Accueil Édition Abonné La fin du monde commence à Venise

La fin du monde commence à Venise

Visite à la Biennale du vivre-ensemble


La fin du monde commence à Venise
La journaliste Elisabeth Lévy © Pierre Olivier

L’éditorial de l’été d’Élisabeth Lévy


Pas question de passer pour une plouc. Déjà que j’étais partie à Venise fêter la libération, aveu d’un goût suspect pour les vieilleries. Il faut dire que c’était peut-être l’ultime chance de voir la Sérénissime sans grappes humaines en shorts et claquettes débarquées de leurs immeubles flottants.

Élisabeth Lévy au pavillon allemand, à la Biennale d’architecture de Venise, 2021 © D.R.

Sur les instances de mon camarade de voyage, un homme de goût pour qui la vraie vie s’est arrêtée autour de 1860, j’ai donc accepté de délaisser les peintres du passé pour faire un tour dans les Giardini où se tient la Biennale d’architecture. Le thème choisi cette année, « Comment vivrons-nous ensemble ? », aurait dû nous alerter mais après tout, la question est légitime alors que le multiculturalisme rampant ou flamboyant est partout synonyme de choc des civilisations à plus ou moins bas bruit.

Un « vivre-ensemble » qui n’existe plus que dans le cervelet des journalistes de gauche

Sans surprise, la réponse donnée par la Biennale se résume à une propagande Benetton-Bisounours célébrant un « vivre-ensemble » qui n’existe plus que dans le cervelet des journalistes de gauche. D’installation en proposition, sans oublier les inévitables « gestes », le visiteur doit comprendre que demain, délivrés des populistes et autres réacs, tous les hommes de bonne volonté se donneront la main dans l’amour et la fraternité.

À lire aussi, l’édito de juin: Quand Maÿlis dégrafait son corsage

Nous commençons par le pavillon français. Sous l’inscription « Francia » qui orne la façade néoclassique sont juxtaposées deux grandes reproductions. En bas, un tableau du xviiie siècle, dont le dossier de presse ne se donne pas la peine de fournir le pedigree mais dont Jonathan Siksou m’apprend qu’il s’agit de Monde nouveau, peint par Tiepolo en 1791. Une foule de Vénitiens en habit de carnaval assiste au départ de bateaux vers l’inconnu. En haut, une photo montre encore une foule, mais composée de villageois africains d’aujourd’hui, rassemblés autour d’un bâtiment qui ressemble à une roulotte. Pas besoin de légende : nous étions des Occidentaux étriqués, nous sommes devenus des citoyens du monde (à moins que l’Afrique figure ici une scène originelle à laquelle nous reviendrions enfin après des siècles d’errance).

Le pavillon français, à la Biennale d’architecture de Venise, 2021 © D.R.

À l’intérieur, le travail de Christophe Hutin, intitulé « Les communautés à l’œuvre », entend montrer « comment les habitants rendent l’architecture meilleure ». C’est bien ce qui saute aux yeux de quiconque se rend par exemple à la Grande Borne à Grigny. Sont exposées des photographies de grands ensembles, du genre cités HLM, situés à Soweto, Hanoï, Detroit et Mérignac, ce dernier cas semblant être une concession à l’esprit de clocher du cochon de contribuable qui finance cette daube. Si certaines réalisations présentent un intérêt architectural, il est effacé par l’idéologie qui irrigue l’ensemble. En sortant, on réalise que l’écrasante majorité des humains montrés dans ce pavillon français sont africains, asiatiques, arabes. Traduction : nous sommes tous des immigrés – ou allons le devenir. C’est beau comme du France Inter.

La Réaction n’a pas complètement désarmé

Juste à côté, le pavillon allemand mérite le détour. Il n’y a rien à voir, sinon des QR codes peints sur les murs qu’il faut flasher avec son téléphone. Faut-il comprendre que la culture allemande n’est plus qu’un contenant vide que chacun peut remplir à sa sauce ?

Cependant, la Réaction n’a pas complètement désarmé, on la retrouve au pavillon belge où sont exposées, je vous le donne en mille, de nombreuses maquettes de bâtiments. Montrer de vulgaires bâtiments dans une biennale d’architecture, c’est un aveu de ringardisme. Ou une audace folle.

Nous oscillons entre accablement et hilarité. Des siècles de génie humain pour en arriver là. Soyons juste, alors que nous avons l’impression d’être plongés dans un film sur la décadence de l’humanité en général et de l’Occident en particulier, nous avons peut-être raté de vraies pépites. Pour finir, j’aggrave mon cas avec une remarque lancée devant le pavillon japonais, entouré de gravats et d’échafaudages : « Ils auraient pu trouver un autre moment pour faire des travaux. ». Vous qui êtes branchés avez compris : ce faux chantier est une vraie œuvre. Et moi une vraie plouc.

Été 2021 – Causeur #92

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Afrique du Sud: la fin de la nation arc-en-ciel ?
Article suivant Lettre ouverte d’un « triste clown » à un mandarin mal élevé
Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération