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Les régions et l’Europe contre l’Etat-nation


Les régions et l’Europe contre l’Etat-nation
Réunion des nationalistes corses et indépendantistes, Corte. Sipa. Numéro de reportage : 00404189_000014.

D’abord l’Écosse, puis la Catalogne, aujourd’hui la Lombardie et la Vénétie, peut-être demain la Corse. Tous les grands pays européens semblent aujourd’hui sous la menace de régionalismes conduisant à des revendications autonomistes voire indépendantistes. Face au risque de démembrement des grands États du Vieux Continent, il s’agit de comprendre les dynamiques qui engendrent ces poussées sécessionnistes. La remise en cause des fondements des grands États-nations a en effet conduit à une situation quasi-anomique de perte de repères et de frustration galopante.

Les nations prises en étau

Premièrement, il convient de constater, non sans dépit, que les grands pays européens sont aujourd’hui pris en étau entre l’internationalisme forcené imposé par l’Union Européenne, et les forces centrifuges qui en résultent partiellement. En effet, avant l’apparition de l’UE, même si une région était plus riche que les autres au sein d’un grand État, elle récupérait d’énormes bénéfices indirects grâce à l’accès à un plus grand marché intérieur pour ses entreprises, d’économies d’échelle sur l’administration, ou encore d’une plus puissante défense nationale. Avec l’UE en revanche, le marché unique et la pax europeana signifient que tous ces bénéfices indirects découlent désormais directement de l’appartenance à l’Union (comme les Britanniques sont en train de l’apprendre à leurs dépens).

Reste alors le déséquilibre budgétaire entre contributions à l’État central et prestations reçues en retour, que les gouvernants des régions riches ne se privent pas de calculer tels des apothicaires. Des apothicaires dont l’ego les prête à se rêver un destin où ils mènent eux-mêmes leur territoire à l’indépendance en alimentant la frustration créée par ce déséquilibre. Le caractère tragicomique de cette situation n’a d’égal que l’extraordinaire incompétence desdits dirigeants (les cas de Johnson et Puigdemont viennent à l’esprit). Cette perception cynique, purement comptable, est d’autant plus renforcée par le fait que les fonds européens structurels vont directement aux régions en court-circuitant les États. Ces derniers se trouvent alors vidés tant de leur substance que de leur raison d’être.

Les maires dépositaires de la confiance

Néanmoins, dans la mesure où l’État central reste l’échelon principal de représentation politique, la responsabilité politique se trouve déconnectée de la capacité d’agir. D’où les promesses systématiquement trahies, et la perte de confiance dans l’action politique qui en résulte. Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à ce que le seul échelon de représentation politique auquel nous, Français, accordons encore un peu de confiance est l’échelon local, les maires. En ce sens, la capacité d’agir sur le réel semble rester le critère principal pour que les citoyens accordent leur confiance à l’action politique.

Pour autant, le déficit d’action et de responsabilité au niveau de la politique nationale a-t-il été compensé par une légitimité accrue de la gouvernance au niveau européen ? Bien au contraire : en plus des « non » répétés à plus d’intégration européenne, nous boycottons de plus en plus les élections européennes, nous observons avec dédain les manœuvres constantes du Parlement européen pour s’arroger plus de pouvoir plutôt que de nous représenter effectivement, et nous prenons acte du fait que la Commission demeure un organe purement technocratique. Ainsi, nous assistons, impuissants, à la dépolitisation des questions économiques, sur lesquelles le pouvoir décisionnaire est retiré aux gouvernants nationaux pour être confié à la Banque Centrale Européenne et à la Commission.

L’Europe, ce despote éclairé

Cette européanisation des questions économiques et le renforcement des prérogatives locales participent ainsi du même mouvement visant à produire un « despotisme éclairé » où les citoyens conserveraient malgré tout l’illusion du contrôle de leur destin via la représentativité locale. La décentralisation et la régionalisation consistent ainsi en réalité en une stratégie dangereuse voire mortifère pour les États-nations, dont les régionalismes visant au démembrement des grands pays européens multiséculaires, sont une conséquence directe.

Le vieux rêve d’une Europe de régions, impensable il y a quelques décennies, devient ainsi non seulement pensable mais surtout réalisable. Comme le rappelle Paul Dirkx dans un article paru en 2014 dans Le Monde Diplomatique, le Comité des régions, assemblée consultative des représentants locaux et régionaux de l’UE institué en 1994, est aujourd’hui la courroie de transmission des revendications des autonomistes et des séparatistes auprès de l’UE afin que : « l’Europe (…) puisse pleinement tirer profit de la diversité territoriale, culturelle et linguistique qui fait sa force et sa richesse et qui est gage d’identité pour ses citoyens ».

Repentance et relativisme culturel

Suivant cette logique de construction identitaire à l’échelon local, le sentiment d’appartenance à une nation pour les citoyens devient moins prégnant. D’autant plus si dans le même temps, les représentants politiques des États mettent le doigt dans l’engrenage de la repentance, à l’instar de nos gouvernants. Qui oserait en effet s’identifier à une nation qui « livrait ses protégés à ses bourreaux » durant la seconde guerre mondiale , selon les mots de Jacques Chirac ? Qui souhaiterait se réclamer d’un peuple dont les ancêtres commettaient un crime contre l’humanité lors de la traite négrière ? Qui enfin pourrait être fier d’appartenir à une nation qui se retrouve accusée aujourd’hui d’avoir semé les graines des plus grandes horreurs du XXème siècle lors des guerres de conquête coloniale ? En assimilant les agissements de certaines élites ou les crimes d’État à ceux du peuple tout entier, politiques et intellectuels contribuent à faire porter la responsabilité de ces crimes sur la nation toute entière, afin de mieux la discréditer.

Si pendant la Seconde guerre mondiale, une partie importante des mouvements breton et flamand ont fait le choix d’une Europe nazie, Catalans, Basques ou Corses ont de leur côté été durement réprimés par les régimes fascistes et ont ainsi pu affirmer leur identité dans un processus d’altérité faisant sens au regard de leur histoire. Chez les Corses, s’est d’ailleurs développé le mythe d’une libération héroïque de l’île due à la seule bravoure du parti communiste insulaire et de figures romanesques comme Dominique Lucchini.

Depuis lors, la persistance en France d’un discours de repentance et l’émergence d’un relativisme culturel porté par la plupart de l’intelligentsia médiatique et politique ont fragmenté la société française par pans entiers.

La face sombre de la mondialisation

Ceci est d’autant plus vrai que celui qui préside aux destinées de notre pays depuis plus de six mois affirmait au début de l’année 2017 qu’« il n’y a pas une culture française, il y a une culture en France et elle est diverse ». Un discours contraire à notre histoire et à l’idéal républicain et qui porte en lui les germes du communautarisme, légitimant en filigrane l’idée que la culture française ne serait qu’un agrégat de sous-cultures. À travers cette déclaration, Emmanuel Macron s’inscrit ainsi dans la lignée de ceux qui nient non seulement les subtils et puissants apports de l’Histoire qui ont fondé la culture française dans sa singularité, mais aussi et surtout l’édification du roman national. Comme le rappelait Jean-Pierre Chevènement, « dire qu’il faut transmettre les valeurs de la République, c’est trop faible: il faut transmettre l’amour de la France. Le réapprendre ».

Cette réappropriation de notre culture devra toutefois passer par une réflexion sur les effets de la mondialisation et sur les fractures sociales, culturelles et géographiques qu’elle engendre, et qui vont à l’encontre de notre modèle égalitaire et républicain traditionnel. Une bonne illustration en est le mouvement des Bonnets rouges bretons dont les revendications sociales et économiques abondèrent également vers des revendications identitaires, illustrant ainsi la crise culturelle qui frappe la France périphérique. Idem pour la Corse où les vives réactions consécutives à l’affaire de la crique de Sisco témoignent de la persistance d’un discours identitaire puissant et de la volonté des Corses d’affirmer leur différence d’avec des continentaux jugés trop tolérants vis-à-vis des revendications religieuses communautaristes.

Vers des nationalismes régionaux

En voulant tuer les nationalismes, les eurofédéralistes n’ont donc fait que conduire à la naissance de nationalismes régionaux non moins délétères. En effet, l’identité est un besoin fondamental de tout être humain. Ainsi, même quand les internationalistes arrivent à blesser les identités nationales, d’autres identités surgissent pour remplir le vide laissé. Ces identités de substitut ne seront pour autant jamais des facteurs de vivre ensemble, et ne conduiront qu’à l’impasse de l’aliénation, et de la disparition du commun. Face à cela, la réappropriation de notre culture commune, la culture française, apparaît comme la seule solution. Il faut donc impérativement retrouver nos valeurs, les assumer à nouveau, et lancer une grande offensive culturelle pour regagner à la France les territoires et l’ensemble des Français. Les valeurs de la République sont belles, elles sont universelles, et elles sont nos meilleures armes dans la bataille culturelle à venir. Surtout lorsqu’elles sont adossées à l’amour de la France, de son histoire et de sa culture.



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