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« Bohemian Rhapsody »: un film sur Queen qui ne fait pas monter le Mercury

Un crime de lèse-majesté


« Bohemian Rhapsody »: un film sur Queen qui ne fait pas monter le Mercury
Rami Malek incarne Freddie Mercury dans "Bohemian Rhapsody" (2018) de Bryan Singer. ©GK FILMS / NEW REGENCY PICTURES / COLLECTION CHRISTOPHEL

On ne savait plus quoi inventer pour relancer la franchise Queen, alors on a fait un film. Vingt-sept ans après la mort du chanteur du groupe, Freddie Mercury, le biopic de Bryan Singer avec Rami Malek, Bohemian Rhapsody, résonne comme un crime de lèse-majesté.


Tout a été dit sur l’extravagant Freddie Mercury, leader d’un groupe foutraque par excellence, poil à gratter des hit-parades des années 70 et 80. Ainsi donc, ils ont osé faire un film sur la légende de Queen, vingt-sept ans après la mort de son chanteur charismatique survenue en 1991, à l’âge de 45 ans. Autant d’années pendant lesquelles les membres restants auront exploité le filon royal jusqu’à épuisement (compilations, remasterisations, live inédits, album avec un autre chanteur, versions symphoniques, comédie musicale, etc.) pour ranimer une sorte de magie. Il ne restait plus que la piste du cinéma pour rendre à nouveau attractive la franchise Queen et son rock’n’roll circus. L’acteur Rami Malek – qui a plutôt un profil à jouer Prince – s’est vu confier la tâche impossible d’incarner le moustachu le plus célèbre de l’histoire du rock pour, au résultat, un biopic qui coule à pic dans le mélo le plus adipeux.

Ce film exprime en effet – bien plus qu’il n’illustre les années 70-80 – toute la quintessence des tares généralisées de nos années 2010 : l’art de revisiter (le film comporte au bas mot une demi-douzaine d’erreurs historiques assumées pour des convenances scénaristiques…), la culture de l’émotion (regards enfiévrés, sentiments surjoués), l’infantilisation de masse (le film réussit la prouesse de se terminer en happy end, sur le concert vertigineux donné en 1985 au Live Aid, évitant ainsi d’aborder les thèmes de la maladie, de la déchéance physique et de la mort, trop anxiogènes pour le public sans doute), la quête de l’identité sexuelle (Freddie pense qu’il est « bi » mais sa copine lui dit qu’il est homo, un trémolo dans la voix), etc. Le tout filmé comme une pub pour bagnole.

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On ne s’étonnera pas avec tout ça que les spectateurs couronnent d’applaudissements un tel divertissement au moment du générique de fin (incompréhensiblement, il n’y aura pas de standing ovation dans ma salle), comme s’ils pourraient dire demain à leurs enfants et petits-enfants : « J’y étais ! » (au Live Aid de Bohemian Rhapsody…). Un générique qui survient comme une blague alors que tout un pan passionnant de l’œuvre, de la vie du groupe, restait à traiter, avec en toile de fond ce sujet de la création artistique dans l’antichambre de la mort annoncée – cristallisée dans l’ultime chef-d’œuvre Innuendo -, si bien traité par Milos Forman dans le remarquable Amadeus. On n’imagine pas un biopic sur Michael Jackson se terminer en happy end sur son mariage avec Lisa Marie Presley, et pourtant. Les Queen, avec ou sans Freddie Mercury, sont capables de tout, définitivement. « She’s a Killer Queen » prévenait leur chanson, dont le refrain indique tout un programme appliqué à la lettre depuis sa création en 1974 : « Elle est une reine meurtrière / Poudre à canon, gélatine / De la dynamite avec un rayon laser / Garantie pour vous couper le souffle / A tout moment » (paroles traduites).

Pire : à l’occasion de la sortie de ce long-métrage, tout le monde feint, en France, de trouver Queen génial alors que le groupe incarnait la ringardise suprême aux yeux de beaucoup (Rock&Folk parlait du retour des « vieilles poupées » en 1989, le batteur de Noir Désir déclarait dans le magazine Best en 1992 que le mauvais goût absolu réside en la possession d’un album de Queen dans sa discothèque, etc.). Freddie et sa bande étaient d’ailleurs oubliés dans l’hexagone depuis belle lurette au moment de sa disparition (leur dernier succès ici restant « A Kind of Magic », de la bande originale du film Highlander, en 1986).

Queen n’avait pas besoin de Bohemian Rhapsody

Les rock critics ont toujours méprisé le quatuor baroque – ce que ne manque pas de rappeler une scène du film -, l’accusant de verser dans le pompier, le kitsch, la grandiloquence. Le look de hardos allemands tout droit sortis de Spinal Tap finissant de le décrédibiliser aux yeux des plus indulgents. Bref, Queen n’a jamais été un groupe sérieux (comprendre : il n’avait pas la bonne rock’n’roll attitude). Pour leur gouverne, on rappellera que Queen a pourtant été consacré en 2005 « groupe/artiste le plus populaire de tous les temps au Royaume-Uni », devant les Beatles et Elvis Presley. Et ça, c’est du sérieux.

Pour en revenir au film, hormis les défauts évoqués plus haut, quelques rares passages méritent tout de même d’être sauvés du naufrage : la conception en studio du morceau « Bohemian Rhapsody », la confrontation avec le responsable de la maison de disques (même si Mercury y est présenté comme un sale gosse arrogant alors que l’original semblait bien plus malin), les apparitions des chats et les scènes de concert. Ce qui nous amène au fameux final sur l’historique Live Aid, ici reproduit à l’identique dans sa quasi intégralité, climax en forme d’apothéose insurpassable. Cette valorisation de l’événement en dit long, car c’est la culture de l’entertainment qui est célébrée à travers ce « plus grand concert de rock au monde » (qui n’en est pas un puisqu’il a duré 20 minutes).

La prestation de Queen, ordinaire pour les fans à l’époque, a pris cette dimension post-mortem extraordinaire à partir de 2005 (la publication en 2004 du concert caritatif en DVD n’ayant pas été étrangère à cela), quand un collège d’acteurs de l’industrie du disque, d’artistes et de journalistes a élu cette performance « world’s greatest rock gig ». Cet acte à la fulgurance aujourd’hui intacte, parfaite, n’avait pas besoin d’une valorisation cinématographique bancale, censée lui donner un nouveau lustre mais produisant au final le contraire, avec un effet Canada Dry amer, dans le contexte d’un film sans âme, sans éclat, not made in heaven visiblement (sept années d’atermoiements, deux acteurs officialisés dans le rôle de Mercury avant d’être virés, trois réalisateurs titularisés à tour de rôle pour venir à bout du tournage, etc.).

Mais Bohemian Rhapsody cartonne au box-office.

Alors, à défaut de show, the business must go on pour Queen.

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est l'auteur de nombreux ouvrages biographiques, dont Jean-Louis Murat : Coups de tête (Ed. Carpentier, 2015). Ancien collaborateur de Rolling Stone, il a contribué à la rédaction du Nouveau Dictionnaire du Rock (Robert Laffont, 2014) et vient de publier Jean-Louis Murat : coups de tête (Carpentier, 2015).

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