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Affaire Sarkozy : la justice façon puzzle


Affaire Sarkozy : la justice façon puzzle

juges elisabeth levy daumier

Quel est le citoyen qui parvient à s’y retrouver dans le labyrinthe à la fois politique, judiciaire et médiatique de ces derniers jours ?

Pourtant, les choses n’avaient pas trop mal commencé.

Il y a eu la double page du Monde qui nous informait de l’ouverture, fin février, d’une instruction des chefs de violation du secret et de trafic d’influence susceptibles de concerner Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog son avocat et Gilbert Azibert premier avocat général à la Cour de cassation.

L’ancien président de la République avait été placé sur écoutes en avril 2013 dans une procédure relative à un éventuel financement libyen de sa campagne de 2007. Elles avaient révélé des échanges entre son conseil et lui au sujet de l’affaire Bettencourt et du rôle utile de l’ami de Me Herzog, Gilbert Azibert. Une sinécure à Monaco était évoquée au bénéfice de ce dernier.

Malgré les protestations de nombreux avocats dont certains pénalistes reconnus et la sollicitation du président de la République par le bâtonnier Sur, malgré l’intense soutien médiatique dont ils ont bénéficié – deux avocats du même avis au Grand Journal -, un reflux s’est très rapidement produit qui a fait apparaître leur cause comme une affaire corporatiste toute de solidarité professionnelle et amicale.

On a compris que le secret professionnel n’était pas un barrage hermétique dès lors qu’il était gros de telle ou telle infraction.

D’autant plus que d’autres avocats dont on a moins parlé – comme le célèbre Lev Forster et tel autre choqué par l’acquisition de portables sous de fausses identités – n’ont pas suivi cette ligne qui aurait quasiment assuré une totale impunité au barreau. Il faut saluer sur ce plan la courageuse réaction de la garde des Sceaux qui a énoncé cette évidence salutaire de l’égalité des citoyens devant la loi (TF1). Mediapart et Libération ne sont pas tombés dans le piège tendu et ont su ne pas confondre l’intérêt de la justice avec celui des avocats.

Mais pourquoi donc, en plus, ce mensonge totalement inutile proféré par le ministre de la Justice prétendant n’avoir pas été informée des écoutes de l’ancien président de la République ?

Il me semble percevoir les ressorts de cette dissimulation qui n’était susceptible d’égarer personne tant elle était en contradiction avec la pratique des rapports dans les dossiers signalés – partant du procureur, passant par le procureur général pour aboutir à la Direction des affaires criminelles et des grâces puis au cabinet du garde et évidemment à elle-même – et l’évidente importance de cette procédure où Nicolas Sarkozy avait été placé sur écoute.

On sait maintenant qu’au moins le 26 février, un rapport faisant la synthèse des écoutes avait été adressé au ministère de la Justice et que le Premier ministre en avait été avisé le même jour (Le Canard enchaîné). Et il est inconcevable que dans le même mouvement le président ne l’ait pas été.

Cette chaîne n’a rien d’extraordinaire. Si cette démarche parfaitement normale a été occultée par la garde des Sceaux – le ministre de l’Intérieur, pour sa part, n’aura plus besoin de travestir la réalité – sans doute a-t-elle, quand elle était interviewée sur TF1, cru prudent de ne pas dire la vérité par crainte d’aggraver le contexte intensément politique de ces derniers jours et de devoir subir les assauts d’une droite qui oublie son mépris de l’état de droit lors du quinquennat précédent pour se déchaîner à l’encontre d’une justice qui, ne la servant pas, fomente un complot et, lui complaisant, mérite d’être gratifiée. Pourtant, son mensonge a eu un effet dévastateur : il a fait passer une normalité pour un scandale.

Il était effarant d’entendre à « Mots croisés » Henri Guaino et Rama Yade qui, en moins bien, le copiait, s’en prendre à des magistrats accusés de tous les maux, parler de dossiers qu’ils ne connaissaient pas et, pour le premier, dresser des tableaux psychologiques et apocalyptiques de comportements judiciaires parfaitement valides et légitimes. Avec sa haine de cette justice, il est en train de fantasmer sur une justice de la haine qui n’existe que dans sa bouche et l’exacerbation d’une sensibilité ne tolérant pas qu’on touche Nicolas Sarkozy même du bout de la procédure. Gérard Davet tentait comme il pouvait d’expliquer sa démarche pourtant consubstantielle à une démocratie authentique et Eva Joly, techniquement impeccable, ne parvenait pas, avec sa parole maladroite, à contrer le tonitruant et volubile Guaino.

Il était dramatique d’entendre un élu du peuple, des responsables politiques, en l’occurrence de droite, scier la branche démocratique sur laquelle ils sont assis et ne pas s’imposer une réserve minimale à l’égard des institutions de leur pays.

Le président de la République a répondu à Christophe Régnard qui l’alertait sur la séparation des pouvoirs négligée par le bâtonnier Sur qu’il n’avait aucune intention de s’immiscer dans le cours de cette procédure et qu’il était prêt à recevoir l’un et l’autre. Cette habile manière de procéder clôturait bien la controverse.

Alors que la cause des avocats n’était plus un sujet car on lui avait répliqué de manière convaincante, pourquoi André Vallini, Philippe Houillon et Georges Fenech qui décidément est disponible pour toutes les propositions de lois quelle que soit leur substance, ont-ils résolu, pourtant, d’amplifier encore davantage le secret professionnel de l’avocat ? Autrement dit, de rendre à tout coup la justice impuissante en constituant celui-ci comme un citoyen vraiment à part.

Je ne vois pas la nécessité de ces futures dispositions alors que la loi actuelle protège déjà le secret professionnel comme Harpagon sa cassette. Démagogie, quand tu nous tiens ! Alors que le présent n’impose rien, on flatte pour l’avenir.

Les juges ne politisent pas la justice. Ce sont les politiques qui ne supportent pas sa normalité – à droite, ils en avaient perdu le goût et l’habitude durant cinq ans – et la politisent en portant sur elle un regard alterné, contrasté, critique ou reconnaissant. Depuis le mois de mai 2012, qu’on l’accepte ou non, la justice avance librement et les magistrats en profitent.

Même s’ils ne se battent pas assez pour que leur voix ne soit pas couverte par des gens qui détestent la justice sans la connaître et en ont peur tout en la méprisant, force est d’admettre qu’ils servent mieux la République que ceux qui s’abandonnent à un populisme antijuges de mauvais aloi.

Le citoyen pourrait espérer s’orienter dans ce labyrinthe si les politiques et certains médias n’éteignaient pas chaque jour la lumière.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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