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Le monde ne suffit plus

Un cinéma de plus en plus éloigné de la réalité


Le monde ne suffit plus
Iman Vellani, héroïne de la série "Ms Marvel" © /AP/SIPA

Le cinéma a connu des évolutions notables au cours des dernières décennies. Jadis, les films grand public mettaient en avant des héros auxquels il était possible de s’identifier en raison de leur ancrage dans le réel. Mais aujourd’hui, les héros que l’on retrouve au cinéma ne vivent plus dans le même monde que nous, les super-pouvoirs et autres effets spéciaux hallucinants éloignent le spectateur du réel, et font même oublier à ce dernier tout sens des limites…


Comme vous tous, probablement, j’ai assisté à l’extraordinaire mutation du cinéma « grand spectacle » déclenchée depuis une quinzaine d’année par le triomphe de l’Univers Cinématographique Marvel. Les « blockbusters » qui dominaient auparavant le marché depuis leur invention dans les années 80 se sont vus supplantés par une nouvelle génération de films qui ont consacré l’avènement d’un rapport totalement différent des spectateurs avec la réalité environnante.

Car de fait si les anciens héros s’avéraient durs à cuire (voir ou revoir à cet égard « Terminator » avec A. Schwarzenegger), ou même totalement increvables (série des « Die Hard » avec B. Willis, des « Lethal Weapon » avec M. Gibson, des « Rambo » ou « Rocky » avec S. Stallone, etc.), tous évoluaient néanmoins dans un monde soumis aux contingences habituelles de la normalité, à la différence des super-héros Marvel et DC Comics qui leur ont ensuite damé le pion. Et c’est là précisément que s’est faite la différence, portée par le triomphe simultané des effets visuels numériques : la mise en scène de personnages doués de caractéristiques extraordinaires a permis de s’affranchir d’un coup de toutes les lois de la vraisemblance, de produire plus de vitesse, plus de violence, plus de spectacle en somme, qu’il n’était possible de le faire avec des humains trop limités…

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James Cameron, réalisateur génial s’il en est, l’a parfaitement compris en concevant « Avatar ». Car bien qu’il ait largement exploré avant ce film l’univers de la science-fiction (avec « Terminator », bien sûr, mais aussi « Aliens, le retour » et « Abyss »), il a rendu possible, en basculant vers l’univers virtuel, l’expression à l’écran d’une palette d’actions, de formes et de couleurs auparavant inconcevables. Il parachevait ainsi l’idée géniale des précurseurs qu’avaient été G. Lucas avec « Star Wars » ou P. Jackson avec sa trilogie inspirée du « Seigneur des Anneaux », qui tous avaient mis au premier plan, avec un incroyable impact sur le public, des personnages non-humains et/ou des humains confrontés à des créatures surnaturelles (auxquelles on peut par analogie rattacher les dinosaures reconstitués des « Jurassic Park » de S. Spielberg). 

Et le public a marché. Moi le premier, d’ailleurs : j’ai adoré. Je le dis sans vergogne, et sans fausse pudeur : j’ai aimé qu’on m’en mette plein les yeux et plein les oreilles. J’ai aimé être ébloui par ces images incroyables et ces séquences extraordinaires. Et peu à peu s’est installée en moi comme en nous tous une forme d’accoutumance : les spectacles humains du cinéma traditionnel me sont apparus trop fades, trop ternes, trop monotones. De la même façon qu’un Tarantino a déplacé pour toujours vers le haut le curseur de la violence cinématographique ordinaire, les Marvels et consorts ont transporté le grand spectacle dans une dimension hors d’atteinte pour le commun des mortels. Dans ce nouveau paradigme, il faut désormais l’attrait du risque physique affiché (et revendiqué) des cascades du T. Cruise des « Mission Impossible » (ou du récent « Top Gun Maverick ») pour retenir encore vers le monde réel l’attention de foules rendues totalement dépendantes envers les griseries illimitées du virtuel.

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Mais quel est le revers du bouclier du Captain ? Une certaine dilution de la notion du possible et de l’impossible, probablement : si les jeunes générations sont plus séduites que leurs aînées par les projets sociétaux repoussant les traditionnelles contingences « naturelles », c’est peut-être en partie parce qu’elles ont été accoutumées depuis très longtemps à ces univers où tout, justement, est du domaine du réalisable. Et une perte de la notion réelle d’héroïsme, certainement. Car le super-héros n’est précisément pas un héros : il ne triomphe que grâce à ses extraordinaires pouvoirs, et non pas par la seule force de son courage et de sa détermination. Devons-nous nous en réjouir ? Probablement pas… 

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est médecin et auteur/écrivain.

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