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Explosion de la rue de Trévise: les victimes attendent toujours

La mairie de Paris épuise les sinistrés


Explosion de la rue de Trévise: les victimes attendent toujours
Les pompiers interviennent à l'angle des rues Sainte-Cécile et de Trévise, 9e arrondissement de Paris, 12 janvier 2019 © Thomas SAMSON / AFP

La municipalité affecte l’empathie, mais, de crainte de voir sa responsabilité juridique engagée, elle a toujours refusé de signer l’accord-cadre qui permettrait l’indemnisation des victimes du terrible accident survenu le 12 janvier 2019. Pour pallier l’impéritie de l’équipe d’Anne Hidalgo, Matignon et le ministère de la Justice ont désigné le 16 novembre 2021 deux coordinateurs – un gendarme et un magistrat – qualifiés de « tiers de confiance » pour prendre la tête du fonds d’indemnisation. 


Le 12 janvier 2019 à 8 h 59, une très violente explosion de gaz survient au 6 rue de Trévise, dans le 9e arrondissement de Paris. Elle détruit un hôtel, une boulangerie, saccage des immeubles et fait quatre morts dont deux pompiers, 66 blessés et quelque 400 sinistrés. La gravité de l’incident est telle qu’il fallut 200 pompiers pour en venir à bout. Des masses de poussières, de débris carbonisés et de verres brisés jonchent partout le sol et saturent l’espace. Des voitures sont retournées, tandis que des personnes en pleurs, hagardes et maculées de sang, déambulent dans les alentours. Pour indiquer la mesure de la détonation, rappelons qu’elle a été entendue ce jour-là à plusieurs kilomètres à la ronde. 

Aujourd’hui, l’immeuble fragilisé par l’explosion demeure inhabitable et ses façades portent toujours les stigmates de l’incendie. La zone, entourée de barricades, reste en chantier. Trois ans après ce cataclysme, devant ce qui ressemble apparemment à de l’immobilisme, il est urgent de faire le point sur l’enquête diligentée par le procureur de la République de Paris. Il est également nécessaire d’examiner la situation des victimes pour savoir ce qu’il en est de leur prise en charge effective. 

L’enquête et les expertises

Au lendemain de la catastrophe, trois juges d’instruction ont été désignés, lesquels ont demandé à des experts de bien vouloir leur indiquer, sur le plan technique, l’origine de ce sinistre. Très vite, un premier rapport d’enquête a révélé que l’explosion était due à la « rupture d’une canalisation de gaz ». Cependant, après des investigations plus approfondies, il est apparu que de 2015 à 2017 d’innombrables mètres cubes d’eau provenant du collecteur des eaux usées s’étaient déversés sans discontinuer. Cette importante fuite a eu pour conséquence de décompacter le sol, provoquant l’affaissement du trottoir et la détérioration de la conduite de gaz. Celle-ci a fini par se rompre environ deux heures avant qu’une étincelle ne provoque la déflagration. 

Les conclusions de l’expertise judiciaire ont donc souligné de graves « manquements » du service de voirie (responsable de la canalisation des eaux usées), sans incriminer pour autant la filiale d’Engie, GRDF (responsable de la canalisation de gaz). Adoptant ce qui semblerait être une stratégie systématiquement dilatoire, la Ville de Paris a demandé alors une contre-expertise judiciaire, avec pour objectif de contredire le rapport d’experts rendu en mai 2020. Cette étape procédurale a été cruciale, car elle a mis un terme définitif aux réunions que l’équipe d’Anne Hidalgo avait organisées auparavant avec des blessés et des familles sinistrées. À partir du moment où le rapport d’expert a été définitivement adopté par les juges, les victimes n’ont plus vu d’intérêt à participer aux manœuvres destinées avant tout à minimiser l’implication de la municipalité dans l’accident. 

La procédure a finalement abouti, les 8 et 11 septembre 2020, à la mise en examen de la municipalité et du syndic de l’immeuble qui avait fait procéder trop tardivement à la réparation de la fuite d’eau, origine première du drame. Tous deux sont donc mis en examen pour « homicides et blessures involontaires » ainsi que pour « destruction, dégradation ou détérioration par l’effet d’une explosion ou d’un incendie », ce qui devrait normalement les renvoyer devant un tribunal correctionnel dans un avenir plus ou moins proche. En revanche, les juges n’ont finalement pas retenu la responsabilité de l’entreprise Fayolle, chargée en novembre 2016 d’effectuer des travaux sur la chaussée. Cette entreprise de BTP a été simplement placée sous le statut intermédiaire de témoin assisté.

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Pour Maître Olivier Morice, avocat de plusieurs familles de victimes, cela démontre « qu’il y a des éléments à charge extrêmement importants contre la Ville de Paris ». Ce que les magistrats instructeurs reprochent à cette dernière c’est une négligence coupable, une absence de précautions et d’anticipation, à savoir qu’à aucun moment elle n’a recherché les causes d’un affaissement réitéré du trottoir situé devant l’immeuble, ses services se contentant à cinq reprises (cinq !) de réajuster superficiellement le niveau du bitume. Or, il aurait fallu au contraire s’inquiéter de cette instabilité du sol qui perdurait malgré ces interventions renouvelées. Il aurait fallu y remédier de manière définitive en entreprenant une exploration minutieuse. 

Pourtant, craignant d’être condamnée, la Ville de Paris a rejeté ces accusations, par la voix de son avocate Sabrina Goldman qui a déclaré : « Les juges reprennent les conclusions des experts, que nous contestons fondamentalement ». Les magistrats ont désormais bouclé leur instruction, ce qui peut paraître étonnant. En effet, comme ils ont refusé la première demande de contre-expertise, la Ville a fait appel et l’audience est prévue le 26 janvier. Elle espère ainsi que la chambre de l’instruction acceptera, d’ici à quelques mois, un nouveau groupe d’experts pour examiner le dossier. D’autant que les expertises réalisées dans le cadre civil, et non pénal, aboutissent à des résultats différents. Pour sa part, le syndic a déposé de son côté une requête tendant à l’annulation de l’expertise pénale désignant la fuite d’eau de cause primaire et constatant ainsi sa propre part de responsabilité.

Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo – et par ailleurs directeur de campagne de la candidate à l’élection présidentielle – a toutefois osé affirmer le 5 octobre 2021 à l’AFP que « si quelqu’un a traîné pour mettre en place l’accord-cadre, ce n’est pas la Ville ». Mais que pensent les victimes de ce type de propos ? Comment appréhendent-ils cette stratégie flagrante de procrastination, eux qui n’ont, à ce jour, toujours pas vu leur préjudice pris en charge ni même en considération, eux qui n’ont encore perçu aucune indemnisation émanant de la Ville ?

Le désarroi des victimes

Toutes considèrent que c’est bel et bien la Ville de Paris qui est responsable pour le retard et qu’elle devrait assumer aujourd’hui, enfin, ses responsabilités sans plus attendre ni tergiverser. Elle s’honorerait en présentant, aux blessés comme aux sinistrés, des propositions concrètes et rapides. 

En fait, les édiles municipaux ont longtemps craint que le versement de la moindre aide financière vaille reconnaissance de responsabilité avant même la tenue du procès. Ainsi, le 5 novembre 2021 (!), dans une lettre adressée au Premier ministre, madame le maire Anne Hidalgo se disait-elle « favorable à une participation financière de la collectivité », à condition que cela n’apparaisse pas « comme une reconnaissance juridique de responsabilité ». Ses services ont par conséquent attendu d’obtenir de solides garanties de la part de la DIAV (Délégation Interministérielle à l’Aide aux Victimes), pour laquelle, cela « ne valait pas […] responsabilité », déclaration confirmée ensuite par Matignon. Enfin, le ministère de la Justice, a, lui aussi, clairement affirmé que « la conclusion d’un accord-cadre n’impliquait pas de reconnaissance préalable de responsabilité » pour la ville de Paris.

Ce n’est que le 13 septembre dernier que la municipalité allait débloquer 20 millions d’euros pour alimenter le fonds d’indemnisation, une enveloppe qui pourrait être éventuellement augmentée. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant d’opter pour cette procédure administrative permettant la déconnexion de l’indemnisation des victimes du processus juridique ? Et pourquoi d’ailleurs insister sur une telle déconnexion, laissant entretemps les sinistrés sans réponse ?

