Accueil Société Des innocents et des hommes

Des innocents et des hommes


Tous médias confondus, les commentaires entendus après l’abandon des charges contre DSK m’ont furieusement rappelé la belle réplique de Marcel Pagnol : « C’est très joli d’être innocent, mais il ne faut pas en abuser ».

Si je comprends bien, ce n’est pas parce que DSK ne sera finalement pas poursuivi qu’il serait innocent. Ah bon.
Autrement dit, toute personne obtenant dorénavant un non-lieu (décision par laquelle un juge d’instruction décide qu’il n’y a pas assez de charges pour poursuivre), une relaxe devant un tribunal correctionnel ou un acquittement devant une cour d’assises, le plus souvent « au bénéfice du doute », ne pourrait plus être considérée comme innocente des crimes et délits pour lesquels elle était poursuivie et devrait, jusqu’à la fin des temps, porter la croix de la suspicion sur le chemin du Golgotha médiatique.[access capability= »lire_inedits »]

La vérité n’a que peu de place dans les salles d’audience. Heureusement

Ces commentateurs éclairés qui n’ont, faut-il le préciser, qu’une connaissance très parcellaire des pièces pénales du dossier dont ils parlent, estiment donc qu’à partir de l’instant où une accusation est formulée, l’innocence est perdue à tout jamais, quoi qu’en dise la Justice.
Cette opinion pourrait apparaître intéressante dans le cadre d’une conception christique de l’innocence perdue dans le jardin d’Éden par l’ancêtre de DSK, elle est obscène sous le régime de la justice des hommes. Qu’au Café du commerce, on disserte à l’infini sur le mystère de la chambre 2806 est inévitable − nous le faisons tous. Mais quand les maillons essentiels de la démocratie que sont (ou devraient être) les journalistes parviennent à une telle négation du concept de justice, on a de quoi s’inquiéter.

Par bonheur, la vérité n’a que peu de place dans les salles d’audience, car le plus souvent elle n’existe pas et, lorsqu’on juge au nom de la vérité, la tyrannie n’est jamais loin. La culture du doute est la seule religion judiciaire vénérable et c’est déjà beaucoup. Si le procureur Cyrus Vance qui, lui, disposait de tous les éléments du dossier et qui avait par ailleurs le plus grand intérêt à poursuivre DSK, dont il avait auparavant réclamé avec sévérité le placement en détention, a pris la décision dont a finalement bénéficié l’ancien directeur du FMI, c’est bien parce qu’il est imprégné de cette culture. C’est cette culture qui devrait aujourd’hui permettre à l’intéressé, comme à n’importe quel accusé, d’abuser de son innocence sans avoir à supporter la suspicion d’un jugement transcendant fondé sur je ne sais quelle croyance, déduction savante ou postulat issus d’appréciations esthétiques, d’analyses de CV ou d’études approfondies sur le machisme ontologique des politiques.

Et si on n’est plus innocent lorsque l’on est innocenté, vous avez tous beaucoup de soucis à vous faire et moi, il ne me reste plus qu’à manger ma robe …[/access]

Septembre 2011 . N°39

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Martine Aubry veut licencier globalement les fonctionnaires d’Hadopi
Article suivant Bonne année au peuple perfide
Richard Malka est avocat.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération