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En une métaphore, Macron met K.O l’OTAN

L'Alliance en état de "mort cérébrale" selon le président


En une métaphore, Macron met K.O l’OTAN
Emmanuel Macron le 12 novembre 2019 © Ludovic Marin/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22398175_000049

Le président français a affirmé dans The Economist que l’Otan est en état de « mort cérébrale. » Une formule destinée à marquer les esprits. Analyse.


Rien n’est plus puissant qu’une métaphore pour marquer les esprits. Cette figure de rhétorique consiste à établir une stricte équivalence entre deux choses n’ayant pas la même modalité d’existence, qui n’appartiennent pas au même champ de l’expérience. Or, la métaphore n’est pas une « figure de style » parmi les autres, comme on le fait croire à des générations d’écoliers. En agissant sur les esprits, elle agit sur le réel. Ainsi, quand le général de Gaulle rédige son «Appel du 18 juin 1940», il recourt à la métaphore ésotérique du feu prométhéen afin de faire renaître l’espérance et l’esprit d’initiative dans le cœur de chaque Français : « La flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ».

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En un instant, les cœurs se sont embrasés dans les poitrines, le feu-toujours-vivant de la Résistance s’est allumé et le cours de l’histoire, que l’on croyait inéluctable, s’est infléchi.

« Mort cérébrale »

Toutefois, l’emploi d’une métaphore comporte un risque : dissimulant la pensée réelle derrière le voile de l’allégorie, elle peut être incomprise par l’opinion. Ainsi, on a beaucoup glosé sur la signification de la formule choc du président Emmanuel Macron selon laquelle l’Otan est en état de « mort cérébrale ». A l’heure où le bien-fondé de l’existence de l’Alliance est remis en cause, la question se pose: Emmanuel Macron entend-il graver sa métaphore dans le marbre de l’histoire au même titre que celle du général De Gaulle ? Après tout, l’appel d’Emmanuel Macron a été lancé de Londres, à travers l’hebdomadaire britannique The Economist auquel il a accordé jeudi 7 novembre 2019 son interview… L’histoire le dira. En tout état de cause, sa formule interpelle tant elle se prête à diverses exégèses.

The Economist November 9th 2019
The Economist November 9th 2019

Qu’a vraiment voulu dire Emmanuel Macron par cette formule ?

Partout dans les médias, on nous a dit que cette métaphore macabre traduisait un état de fait : l’Alliance a perdu sa vocation depuis la chute de l’Empire soviétique. Sans ennemi, qui combattre militairement? Certes, l’islamisme est devenu ce nouvel et redoutable adversaire.

L’impact désastreux de l’OTAN dans le monde arabe

Sans nul doute possible, c’est bien l’Occident – et les Etats-Unis en première ligne – qui ont provoqué sa formidable expansion mondiale. Ce sont bien les Etats-Unis qui ont armé les islamistes, du temps de la Guerre froide, pour combattre indirectement les Communistes et affaiblir les nationalismes arabes. C’est bien dans le cadre de missions otaniennes en Irak, en Libye et Syrie que, depuis 2003, ces pays sont plongés dans le chaos, avec les répercussions que l’on sait sur le sol européen. Emmanuel Macron a raison : l’Otan est en état de « mort cérébrale » parce que la géopolitique de Alliance est un désastre.

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Mais on nous a aussi expliqué que Macron faisait du Trump, dont on connaît l’appétit pour les métaphores chatoyantes. En d’autres termes, le président français alignerait sa rhétorique sur celle du président américain. C’est exact : dans ce monde fait de bruit et de fureur, le président français sait bien qu’on ne parvient pas à interpeller l’opinion sans employer des morts forts, des mots crus, des mots qui sidèrent. La polémique est nécessaire pour attirer sur soi la lumière et faire bouger les lignes. Il faut provoquer, c’est-à-dire « appeler dehors », « faire venir », « faire naître ». Ce fut efficace : la métaphore du président Macron a suscité des réactions aux Etats-Unis et au sein de l’Union européenne. Le Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, la chancelière allemande Angela Merkel, le premier ministre polonais Mateusz Morawecki ont exprimé leur indignation tandis qu’en Russie, on applaudissait. Le président turc Recep Tayyip Erdogan choisit d’attendre le mercredi 13 novembre, alors que la France commémore, pour qualifier d’ « inacceptables » les propos d’Emmanuel Macron. »

Macron veut son Europe de la Défense

Tel était l’effet désiré par Emmanuel Macron : « faire venir » de toute part les critiques pour « faire naître » l’Europe de la défense. Oui, derrière les mots choquants se profile l’appel à l’unité européenne, un appel solennel aux Etats membres afin qu’ils prennent enfin leur destin en main et qu’une armée européenne voit le jour. Pour en finir avec l’Europe-espace, il faut faire vivre l’Europe-puissance ! Bien sûr, personne n’est dupe: demain, la France deviendrait le leader de cette Europe de la Défense. Depuis la création du Fond Européen de Défense (FED) lancé en juin 2017 suivie de l’Initiative Européenne d’Intervention (IEI) lancée le 25 juin 2018, Emmanuel Macron veut convaincre les partenaires européens d’agir collectivement et de développer une culture stratégique commune. Sous l’égide de la France éternelle.

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Mais la géopolitique est une chose; la querelle virile en est une autre. A force de gloses et d’exégèses, à force de chercher le sens caché des mots, on en oublie le superflu. On en oublie l’ironie voltairienne. Nulle part dans les médias n’a été rappelé que le chef symbolique de l’Otan, c’est Donald Trump. Oublierait-on que les relations entre les présidents français et américains sont tendues ? Ainsi, quand Emmanuel Macron déclare que l’Otan est en « état de mort cérébrale », ne sous-entend-il pas aussi et de façon plus triviale que Donald Trump est un con?



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