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Etats-Unis: une économie bipolaire


Etats-Unis: une économie bipolaire
Image: Soleil.
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Comment va l’économie américaine ? Aussi bien que possible si l’on en croit les chiffres des créations d’emplois par les entreprises, constamment favorables. Médiocrement au mieux si l’on se fie aux chiffres du PIB qui tombent depuis quatre trimestres, à peu près égaux à ceux de la zone euro. Les analystes économiques qui s’expriment par centaines sur le sujet affichent de moins en moins de certitudes, leurs schémas ne correspondant plus à la réalité nouvelle. Le tableau statistique de l’économie américaine présente une anomalie pour leurs cadres de pensée. À moins d’erreurs dans la collecte des données qui sont peu vraisemblables : ces données, mensuelles pour les créations d’emplois, trimestrielles pour le PIB, sont régulièrement corrigées et affinées.

Force de l’emploi, faiblesse de l’investissement

C’est le domaine où le paysage s’avère le plus riant. Après avoir détruit près de 9 millions d’emplois durant la « grande récession », les entreprises en ont recréé plus de 13 millions, profitant de l’appétit retrouvé des consommateurs locaux, de la reprise progressive du secteur de la construction, sinistré par la crise hypothécaire, et de l’essor de la production de gaz et de pétrole de schiste. Les créations d’emplois, presque toujours supérieures à 200 000 par mois, escortaient la montée en puissance du PIB, située bon an mal an entre 2 et 2,5 %. Après une période de convalescence, l’économie américaine semblait installée sur une trajectoire favorable de croissance, certes inférieure à celles du boom des nouvelles technologies, dans les années 1990, et du boom de la construction dans les années 2000, mais satisfaisante pour l’esprit.

Mais les trajectoires de l’emploi et du PIB divergent franchement depuis l’automne dernier. L’évolution de la croissance dément les spécialistes de la macroéconomie qui, au vu des créations d’emplois, anticipent, mois après mois, une accélération selon un cercle vertueux : plus d’emplois, plus de consommation, plus d’investissement, donc plus de production totale. Pourquoi la mécanique ne fonctionne-t-elle pas comme elle le devrait ?[access capability= »lire_inedits »]

Certains analystes, un peu plus scrupuleux que la moyenne, dénotent la faiblesse de l’investissement qui se situe à un niveau particulièrement médiocre, au-dessous de 10 % du PIB. Faiblesse que certains attribuent à l’impact de la remontée du dollar qui découragerait les investissements orientés vers l’export, que d’autres expliquent par la chute du prix du pétrole et des matières premières, comme le cuivre, que les États-Unis produisent à grande échelle. Le second argument est recevable, les compagnies minières et pétrolières ayant taillé dans leurs dépenses pour ne pas tomber dans le rouge, mais pas le premier : la parité actuelle du dollar n’entrave pas les exportations de Boeing, de Lockheed, des fabricants d’armes et de bien d’autres grands groupes.

Néanmoins, il est vrai que la faiblesse de l’investissement retentit sur la croissance. Avec ce résultat non désiré : sans l’augmentation régulière de la consommation, la croissance serait devenue nulle ou négative depuis un an. Et, de ce fait, la part de la consommation dans la production totale, l’une des plus élevées du monde, a encore progressé : elle se situe désormais au-delà de 70 %. Le recalibrage de l’économie américaine, vers plus d’investissement et d’exportations, n’est pas à l’horizon.

Mais comme la faiblesse de l’investissement devrait retentir aussi sur l’emploi, le mystère demeure entier. Comment expliquer la constante bonne tenue de l’emploi ?

La productivité en jachère

La clé du mystère nous est fournie par la productivité qui stagne ou décroît dans l’économie qui est à ce jour la plus productive du monde. Les chiffres révèlent trois reculs trimestriels consécutifs qui plongent dans la perplexité la tribu des économistes, à commencer par ceux qui officient au FMI. L’économie américaine crée d’autant plus d’emplois que sa productivité globale a, à tout le moins, cessé de progresser. L’affaire est entendue.

Mais pourquoi cette évolution inattendue ? Comment peut-on imaginer la baisse de la productivité dans un système pleinement concurrentiel ? Sachant que toutes les entreprises industrielles telles que Boeing, Ford et leurs fournisseurs réalisent, trimestre après trimestre, de nouveaux gains de productivité, sachant que Walmart ou Amazon font « suer le burnous », le mystère, à peine éclairci, s’épaissit à nouveau.

Un dernier effort de compréhension s’impose. On peut sommairement découper l’économie en deux secteurs, un secteur à forte productivité, constamment croissante, et un secteur à plus faible productivité. Il suffit que l’emploi stagne ou régresse dans le premier secteur et qu’il progresse dans le second pour que la productivité globale s’en ressente. L’économie américaine connaît un épisode de ce type : la banque et l’exploitation minière, voire l’industrie, suppriment des emplois, tandis que la manutention, l’entretien ou les parcs d’attractions en créent. Les économistes qui ont voix au chapitre médiatique oublient de procéder aux analyses plus fines qui éclaireraient enfin la lanterne des médias, des politiques et du public.

Trump et Clinton au défi de la nouvelle donne

La conjoncture donne du grain à moudre aux candidats à la présidentielle américaine et à leurs états-majors. Avec une question prioritaire : comment stimuler la croissance et relever durablement les gains de productivité tout en conservant un rythme appréciable de création d’emplois ?

Chacun d’entre eux nous a donné l’esquisse de l’esquisse de la solution. Trump entend relocaliser les activités industrielles fortement productives qui se sont enfuies vers la Chine ou le Mexique. Clinton parie sur la capacité d’innovation toujours renouvelée des Américains. Accordons-leur qu’ils ont raison sur le fond l’un et l’autre. Il manque encore deux réponses complémentaires. Trump devrait expliquer comment la réindustrialisation nécessaire pourra créer des emplois en nombre au moment où entre en scène le robot. Et Clinton, comment elle s’y prendrait pour que les innovations américaines soient réalisées sur le sol américain ![/access]

Septembre 2016 - #38

Article extrait du Magazine Causeur



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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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