux qui n’avaient pas renoncé à « frotter leur cervelle» contre celle de Montaigne, Beaumarchais, Molière, Racine ou Hugo.

Hélas, cher et regretté bac de français, les peurs sanitaires, les doxas idéologiques et le défaitisme auront eu raison de toi !

L’été s’annonce, les robes s’envoleront le long des terrasses, des jeunes gens éclateront de rire à ton évocation.

Nous t’enterrons tous avec soulagement comme l’on fait d’un malade trop âgé jugé inutile.



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