Première fois

L'histoire d'une première censure sur Twitter


Première fois
Manifestation au Bangladesh contre la France après les déclarations d'Emmanuel Macron sur le droit à caricaturer le prophète Mohammed, après l’assassinat de Samuel Paty © Suvra Kanti Das/Shutterstock/SIPA Numéro de reportage: 40804436_000002.

Pour la première fois mon compte Twitter a été censuré. Mon crime? Avoir insinué que des centaines de milliers de musulmans comprenaient l’islam comme l’assassin de Samuel Paty.


La première fois est toujours émouvante. Au moins me sera-t-il facile de retenir la date, celle de l’entrée de Maurice Genevoix au Panthéon. Pouvoir ainsi associer très modestement ma prose à l’auteur de La forêt perdue – hymne sublime à Artémis – du Bestiaire sans oubli, de La chèvre aux loups, est un honneur inespéré et qui me touche. J’ai été temporairement banni de Twitter alors que nous célébrons cet immense écrivain dont l’un des premiers textes, Sous Verdun, fut en son temps censuré. Je remercie ceux qui ont signalé l’un de mes messages : qu’ils en aient pris la peine prouve que je les dérange, et cet encouragement me va droit au cœur.

À lire aussi, Alain Finkielkraut : Samuel Paty, le dévoilement et le déni

À propos d’encouragements, à l’heure où vous lirez ces lignes mon compte sera à nouveau opérationnel, n’hésitez pas à lui rendre visite et à vous y abonner – ceci est un aparté publicitaire.

De quoi s’agit-il ? À quelqu’un écrivant que « Le monde évoluera le jour où les gens comprendront que ce que revendiquent les auteurs de ces attentats n’a complétement rien à voir avec l’Islam et les religions tout court. Ce ne sont que des dégénérés qui croient exprimer la religion correctement. », j’ai répondu : « Quel dommage que des centaines de milliers de musulmans dans le monde manifestent ces jours-ci pour montrer qu’ils comprennent l’islam exactement de la même manière que l’assassin de Samuel Paty. Il faut croire qu’Allah explique très mal. » Crime de lèse-majesté, semble-t-il. Je me dois de faire mon mea culpa. Où ai-je bien pu « déraper », comme on dit ?

Ceux qui manifestent contre la France ont des convergences avec l’assassin de Samuel Paty

Est-ce dans l’idée que ceux qui manifestent contre la France, contre Emmanuel Macron, contre les caricatures et la liberté d’expression, partagent la même vision de l’islam que l’assassin de Samuel Paty ? Ma foi, entre la haine manifeste, la soif de censure et l’apologie de la violence (un prédicateur pakistanais a même demandé un bombardement nucléaire de la France), le tout bien sûr au nom de l’islam, on peut légitimement constater des convergences.

Est-ce le « centaines de milliers » ? Je reconnais ne pas les avoir comptabilisés moi-même. Peut-être Twitter me reproche-t-il d’avoir fait confiance aux journalistes ? Le Monde (serait-il devenu islamophobe ?) parle de « plus de 50.000 musulmans » manifestant contre la France et contre les caricatures au Bangladesh. On évoque aussi le Pakistan, la Cisjordanie, Jérusalem, Istanbul, la Libye…. J’aurais peut-être dû écrire « plus d’une centaine de milliers » et non « des centaines de milliers », mais je doute que ce soit pour cette raison que Twitter m’ait censuré.

Est-ce d’avoir qualifié ces manifestants de musulmans, ainsi que l’a fait Le Monde ? C’est pourtant bien ainsi qu’eux-mêmes se présentent : ils s’opposent à ce qu’ils perçoivent comme un manque de respect envers le prophète de l’islam, invoquent Allah, disent agir pour défendre l’islam et au nom de l’islam. On m’accordera j’espère que ce ne sont probablement pas des bouddhistes !

Est-ce d’avoir commencé par « quel dommage » ? Aurais-je dû me féliciter de ces mouvements de foule éructant la haine de la France et appelant à la suppression de la liberté d’expression ? S’en réjouir serait-il la position officielle de Twitter ? Je n’ose l’imaginer.

Ils sont nombreux, ceux qui expriment mal la religion…

Le problème résiderait-il dans ma seconde phrase ? « Il faut croire qu’Allah explique très mal. » Je reste songeur. Après tout, mon contradicteur parlait de « ces dégénérés qui croient exprimer la religion correctement » : si son hypothèse est exacte, ils sont nombreux ceux qui « n’expriment pas la religion correctement. » Que « plus d’une centaine de milliers » de musulmans soient à ce point égarés après quatorze siècles d’islam impose un jugement peu flatteur sur le talent de pédagogue de celui dont ils suivent l’enseignement. Et celui que l’islam lui-même présente comme l’auteur de ce manuel qu’est le Coran, c’est bien Allah.

Diantre. Aurais-je donc dû affirmer qu’Allah est parfaitement clair dans l’expression de sa volonté, et donc que tous ces manifestants l’ont compris ? Puisque leur sincérité est aussi évidente que leur rage, puisqu’il est certain qu’ils appliquent de bonne foi ce qu’ils ont compris, aurais-je dû affirmer que leurs cris contre la France et contre la liberté sont conformes à la volonté d’Allah ? Twitter m’aurait-il censuré parce que je ne critiquais pas assez sévèrement l’islam ? J’en serais fort surpris.

À lire aussi, Ferghane Azihari : Islam radical: et si la solution passait par l’apostasie des musulmans?

Alors que reste-t-il, sinon l’évidence ? Mon message a été signalé et censuré parce qu’il avait le tort d’attirer l’attention sur une vérité dérangeante. Motif : « hateful conduct », comportement haineux. Détaillé ainsi : « You may not promote violence against, threaten, or harass other people on the basis of etc, etc » soit « encourager à la violence, menacer ou harceler ». N’ayant clairement ni menacé ni harcelé, c’est donc que selon Twitter j’aurais « encouragé à la violence ». J’en conclus que ceux qui ont signalé mon message, ainsi que la modération et les algorithmes de Twitter, ont estimé que dire la vérité au sujet de l’islam et/ou des musulmans encouragerait ceux qui découvriraient cette vérité à la violence, probablement contre l’islam et/ou les musulmans. C’est là une opinion dont je leur laisse l’entière responsabilité.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Divan sur grand écran
Article suivant Thé et sympathie
Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération