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Cinq candidatures au poste de Premier ministre de Macron 2!

Jean-Paul Brighelli s’est coltiné leur débat sur LCI


Cinq candidatures au poste de Premier ministre de Macron 2!
Michel Barnier, Valérie Pécresse, Philippe Juvin, Eric Ciotti et Xavier Bertrand dans les studios de LCI, Boulogne-Billancourt, 8 novembre 2021 © BERTRAND GUAY-POOL/SIPA Numéro de reportage : 01047598_000015

Le premier débat ayant opposé Bertrand, Pécresse, Juvin, Ciotti et Barnier nous a donné à entendre des discours ministériels, pas présidentiels.


J’ai donc écouté le débat sur LCI des cinq candidats à la candidature LR. Comme près de 900 000 Français — un beau score pour la petite chaîne qui monte, à force de penser à rebours de ses concurrentes.

Les questions de Ruth Elkrief ou de David Pujadas avaient-elles été communiquées à ses interlocuteurs ? Aucune importance : elles étaient si bégnines, si loin de ce qu’aurait fait l’un de ces grands intervieweurs américains qui harcèlent leurs interlocuteurs, que cela ne faisait aucune différence.

Merci pour ce moment

J’ai entendu cinq candidats au poste de Premier ministre — mais à l’exception peut-être de Pécresse, qui dès le départ a posé le débat sur les hauteurs que l’on pouvait espérer, aucun président. Pour le moment.

Passons sur l’exaltation des maires de Juvin (plutôt que de s’élever, descendons au ras des « territoires »), les centrales nucléaires de Bertrand — une priorité que Macron mardi 9 lui a soufflée sur le fil —, la visite des quartiers Nord de Marseille et de la cité des Flamants en particulier des uns et des autres (une attribution de ministre de l’Intérieur qui sied à Eric Ciotti mais à laquelle ne répugne pas Bertrand, qui se tient en permanence avec le menton relevé comme un sergent-chef retour de cuite) et autres « premières priorités », comme dit Barnier qui reviendra en deuxième semaine à condition d’avoir appris à parler français. Mais qui a répondu à la crise de civilisation (réelle ou non, peu importe, mais ressentie profondément par les Français) sur laquelle surfe impunément Eric Zemmour ?

Pécresse veut s’attaquer à la bureaucratie

De Gaulle fut la grande référence in absentia — à trois jours de l’anniversaire de sa mort. Pécresse a invoqué les mânes de Sarkozy. Mais qu’est-ce qui a pris à Eric Ciotti de se réclamer de François Fillon ? On ne vise pas la magistrature suprême en invoquant le souvenir d’un perdant piteux. Et pendant que Pécresse veut dégraisser le mammouth de la fonction publique tout en renforçant le secteur scolaire — elle fut la seule (avec Juvin) à parler d’école, il y a chez LR un mépris des enseignants qui frise l’irrationnel ou la démagogie —, Ciotti saignera tous les secteurs, sauf la police. Cet aimable garçon devrait venir enseigner une semaine dans un collège Prévention Violence, au lieu de visiter des commissariats.

Juvin, lui, veut au contraire « remuscler » la fonction publique, prenant pour exemple ce que Borloo a fait à Valenciennes pour revitaliser les hôpitaux, dans un pays où près de 100 000 lits ont été supprimés en dix ans par des directions qui ne connaissent rien au médical mais sont des experts-comptables soucieux de ratiboiser tout ce qui les dépasse. Et Michel Barnier, adepte de la mécanique des fluides, pense dégraisser ici pour renforcer là, ignorant superbement les contraintes (de famille, de logement) des agents. Pécresse a précisé son projet : s’attaquer à la bureaucratie — ce merveilleux système kafkaïen français qui double ou triple chaque poste, multiplie les échelons intermédiaires, sur-vitalise les inspections diverses et tous les échelons intermédiaires. Bonne idée.

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Côté économie, Bertrand ne voit pas d’autre solution que d’« honorer les traites » tirées aujourd’hui par Macron. Pendant ce temps, on annule les dettes de nombreux pays — et d’ailleurs la reprise de l’inflation rendra plus confortable des remboursements qui ne seront pas plus menés à leur terme que la dette anglaise après les guerres napoléoniennes ou la dette allemande après les deux guerres mondiales : les grands pays savent toujours s’arranger avec les financiers. Mais voilà : la France est-elle encore un grand pays ?

