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Euthanasie mode d’emploi

Si vous n’avez pas le courage, pourquoi voulez-vous qu’un médecin l’ait à votre place?


Euthanasie mode d’emploi
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La publication dans l’Obs d’une pétition en faveur d’une loi sur l’euthanasie, signée par une foule de grandes consciences et de bons esprits (Laure Adler, Clémentine Autain, Rachida Brakni, Annie Ernaux ou Najat Vallaud-Belkacem) a incité notre chroniqueur à donner son sentiment sur la mort, subie, provoquée ou déléguée. Pas gai, mais utile.


Le 13 mars 1990, le psychanalyste Bruno Bettelheim, bien connu pour La Psychanalyse des contes de fées et surtout pour son ouvrage fondateur sur l’autisme, La Forteresse vide, avale quelques hypnotiques et se passe la tête dans un sac plastique. Fin de partie, comme aurait dit Beckett. 

Et en toute connaissance de cause. Il avait 86 ans, il n’allait pas plus mal qu’un autre au même âge, mais il avait perdu sa femme, et sentait que ses facultés physiques et intellectuelles diminuaient sensiblement, après un AVC qui l’avait laissé à demi impotent. Et puis n’avait-il pas mené une belle vie ? Juif autrichien orphelin de père, il avait été l’heureux bénéficiaire en 1938 d’un séjour gratuit à Dachau puis Buchenwald. Libéré en 1939 à l’occasion d’une amnistie décrétée pour fêter l’anniversaire du Führer, il s’était exilé sans le sou aux États-Unis, avait remonté sa carrière à partir de zéro, et s’était fait connaître internationalement par des ouvrages fondateurs — donc intensément décriés. Il apparaît, plein d’humour, dans ce petit chef d’œuvre de Woody Allen intitulé Zelig.

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J’espère bien avoir assez de forces, quand justement elles diminueront, pour mettre en œuvre l’un ou l’autre des divers procédés d’auto-absolution que j’ai déjà à ma portée. Et j’avoue ne pas bien saisir l’objet de la pétition qui vient de paraître dans l’Obs, signée de tout ce que la France compte de grandes intelligences — si grandes que j’irais volontiers à leurs obsèques. Les signataires demandent au président de la République, dès qu’il en aura fini avec la question des retraites, de « tout faire pour que chacun, que chacune puisse finir ses jours comme il ou elle l’a décidé. Nous estimons que la loi française, qui interdit l’aide active à mourir, est injuste. »

Curieux raisonnement. Pourquoi diable légiférer sur l’euthanasie ? Dans un pays où le suicide n’est pas un délit, la mort est à portée de main. Peut-être vous rappelez-vous l’ouvrage maudit d’Yves Le Bonniec et Claude Guillon, Suicide mode d’emploi, paru en 1982. Il répertoriait toutes les médications accessibles sans ordonnance et qui permettent de passer l’arme à gauche. Dans la France mitterrandienne de l’époque, il fut condamné en 1987, et il est depuis interdit à la vente. 

Sinon, il reste la vieille technique romaine :

« Un vaste bassin d’or, où des eaux odorantes
Ornaient de leur parfum mille pierres brillantes,
N’y faisait éclater une valeur sans prix
Que pour y recevoir son sang et ses esprits.
Un de ses affranchis, Ministre de l’étuve,
L’a fait asseoir ensuite, à mi-corps dans la cuve ;
Et retroussant ses bras au grand éclat du jour,
A passé promptement le rasoir à l’entour.
Ses amis ont pâli voyant ouvrir ses veines
Qui d’une froide humeur étaient à demi pleines ;
Mais ce grand Philosophe à mourir disposé,
A vu courir son sang d’un esprit reposé.
Ne s’est non plus ému durant cette aventure
Que si d’un jour de fête il eût vu la peinture.
Amis, leur a-t-il dit, ne vous affligez pas ;
La vertu vous défend de pleurer mon trépas :
Vous n’y trouverez rien d’indigne d’une vie
Dont les plus grands du monde ont conçu de l’envie ;
Je meurs ; mais c’est sans crime ainsi que sans remords
Que du rang des vivants je passe au rang des morts. »

Ainsi Tristan l’Hermite raconte-t-il dans La Mort de Sénèque (1645) les derniers instants du philosophe, auquel son ancien disciple, Néron, avait ordonné de se suicider — réalisant ainsi le fantasme de bien des anciens élèves, les miens y compris. 

Mort assistée, technique d’époque. La légende raconte que Sénèque, en fait, se fit ouvrir les veines au début du repas offert à ses amis éplorés, les faisant comprimer par moments de façon à ne mourir qu’au dessert, afin de faire profiter l’assistance de ses dernières pensées — attention délicate.

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J’ai tout ce qu’il faut pour passer, comme on dit, de vie à trépas. Y compris deux amis dûment prévenus qui se sont engagés, en cas d’impossibilité technique de ma part, à s’assoir sur l’oreiller qu’ils auront posé sur ma tête. Ou m’injecter, comme dans ce magnifique film de Denys Arcand, Les Invasions barbares, quelques grammes d’héroïne pure — ou tout autre produit adéquat qui m’arrêtera le cœur. Et personne ne trouvera cela suspect. Ça meurt volontiers, un malade ou un grand vieillard.

Le problème, c’est l’hôpital. On n’est jamais seul dix minutes avec un mourant. Il faut alors compter sur l’intelligence des médecins, qui savent très bien, sans le claironner, augmenter les doses de tranquillisants jusqu’à ce que vous soyez définitivement tranquillisé. Pourquoi vouloir leur forcer la main ? Le serment d’Hippocrate enjoint de soigner, pas d’administrer le coup de grâce.

Étrangement — et la liste des signataires de L’Obs en témoigne — c’est devenu un débat droite / gauche. Admettons que certains aient des réflexes religieux — et il y en a aussi à gauche. Mais est-ce une raison pour refuser ou se refuser le geste ultime ? D’autant que la pitié témoignée à l’instant fatal évacue toute culpabilité.

J’ai quelques amis qui ont choisi, parfois jeunes, d’en finir avec la vie. Je n’ai jamais porté de jugement sur leur acte — c’est une décision qui appartient en toute propriété à l’individu. La formule imbécile de Vigny, « J’aime la majesté des souffrances humaines », n’est plus d’actualité ni pour les uns, ni pour les autres. La pharmacopée peut traiter 90% des douleurs. Pour les autres, il y a la solution de l’oreiller si vous êtes inconscient, du ralentisseur de rythme cardiaque si vous êtes ingambe. Ou du bon vieux poignard, tout le monde n’a pas le matériel pour se manger une balle.

Oui, mais, direz-vous, tout le monde n’a pas le courage du geste ultime au moment ultime… Ah oui ? Si vous n’avez pas le courage, pourquoi voulez-vous qu’un médecin l’ait à votre place ?

Mais après tout, disent les demi-habiles, on euthanasie bien nos animaux domestiques. Certes, mais justement, nous ne sommes pas des bêtes. La décision finale nous appartient. En toute conscience, si possible. En toute inconscience éventuellement. Et l’État, qui fourre déjà son grand nez dans un grand nombre de nos affaires, n’a pas à légiférer là-dessus.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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