Depuis la démission d’Evo Morales, un intense débat agite les milieux médiatiques et politiques internationaux. Retour sur quelques faits qui permettent d’évaluer la signification de la fin (peut-être provisoire) de l’un des régimes les plus corrompus et répressifs de l’histoire bolivienne.
Pendant presque quatorze ans, la Bolivie a été le laboratoire d’une expérience remarquable de transformation de la société, de redistribution spatiale de la population, de manipulations juridiques et institutionnelles et, surtout, de réécriture de l’histoire. Ce « Processus de Changement » (Proceso de cambio), symbolisé plus que dirigé par Evo Morales, et soutenu par des forces sociales très concrètes et aux intérêts partiellement divergents, s’est heurté au cours du premier tiers du mois de novembre 2019 à la phase finale d’une vaste résistance populaire, conduisant à la démission d’Evo Morales le 10 novembre, et à son exil doré à Mexico.
Bolivie : trois séquences qui ont conduit affaiblit le pays
À l’heure où ces lignes sont écrites, il est encore impossible de prévoir le cours futur des événements. Surtout, la question de savoir si le gouvernement de transition de la Présidente Jeanine Añez parviendra à pacifier un pays convulsionné par les opérateurs politico-militaires du MAS (Movimiento al Socialismo, parti de Morales), et à organiser des élections présidentielles et législatives transparentes dans les meilleurs délais reste posée.
Pour comprendre les faits et les enjeux de la situation bolivienne actuelle, après un bref rappel de quelques données de base, il est nécessaire d’évoquer trois questions clés : d’abord celle de la nature du changement de régime en cours ; ensuite celle des forces d’opposition au « evismo », dont les divisions restent problématiques ; enfin, l’aspect proprement géopolitique du conflit en cours, au niveau tant interne qu’international.
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La crise actuelle est le produit du télescopage d’au moins trois séquences temporelles de durée inégale. Il y a d’abord le long processus inauguré notamment depuis la révolution de 1952 et la réforme agraire, et approfondie ultérieurement sous diverses formes (par exemple par la Loi de Participation Populaire de 1994 qui permit l’émergence de dirigeants paysans/indigènes au plan local et national). Ces transformations vont servir de toile de fond à une « indigénisation » racialiste des discours et des pratiques, qui se répandra de façon croissante à partir de 1992 (le « cinquième centenaire » de la conquête espagnole), étant amplement promue par des secteurs « engagés » de l’Église catholique, des ONG internationales et des anthropologues militants. Et ce jusqu’à devenir hégémonique au sein d’une gauche dont les fondements idéologiques (et financiers) s’effondrent avec la disparition du « camp socialiste », et dont les bases ouvrières (surtout des mines) sont démantelées et « relocalisées » en 1985.
Ce phénomène donne lieu à une deuxième séquence, qui débute vers 2000 (« Guerre de l’eau à Cochabamba) ; se poursuit en 2003 avec la « Guerre du gaz » et la démission du Président Gonzálo Sánchez de Lozada, et se conclut en 2005 avec l’élection d’Evo Morales, après le retrait du Président Carlos Mesa, dont la faiblesse et les ambiguïtés ont considérablement favorise ce dénouement.
Enfin, après presque quatorze ans de gouvernement du MAS, la dernière séquence, actuelle et beaucoup plus brève, commence le 20 octobre 2019, date des élections présidentielles et législatives, dont les « résultats » sont entachés par des fraudes monumentales, permettant une victoire de Morales au premier tour. Ce qui conduit une opposition divisée et, surtout, une bonne partie de la société civile à se mobiliser en faveur de la démocratie et contre le coup de force électoral en cours. C’est d’ailleurs la publication du rapport d’expertise électorale de l’OEA (Organisation des États américains, institution généralement très prudente…), le 10 novembre, qui constate la fraude massive organisée par le gouvernement, qui précipite la démission d’Evo Morales.
Entre-temps, durant une vingtaine de jours…
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