Imagine-t-on le général de Gaulle parler de « flat tax »?

Pour l’imposition, Eric Ciotti est partisan de la « flat tax » : qu’il utilise le terme américain (que n’a-t-il utilisé l’expression française, « Prélèvement forfaitaire unique » ?) est révélateur de ses sources d’inspiration : America über alles ! Qu’en aurait pensé justement De Gaulle ? Pécresse, en ancienne ministre du Budget, préfère augmenter les petits salaires (qu’en est-il, Valérie, du dégel du point d’indice, dont l’immobilisation a fait baisser de plus de 20% en sept ans les salaires des enseignants ?) en éliminant une partie des charges sociales — tout le monde est à peu près d’accord sur le sujet.

Ce sont, à bien y réfléchir, des considérations parcellaires. Des discours ministériels, pas présidentiels.

Le candidat LR devra s’adresser à l’angoisse des Français : une grande nation minée de l’intérieur par des « communautés » revendicatrices, et agressée de l’extérieur par des pays qui prétendent reconstituer des empires — les États-Unis ou la Turquie. Voire par des nations qui tentent de pallier leurs problèmes intérieurs en faisant de la France un bouc émissaire — l’Algérie, par exemple.

Il est essentiel pour cela de réorienter l’Education, au sens large : l’idée de Pécresse de célébrer les héros du pays est sympathique, mais largement insuffisante. Le projet de Juvin de renforcer les fondamentaux est bonne — encore faudrait-il l’expliciter. Il faut réinventer l’Ecole, la ré-enchanter en taillant dans ces « libertés pédagogiques » qui n’ont d’autre sens que de démotiver les élèves en leur enseignant l’ignorance, comme dit Jean-Claude Michéa. Quand je pense que le SNUIPP, principal syndicat du primaire, parle de « caporalisme » du ministère quand Blanquer cherche à imposer en CP la méthode alpha-syllabique « Lego », alors que son efficacité a été prouvée après une expérimentation de grande ampleur à Paris et au-delà…

N’oublions pas de taper sur la gauche!

Il est enfin curieux qu’aucun candidat n’ait évoqué les projets des divers partis de gauche qui seront présents au premier tour : particularismes, islamo-gauchisme, pulvérisation des consciences faisant de chacun un pôle de décision narcissique. Les auraient-ils déjà passés aux pertes et profits ?

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Au final, chacun de ces impétrants fera un bon Premier ministre d’un Macron réélu par défaut — ou un ministre de l’un ou l’autre de ces candidats dont la différence est au final bien faible. Pendant ce temps, Zemmour caracole en jouant sur de grands principes un peu creux mais qui chantent à l’oreille des électeurs. Il va finir par se trouver au second tour — et se fera pulvériser par Macron. Quant à l’hypothèse Marine Le Pen, elle s’effrite chaque jour : certains des candidats LR (Ciotti par ses propositions, Bertrand par son langage gestuel) avec leur autoritarisme de façade lancent déjà une OPA sur les électeurs du RN, pendant que Zemmour grignote la petite entreprise clodoaldienne. Le RN, aspiré par la droite et siphonné par le « presque candidat », se défait chaque jour comme la tapisserie de Pénélope. Qui va ramasser les électeurs épars déboussolés par l’éparpillement du projet national ?

En l’état du débat, je voterais Pécresse, plus compétente et plus visionnaire. Mais si elle est désignée par son parti (ce dont je doute, les parlementaires savent qu’elle les tiendrait d’une main de fer et ils préfèrent perdre en préservant leur confort personnel), il lui faudra peaufiner son projet, et gagner un peu en altitude. Les chiffres c’est bien, mais la vision, c’est mieux.

Car enfin, la seule question qui compte, c’est de savoir qui pourrait l’emporter face à Macron. Ce ne sera ni l’héritière de la PME ex-FN (on a vu en 2017 ce qu’elle donnait dans un débat décisif), ni le présentateur de télévision qui n’aura pas plus de voix au second tour que ce qu’il en aura récoltées au premier. Et côté LR, ce ne sera pas l’adjudant de Hauts-de-France, ni l’ex-haut fonctionnaire européen, ni l’ex-adjoint au maire de Nice ou le président du Parti Populaire Européen. Il faudra un candidat de culture, avec l’expérience de la gestion d’un territoire représentatif, et une capacité de discours de rupture.




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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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