Accueil Économie Chômage: n’ayons pas peur de choquer!

Chômage: n’ayons pas peur de choquer!

Réponse de l'économiste Nicolas Bouzou à Martine Le Gall


Chômage: n’ayons pas peur de choquer!
Nicolas Bouzou, septembre 2017. SIPA. 00824492_000005

Mis en cause dans un article publié sur Causeur.fr pour ses propos sur le chômage et les chômeurs, l’économiste Nicolas Bouzou a souhaité lui répondre. 


L’article de Martine Le Gall pour Causeur, daté du 13 septembre 2018, illustre parfaitement une pathologie française : la prédominance de la passion sur la raison, d’une certaine moraline sur la réflexion.

Ainsi, le simple fait de suggérer que certains chômeurs effectuent un calcul économique rationnel et privilégient l’inactivité sur l’emploi me vaut une condamnation, non pas intellectuelle, mais morale. J’accablerais les chômeurs en les considérant comme des fainéants et en les stigmatisant.

Oui, certains chômeurs abusent

Pourtant, comme j’ai en effet eu l’occasion de le rappeler à la télévision ou dans mes éditoriaux de L’Express, les études académiques semblent bien exprimer un lien entre les modalités de l’indemnisation du chômage et sa durée. Franchement, ce résultat ne peut bouleverser que des esprits extraordinairement émotifs car il est assez intuitif. Mais visiblement, la vérité serait trop difficile à entendre.

Sur le fond, je n’ai jamais prétendu que l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail était liée à la paresse des chômeurs. Ce serait outrancier et faux. Cette inadéquation est due à trois phénomènes. Premièrement, la formation professionnelle et l’apprentissage fonctionnent mal depuis plusieurs décennies. Muriel Pénicaud réforme ce secteur avec courage et clairvoyance mais il faudra du temps pour former des personnes dont les entreprises ont besoin. Deuxièmement, le mauvais fonctionnement du marché du travail se double d’un mauvais fonctionnement du marché du logement. L’activité économique se concentre dans les métropoles, là où la densité empêche de construire davantage. Du coup, les prix s’envolent et empêchent les personnes qui ont des revenus modestes de déménager pour occuper un emploi. Troisièmement, c’est vrai, la France indemnise plutôt bien et assez longtemps le chômage. Une poignée de chômeurs en abusent (plus de 10% tout de même selon les sondages de Pôle Emploi) y compris quelques cadres ou de jeunes gens qui veulent « faire une pause ». Il ne faudrait pas le dire de peur de choquer ? Avec moi, vous êtes mal tombée. Si certains confondent droit au chômage par ce qu’ils ont cotisé et droit au revenu universel inconditionnel, il faut dénoncer cette erreur avec fermeté.

Je déteste ne pas travailler

Vous me demandez, Martine Le Gall, si face à des difficultés économiques, j’accepterais de devenir chauffeur routier. La réponse est sans hésitation oui. Je connais un peu ce secteur, ses dirigeants d’entreprises attachants et ses salariés passionnés. C’est un métier utile et dur. Deux caractéristiques qui ne me déplaisent pas. Et je déteste ne pas travailler. J’accepterais aussi de tondre la pelouse de mes voisins, de repasser leurs vêtements et de garder leurs animaux. Je n’ai aucun mépris pour ces « petits jobs » qui ne sont pas moins utiles que le mien même s’ils sont moins rémunérés. Notre pays n’a jamais voulu trancher clairement cette question : doit-on tout faire pour augmenter l’emploi ? Ma réponse est oui.

Enfin, vous pointez du doigt un management inadapté dans les entreprises. A qui le dites-vous ? Julia de Funès et moi venons de publier un ouvrage sur ce sujet, qui connaît un grand retentissement (La Comédie Inhumaine, aux Éditions de l’Observatoire). Nous exhortons les entreprises à laisser travailler leurs salariés plutôt que les abêtir avec des process, des réunions et des formations inutiles. Sur ce point, nous nous rejoignons. La très grande majorité des gens veut travailler et, depuis Kant et Hegel, nous savons que le travail humanise. C’est la raison pour laquelle le chômage doit être considéré comme le mal absolu, à combattre coûte que coûte, au risque de déplaire.

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