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Dutilleux rend lyrique


Dutilleux rend lyrique

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Claude Debussy, Vincent d’Indy, Gabriel Fauré, Paul Dukas, Maurice Ravel, Édouard Lalo : à ces artistes rayonnant dans le monde entier, qui font de la France une grande nation de musique à l’égal de l’Allemagne ou de l’Italie, il convient d’ajouter Henri Dutilleux. Né en 1916, le compositeur a enrichi notre répertoire musical de pièces majeures depuis les années 1940. Bien que Dutilleux jouisse d’une renommée mondiale, son œuvre comporte seulement une vingtaine d’opus : mais chacun d’eux compte, et marque profondément le genre qu’il explore. Sa Sonate pour piano de 1948 figurera encore au répertoire dans cent ans ; ses deux Symphonies (1951 et 1959), par leur richesse mélodique et leur inventivité formelle, ont durablement renouvelé l’exercice. Et son concerto pour violoncelle Tout un monde lointain (1970), écrit pour l’archet de Rostropovitch, est resté unique pour ceci que son aboutissement total n’appelait pas de suite.
Certes, Dutilleux a été couvert d’honneurs : sur des photos fascinantes de 1938 on peut voir le jeune compositeur porté en triomphe dans les rues de Douai après son Grand Prix de Rome. La Maison de la radio lui avait aussi rendu un bel hommage il y a quelques semaines ; cérémonie qui fut l’occasion de lui remettre en avant-première l’enregistrement de ses Correspondances, interprétées par la soprano Barbara Hannigan et l’Orchestre philharmonique de Radio France sous la férule d’Esa-Pekka Salonen.[access capability= »lire_inedits »] L’œuvre, créée en 2003, n’avait pas encore connu les honneurs du disque. Deutsche Grammophon venait d’y remédier.
Correspondances : ce cycle de mélodies joue sur la polysémie du terme, qui désigne un échange épistolaire et renvoie à Baudelaire, dont la poésie est d’ailleurs omniprésente dans l’univers du compositeur – il a donné pour titre à son concerto pour violoncelle un vers extrait de La Chevelure : « Tout un monde lointain, absent, presque défunt. »
Mais autant que de poésie, Dutilleux se nourrissait de peinture : son onirique poème symphonique de 1978, Timbres, Espace, Mouvement ou la Nuit étoilée, s’inspire de bout en bout de Van Gogh. Et dans les Correspondances métaphysiques, l’homme aux tournesols fait une nouvelle apparition à travers une lettre adressée à son frère Théo : « J’ai un besoin terrible de religion. Alors, je vais la nuit, dehors, pour peindre les étoiles. » La musique de Dutilleux accompagne librement les mots, comme si c’était un poème en prose. En 1993, dans un livre d’entretiens, Mystère et Mémoire des sons, le compositeur s’expliquait sur sa réticence à l’égard de la voix, le seul instrument qu’il ait délaissé : « C’est en effet une sérieuse lacune dans mon catalogue, une absence qui intrigue beaucoup de gens et que je ne parviens pas à m’expliquer : le plus bel instrument ! Comme s’il m’intimidait…» Avec ces Correspondances, la lacune était comblée.
À 97 ans, Henri Dutilleux avait encore une foule de projets. Il avait commencé l’écriture de nouveaux opus pour la voix, l’instrument si longtemps évité. Abordant les rivages du centenaire – sans la moindre sérénité et avec une soif intacte de création – il entendait encore beaucoup de musique dans sa tête. Aurait-il exploré de nouvelles voies, comme la musique religieuse ou, rêvons un peu, l’opéra ? Il a rejoint Debussy, Dukas, Ravel, Saint-Saëns, Lalo et sa femme Geneviève Joy – pianiste et muse – au paradis de l’inspiration et de la musique française. Les générations à venir n’ont pas fini de jouer Dutilleux, dont la musique n’est pas près de se démoder…[/access]

*Photo : CaZaTo Ma.

Mai 2013 #2

Article extrait du Magazine Causeur



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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