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« The final portrait », triste biopic de Giacometti

Il ne suffit pas de ressembler à Giacometti...


« The final portrait », triste biopic de Giacometti
"The final portrait"? HANWAY FILMS / COLLECTION CHRISTOPHEL.

J’étais seul dans la salle, mais j’ai tenu à le voir jusqu’au bout. Je parle de The final portrait, le film de Stanley Tucci consacré à Alberto Giacometti et sorti en France le 6 juin. La plupart des scènes sont des séances de pose. Giacometti aborde l’une de ses dernières peintures. Il s’agit du portrait de James Lord, un écrivain américain qui a tiré un roman de cette expérience.

Il ne suffit pas de ressembler à Giacometti

Tous ceux qui ont posé pour un artiste savent qu’il y a des longueurs. Dans le film aussi. On s’ennuie beaucoup. De ce point de vue, c’est bien rendu. La ressemblance physique de l’acteur principal avec Giacometti est réussie. Cependant, le personnage austère, solitaire et presque terne du vrai Giacometti a dû rebuter les scénaristes. Pas question de prendre le risque de présenter au public un type pouvant passer, vu de l’extérieur, pour un abruti travaillant à une vitesse d’escargot.

On nous a donc mis en scène – génie oblige – un Giacometti capricieux, ombrageux, imprévisible ! C’est un homme désinhibé qui gueule sans arrêt « Fuck ! » Sa sexualité, presque synonyme de fécondité artistique, est irrépressible et injuste. Il utilise d’étranges pinceaux à calligraphie chinoise. Il égrène sans chichi sa cigarette au-dessus des bocaux de térébenthine. Il peint en veste de tweed et cravate sans jamais se tacher. En somme, tout le contraire de Diego, son frère, un artiste besogneux qui sculpte des rogatons en simple blouse usagée.

Dévotion pour un petit nombre d’artistes

Cependant, le plus important est que la créativité de l’artiste apparaît comme une énigme bien plus épaisse que les saints mystères. Il fait des interventions bénignes sur sa toile qui le laissent épuisé. Il barbouille ce qu’on croyait achevé et recommence sans que l’on comprenne pourquoi. On ne voit pas le rapport, non plus, entre sa composition très stylisée, presque abstraite, et le modèle qui poireaute jour après jour en face de lui. Enfin, pour les matérialistes, les sceptiques et les récalcitrants, le réalisateur fait passer devant les caméras des paquets de billets de banque attestant de l’ébouriffante valeur des productions de l’artiste.

Ce film sur Giacometti n’est malheureusement pas un cas isolé. Il y a eu des films de qualité diverse sur Gauguin, Basquiat, Egon Schiele, Camille Claudel, Renoir, Vermeer, Van Gogh au pluriel, etc. Le public, qui peine parfois à trouver intérêt par lui-même aux œuvres d’art présentées dans les musées, s’avère souvent réceptif à ce genre de romance. À chaque fois, une approche hyperbolique de la personnalité de l’artiste est associée à une fétichisation de son œuvre. Cela dope la notoriété et la cote financière de quelques-uns, alors que de nombreux artistes anciens passionnants restent ignorés du public et même, très souvent, des spécialistes. La dévotion inconditionnelle pour un petit nombre d’artistes constitue un des travers les plus constants du monde l’art. Un travers auquel il faut résister !

The Final Portrait, un film de Stanley Tucci, avec Geoffrey Rush, Armie Hammer, Clémence Poésy et Sylvie Testud.



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est écrivain. Dernier ouvrage paru : Précipitation en milieu acide (L'éditeur, 2013).

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