Avant de présenter ses excuses, l’acteur avait suscité une vive polémique et été accusé de racisme anti-blanc après avoir déclaré sur LCI: « Si il y a des Français de souche, ce sont des fins de race. Ils finiront par se mélanger aux autres, et ce sera mieux pour tout le monde ».
Je m’étonne. Je m’étonne que vous ne fassiez pas la différence entre le racisme qui est une intolérance à ce qui n’est pas soi, couleur de peau comprise et le refus d’un melting-pot qui est en train de tuer toutes les civilisations. Pas que la nôtre !
Oui, on voyage, vous avez raison, on se mélange, comme vous dites. Ce qui n’a rien de négatif a priori. Au contraire : connaître l’autre (autrement dit co-naître avec lui) est une des conditions de ce que vous appelez le vivre ensemble et que j’appelle l’amour, la tolérance. Sauf que ce mélange est en train de produire un gloubi-boulga général qui prive peu à peu de leur richesse les multiples cultures qui se sont enracinées partout sur notre belle planète. Exactement comme en cuisine, quand trop de saveurs dans un plat finissent par en faire une infâme ragougnasse. Vous dites préférer que l’on se concentre sur nos ressemblances plutôt que sur nos différences, mais justement ce sont nos différences qui font cette richesse. Imaginez un monde où l’on se ressemblerait tous. Quel ennui !
Je me demande si vous avez lu. Je suis d’une génération qui a relativement peu voyagé, mais mes nombreuses lectures m’ont entraînée sur des rivages parfois très lointains qui m’ont fait rêver et, surtout comprendre qu’en effet, l’être humain est partout foncièrement le même. Sauf qu’il ne vit pas et ne pense pas toujours de la même façon. Et c’est cela que lire m’a révélé. Grâce à mon métier de traductrice littéraire, j’ai rencontré, sur le papier, des civilisations captivantes. J’ai même compris pourquoi à trop vouloir civiliser le monde entier l’Occident lui-même avait détruit des équilibres parfois fragiles, mais nécessaires à la survie de certains peuples. Des films comme Mission de Roland Joffé, que vous avez certainement vu, Monsieur Kassovitz, ont parfois grandiosement illustré ce manquement au respect de l’Autre.
En traduisant un Pakistanais de langue anglaise, j’ai aussi appris que dans les montages de l’Indu Kush, les peuples nomades qui vivaient tant bien que mal sur des territoires immenses qu’ils arpentaient d’une année sur l’autre se sont retrouvés prisonniers de frontières absurdes par l’Europe imposées qui les ont tout simplement privés de leur gagne-pain, puisqu’ils ne pouvaient plus migrer vers des terres où leurs bêtes allaient paître chaque année.
Après avoir lu Joseph Kessel, j’ai voulu parcourir l’Afghanistan et la route de la soie. En lisant le Roumain Panaït Istrati, j’ai commencé à entrevoir ce que le mot liberté signifiait. Jack Kerouac m’a fait rêver d’aller me perdre dans les forêts canadiennes. Faulkner m’a donné à respirer les parfums du sud de la grande Amérique. Parce que j’avais lu le conte de Baba Yaga la sorcière, j’ai choisi le russe en seconde langue puis lu tous les auteurs russes qui me tombaient sous la main… J’ai lu Jünger, aussi, parce que j’ai voulu comprendre l’Allemagne que les Français de ma génération haïssaient. À la lecture des livres de Kazantsakis, j’ai voulu aller danser en Grèce, respirer son soleil. Avec Levi-Strauss, j’ai marché, transpiré en Amazonie. Et avec Primo Levi, j’ai connu la souffrance du prisonnier humilié, affamé, dont on avait voulu exterminer la « race ».
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Plus près de nous, en lisant Sylvain Tesson, ou Christiane Rancé, j’ai presque pleuré d’être devenue trop vieille pour leur emboîter le pas dans la solitude de régions encore peu fréquentées. Et, comme il y a trente-cinq ans, prendre un billet de train de nuit pour Venise à peine je venais de refermer Venise en miroir, de Robert Marteau.
