L’UE doit au contraire apporter des solutions d’urgence pour notre secteur agricole, déjà étranglé par la hausse du prix des fertilisants.
L’Union européenne prétend défendre ses agriculteurs, mais sa dernière offensive commerciale – des droits de douane imposés dès le 1er juillet 2025 sur les engrais russes et biélorusses – frappe de plein fouet ceux qu’elle jure de protéger.
Les engrais soumis à une terrible inflation
Présentée comme un rempart contre la dépendance à Moscou et un coup porté au financement de la guerre en Ukraine, cette mesure est une erreur stratégique qui aggrave la crise des engrais et menace la sécurité alimentaire de 450 millions d’Européens. Bruxelles doit revoir sa copie, et vite, avant que nos campagnes ne s’effondrent sous le poids de ces décisions.
Les chiffres sont alarmants. Depuis janvier 2025, les prix des engrais ont bondi de 11% au niveau mondial, selon la Banque mondiale, avec des hausses de 20% pour l’urée, 18% pour la potasse et 20% pour le phosphate. En Europe, c’est pire : l’urée se négocie à 397 € la tonne en juin, 15% de plus qu’en 2024, contre un prix mondial de 350 €. Pour un céréalier, cela représente un surcoût de 25 à 30 € par hectare, anéantissant des marges déjà fragiles. Ces tarifs, débutant à 40 € par tonne et prévus pour grimper à 300 € d’ici 2028, pèsent directement sur les agriculteurs, ajoutant une facture annuelle estimée à 400-500 millions d’euros.
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Copa-Cogeca, la voix des agriculteurs et des coopératives européennes, n’a pas mâché ses mots : « Bruxelles alourdit les coûts de production dans un contexte où les agriculteurs sont déjà asphyxiés par la flambée des prix de l’énergie et les réglementations environnementales. » L’organisation dénonce une mesure qui, loin de protéger les fermes européennes, les expose à des importations plus coûteuses en provenance d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient, incapables de compenser le déficit laissé par les millions de tonnes d’engrais russes importés en 2024 pour un montant de 2,12 milliards d’euros.
Promesse non tenue
La Commission européenne avait anticipé cette flambée des prix. Elle avait promis des « mécanismes de compensation » pour amortir le choc. Où sont-ils ? À ce jour, aucun soutien tangible n’a été déployé, laissant les agriculteurs seuls face à des coûts insoutenables. Pendant ce temps, les chocs géopolitiques s’accumulent : les tensions au Moyen-Orient font grimper le pétrole (+10 %) et le gaz européen (+6,6 %), essentiel à la production d’engrais azotés. Les récents bombardements ukrainiens sur des usines russes, comme Novomoskovsk Azot et Nevinnomyssk Azot, ont temporairement paralysé des sites produisant davantage que la consommation annuelle de la France et de l’Allemagne réunies. Auparavant, l’Ukraine n’avait pas ciblé d’usines d’engrais. Une riposte russe sur les usines d’engrais ukrainiennes, comme celle de Rivne, pourrait non seulement aggraver la pénurie, mais aussi provoquer une catastrophe environnementale aux portes de l’UE.
Pire encore, Bruxelles alourdit le fardeau avec une taxe carbone imminente et une transition énergétique qui, bien que nécessaire, expose les agriculteurs à une volatilité accrue des prix de l’énergie. Les alternatives aux importations russes – Égypte, Qatar, Arabie saoudite – sont insuffisantes, surtout si les exportations iraniennes s’effondrent sous l’effet des tensions militaires.
Urgences
Pour éviter le désastre, Bruxelles doit agir sans délai : verser les compensations promises avant la saison des semis pour soutenir les agriculteurs en difficulté, contribuer à l’arrêt des frappes visant les infrastructures de production d’engrais afin de limiter les hausses imprévisibles des prix, investir dans une production européenne d’engrais – notamment l’ammoniac vert et le recyclage des déchets organiques – pour réduire la dépendance aux importations instables, coordonner une stratégie énergétique assurant un gaz abordable tout en accélérant la transition vers les énergies renouvelables, et créer une réserve stratégique agricole pour amortir les pénuries et stabiliser les prix.
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Les agriculteurs européens ne peuvent plus être les otages des errements bureaucratiques et des tensions géopolitiques. Bruxelles doit cesser de les sacrifier au nom d’objectifs mal calibrés. Nos fermes, nos assiettes et notre souveraineté alimentaire sont en jeu. L’heure n’est plus aux promesses, mais aux actes.
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