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Pour autant, même cet accord-cadre d’indemnisation tardif n’a toujours pas été signé à ce jour par la mairie de Paris… Il semble même qu’il ne le sera pas avant la date anniversaire du drame, le 12 janvier prochain. Les associations de victimes dénoncent en l’occurrence le double langage d’Anne Hidalgo. Elles lui reprochent la multiplication de réunions dilatoires à seule fin de bloquer délibérément la situation pour mieux pouvoir se défausser. Finalement, elles déplorent ses atermoiements et son refus d’agir occulté par diverses arguties. Bref, elles l’accusent de jouer la montre. Pour sa part, Anne Hidalgo affecte l’empathie et déclare au contraire sur la chaîne BFMTV que ce report hautement préjudiciable ne saurait en aucun cas lui être imputé. Pourtant, il est clair qu’un tel dispositif adopté dès les lendemains de la catastrophe aurait permis à chacun d’être entièrement indemnisé avant même la tenue d’un procès. Un processus nécessaire, voire indispensable, car l’on sait par ailleurs que les assurances tardent souvent à débloquer leurs fonds lorsqu’elles ne décident pas parfois de s’engager purement et simplement dans une guérilla interminable afin de contester leurs obligations. 

C’est pourquoi les victimes apparaissent aujourd’hui rongées par l’incertitude et épuisées par une attente insoutenable quant à leurs demandes de relogement ou leur indemnisation. Elles sont plus encore usées par un long parcours procédural semé d’embûches administratives et d’absurdités bureaucratiques. Comme dans un cauchemar, elles ont le sentiment de parcourir un tunnel sans fin, tandis qu’on les gratifie de promesses illusoires. Tous, aussi bien les blessés que les sinistrés, se disent désespérés et abandonnés par la Ville de Paris. Leur situation très précaire, due à l’imbroglio des indemnisations, apparaît d’autant plus préoccupante que leur préjudice n’est toujours pas reconnu en tant que tel. Cela signifie par exemple que les personnes grièvement blessées et lourdement mutilées doivent faire face à des soins coûteux dont la Sécurité sociale n’assume qu’une partie.

Pour pallier l’impéritie de l’équipe d’Anne Hidalgo, Matignon et le ministère de la Justice ont désigné le 16 novembre 2021 deux coordinateurs – un gendarme et un magistrat – qualifiés de « tiers de confiance » pour prendre la tête du fonds d’indemnisation. Il s’agira pour eux d’évaluer, avec les experts et les assureurs, le montant auquel auront droit des victimes comme Inès, Angela, Ameroche, Amor, pour ne citer que quelques noms parmi bien d’autres ; des personnes souvent très jeunes qui ont vu leur avenir brisé. Handicapées à vie, elles ont dû, pour certaines d’entre elles, telles Inès, subir plus de quarante interventions chirurgicales, sans même évoquer leur préjudice moral. Cette jeune femme de 25 ans a déclaré le 14 octobre dernier à la presse : « Personne ne m’entend, personne ne veut m’aider, je regrette de ne pas être morte ». Pourtant, elle mène depuis quelques mois un combat emblématique, à tous égards, car il vaut pour chacun. Elle a en effet, créé sur Twitter : « Anne hidalgo, c’est moi Ines » (@Instrevise). Ce compte est destiné à interpeller Anne Hidalgo afin qu’elle signe enfin l’accord-cadre qui seul permettrait une indemnisation rapide, totale et définitive de toutes les victimes de la catastrophe.

On l’aura compris, il y a plus que jamais urgence à agir pour prendre enfin sérieusement en charge le sort de ces êtres en souffrance. Le traitement de ce dossier est certes humain, juridique, mais il est aussi bien sûr politique comme l’activisme de l’opposition autour de cette affaire le démontre. En fait, la gestion calamiteuse de ce contentieux vient rejoindre bien d’autres griefs quant à la gouvernance de Paris. La candidate PS à l’élection présidentielle – créditée de 2 à 3% dans les sondages – Madame le maire de Paris, Anne Hidalgo, voit donc à nouveau sa crédibilité lourdement entachée.



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Josepha Laroche est professeur de science politique à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages en relations internationales. Elle vient de faire paraître aux éditions Vérone une trilogie consacrée à Freud ("Freud à Paris", "Freud 1917" et "Freud 1918-1939. La détresse d’une époque").

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