La liste pourrait inclure presque tous les régions du monde. J’ai beaucoup voyagé, en fin de compte. Les Français ne sont pas racistes, Monsieur Kassovitz, les Français aimeraient bien, comme tous les peuples de la terre, préserver ce qui reste de leur civilisation, de leur culture, de leur langue, si belles, si enrichissantes. Les Français de souche, Monsieur Kassovitz, ce sont tous les hommes, toutes les
femmes qui sont venus prendre racine en France au cours des siècles. Jusqu’à ceux qui, aujourd’hui, décident de devenir français. Boualem
Sansal fut récemment de ceux-là.
Comme beaucoup de mes amis, je suis horrifiée par la présence trop envahissante des musulmans en Europe, de même que par l’américanisation de l’Europe, de notre langue en particulier. J’aime l’Amérique, pourtant, où j’ai vécu, ainsi que les Américains et leur langue d’origine, que je traduis, mais elle est devenue envahissante, elle aussi, partout, y compris dans les médias. Trop c’est trop. Déjà, en France, la jeunesse parle une langue poubelle qui n’a plus aucun sens. Une espèce de sabir parfois presque incompréhensible. Au point qu’ils n’ont plus les mots pour le dire, au point qu’une violence insidieuse s’installe, comme toujours quand on n’arrive plus à se comprendre.
Mais revenons aux autres peuples dont vous vous réjouissez qu’ils viennent « se mélanger » à nous les Européens, les « fins de race ». Quand je vais voir l’une de nos filles qui vit au Maroc, je déplore tout autant l’européanisation galopante du pays. Y voir un homme en Nike et en jogging me désole. Le voile, là-bas (bien que le Coran ne l’ait jamais déclaré obligatoire – seule la pudeur des femmes y est évoquée), fait partie du paysage et ne me dérange nullement. Pas plus que la djellaba pour les hommes. En France, en Angleterre ou en Suède, ces tenues me dérangent, oui, parce que leur nombre changent le paysage qui est le nôtre. Mais aussi parce qu’elles sont l’étendard d’une théocratie globalisante, quand bien même vous semblez ne pas en avoir conscience. Il fut un temps pourtant, déjà lointain, où travaillant dans un magasin de couturier de la rue du Faubourg Saint-Honoré, je regardais fascinée des touristes débarquer dans une tenue qui m’évoquait le désert, Eugène Delacroix ou les contes des mille et une nuits. C’est fini ; la fascination s’est muée en rejet. Le nombre, Monsieur Kassovitz. Le nombre. Trop, c’est trop.
Je suis sûre que n’étant pas un mauvais bougre, vous accueilleriez un pauvre diable sans ressources qui débarquerait chez vous quelle que soit la couleur de sa peau ; mais s’il revenait la semaine suivante avec toute sa famille, la famille de sa belle-sœur et celle de son meilleur ami, je suis prête à parier que vous le repousseriez, et même que vous changeriez toutes vos serrures.
Ceux qui, comme vous, prompts à nous culpabiliser, parlent de racisme aujourd’hui, sont d’une mauvaise foi affligeante. Ce que nous refusons, ce n’est pas de perdre notre couleur de peau. Quoique, jaune, blanc, noir, café au lait, ou métissées, moi je les trouve toutes belles, la blanche y comprise. Non, ce que je refuse c’est un métissage de cultures qui efface peu à peu nos différences. Oui, on voyage beaucoup en 2025, on s’ouvre à des mondes divers, et c’est une bonne chose parce que comme pour la lecture, ça ouvre les esprits et les cœurs. Mais à quoi servira de voyager quand tous les êtres humains se ressembleront ? Quand toutes les cultures se seront mélangées au point de n’avoir plus d’identité ?
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