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Mort, le Québec libre?


photo : greenhem

D’accord, les élections législatives au Canada, c’est moins fun que les révolutions arabes ou la transformation d’Oussama ben Laden en déjeuner pour requins. N’empêche que ce pays vient de subir un bouleversement politique exceptionnel dans une démocratie installée depuis longtemps, et qui n’est ni plus ni moins touchée par la crise économique que ses homologues en Amérique ou en Europe.

La surprise n’est pas venue de la reconduction au pouvoir, avec une majorité renforcée, du Premier ministre sortant conservateur Stephen Harper, même si ce néo-con bon teint, proche de George W. Bush, eût pu subir, par ricochet, le désaveu de ses amis politiques des Etats-Unis qui a conduit à l’élection de Barack Obama.

Cela ne s’est pas produit, car son bilan économique est apprécié par une bonne partie de la population, notamment dans les provinces qui jouissent d’une enviable prospérité, comme l’Ontario, l’Alberta ou la Colombie Britannique. Avec 39% des voix au niveau fédéral, il obtient la majorité absolue des sièges[1. le système électoral du Canada est calqué sur celui de la Grande-Bretagne (scrutin majoritaire de circonscription à un tour), qui amplifie en sièges une victoire relative en voix], ce qui lui permettra de mener à bien des projets qui lui tiennent à cœur, comme la révision de la carte électorale nécessaire pour que les provinces en expansion démographique soient plus justement représentées.

La nouvelle donne politique modifie les rapports de forces internes au sein de l’opposition. Le Parti libéral, qui a longtemps gouverné le pays en alternance avec les conservateurs, subit une sévère défaite. Eclaboussés par une série de scandales ces dernières années, les libéraux perdent la moitié de leurs sièges, et ne peuvent donc plus prétendre diriger l’opposition officielle.

Ce rôle est maintenant dévolu au dernier-né des grands partis politiques canadiens, le NDP (New Democratic Party), qualifié de « social-démocrate », en tout cas plus marqué à gauche que le Parti libéral, et même que le Parti démocrate aux Etats-Unis. Il triple le nombre de ses sièges et enregistre, pour la première fois de son existence, un succès impressionnant au Québec, où il était peu implanté jusqu’à ce jour.

Mais c’est sans doute le naufrage des indépendantistes québécois qui constitue le bouleversement le plus inattendu. Le Bloc québécois, parti francophone indépendantiste de la « Belle Province » et des minorités francophones des autres, reçoit une raclée historique passant de 47 sièges à seulement 4 au Parlement d’Ottawa.
Le NPD croyait d’ailleurs si peu à ses chances de remporter des sièges dans les bastions indépendantistes qu’il n’avait présenté des candidatures que pour la forme dans ces circonscriptions. Ces candidats, inconnus de la population, n’ont pas fait campagne et certains d’entre eux étaient même en séjour de longue durée à l’étranger, que leur succès inattendu va les contraindre d’interrompre.

La plus embarrassée des nouveaux élus NDP au Québec est Ruth Ellen Brosseau, 27 ans, qui vient de remporter le siège de Berthier-Maskinongé, une circonscription francophone pur sucre (d’érable) sur la rive nord du Saint-Laurent. La blonde Ruth Ellen ne s’est pas encore montrée en personne à ses électeurs, car son niveau de français est insuffisant pour pouvoir converser utilement avec ses mandants…Elle a donc été envoyée illico par le chef de son parti, Jack Layton, suivre un cours intensif de franco-québécois, langage savoureux mais rempli de pièges grammaticaux et sémantiques…

Quelle est la raison de ce tsunami politique, qui survient quinze ans seulement après le rejet, à un cheveu (50,58% de « non »), du référendum sur l’indépendance du Québec réclamée par le Parti québécois (PQ) ? Pourquoi ce « Québec libre ! » imprudemment promu par Charles de Gaulle en 1967 à Montréal subit-il aujourd’hui un rejet aussi massif de la population de la province ?
On se doutait bien, au vu des sondages d’avant l’élection législative, que NDP allait progresser au Québec, grâce notamment au charisme de Jack Layton, et à la popularité de ce dernier dans les communautés néo-canadiennes venues d’Amérique centrale, d’Asie ou des pays arabes. Son opposition à la ligne résolument pro-israélienne de Stephen Harper lui a aliéné le vote juif (surtout puissant en Ontario), mais rallié les communautés musulmanes francophones, notamment d’origine libanaise, dont le poids électoral est grandissant, notamment à Montréal.

Mais la Bérézina subie par le Parti québécois s’explique avant tout par ses difficultés propres. Souffrant d’un problème de leadership depuis la disparition de son fondateur, le charismatique René Lévesque, il s’est trouvé complètement désemparé et en panne d’idées après l’échec du référendum de 1995. Les changements sociologiques intervenus depuis (urbanisation, arrivée de populations dites « allophones ») ont fait évoluer les mentalités au détriment des indépendantistes, plus ruraux ou habitants des petites villes en déclin.
Les Québécois les plus dynamiques sont allés exercer leurs talents là où il y avait de l’argent à gagner : l’Alberta du boom pétrolier, Vancouver et son ouverture sur le Pacifique.

Comme la vitalité culturelle et artistique du Canada francophone ne semble pas en danger, que ses universités, ses éditeurs, ses chanteurs apportent leur contribution au bien commun de la langue et la civilisation française, on ne voit plus guère de raisons de s’accrocher à un rêve d’indépendance qui, manifestement, répond beaucoup moins aux nécessités du temps que par le passé.

Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que le clivage droite-gauche se substitue progressivement à l’opposition linguistique et ethnique. La Canada c’est l’anti-Belgique, et la preuve que les grands espaces rendent les hommes plus sauvages, certes, mais moins bornés.

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