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Faut-il avoir peur de l’éco-terrorisme?

En partenariat avec la revue de géopolitique “Conflits”


Faut-il avoir peur de l’éco-terrorisme?
Un activiste d'Extinction Rebellion appréhendé à Amsterdam aux Pays-Bas, février 2021 © Photo : Conflits / PAULO AMORIM/SIPA USA

Une vision radicale de l’écologie inspire de véritables milices de l’eschatologie climatique qui affrontent la société. La revue amie Conflits analyse cette nouvelle menace pour l’ordre public et la cohésion sociale, et cette insurrection qui revient là où on ne l’attendait pas forcément…


Signe du retour de « l’action directe », des heurts violents accompagnent de nombreux projets d’aménagement du territoire (Sainte Soline, Bure, Roybon ou Notre-Dame-des-Landes). Si l’écologie aiguillonne utilement le débat public, une vision radicale de celle-ci inspire de véritables milices de l’eschatologie climatique qui affrontent l’État. Ces affrontements passent, pour la plupart, inaperçus dans la presse nationale. S’ils sont évoqués, ce n’est que sous l’angle des arguments favorables ou opposés au projet. À la marge, les « casseurs », les « radicaux », les « militants violents » sont évoqués, unanimement décrits comme exogènes au mouvement dont l’action s’en trouverait ainsi polluée. Or, rien n’est plus inexact.

Cette violence, loin d’être marginale et accidentelle, est le fruit d’une stratégie consciente, théorisée, mise en œuvre par des organisations liées idéologiquement et sociologiquement à des groupes légaux. Revendiquant une légitimité de rupture, ces organisations s’inscrivent en marge du droit commun. Elles tirent profit des libertés des sociétés démocratiques (liberté de réunion, d’association, d’expression) pour mieux combattre les institutions et promouvoir un modèle anticapitaliste révolutionnaire. Si l’intensité de la violence peut faire débat en leur sein, l’usage de celle-ci, en revanche, n’est plus discuté. Le retour en force d’un avatar de la violence politique ancré dans la mouvance anarcho-autonome s’accompagne d’un projet séparatiste. Ses conséquences sont profondes et affectent la paix civile, mais potentiellement, aussi, la compétitivité de l’économie française et la souveraineté alimentaire dans un contexte de mondialisation économique agressive.

Un séparatisme qui bascule de la « désobéissance civile » à la violence

Si la non-violence a longtemps été un principe d’action dominant au sein des groupes contestataires depuis les années 1960, la question de la violence est, néanmoins, éternellement débattue. Les avatars de la violence révolutionnaire ressurgissent à chaque génération depuis le XIXe siècle. La violence de masse (émeute) et le terrorisme sont les deux spectres qui hantent les luttes sociales. Désormais orpheline des mouvements marxistes depuis 1991, la violence révolutionnaire redevient objet de débats lors des grands combats altermondialistes des années 1990 et 2000. Aux soubresauts terroristes de la Rote Armee Fraktion (RAF) et d’Action Directe (AD) répondent les violences collectives des sommets de Seattle (1999), Gènes (2001) et de l’OTAN à Strasbourg (2009) qui marquent la résurgence de l’insurrection tournant le dos au terrorisme de la génération précédente. Au tournant des années 2000, la réflexion sur la contestation anticapitaliste aboutit au constat de l’échec de la non-violence. L’écologie, partagée depuis sa naissance entre réformisme et action révolutionnaire, n’échappe pas à la règle.

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La « désobéissance civile » est une méthode de lutte qui jouit d’une réputation favorable dans l’opinion. Renvoyant à des combats et des figures emblématiques telles que Martin Luther King ou Gandhi, cette méthode de lutte naît aux États-Unis au XIXe siècle lorsque David Henry Thoreau refuse de payer l’impôt qui finance l’esclavage qu’il désapprouve. Il la théorise dans son livre Resistance to Civil Government [1]. Pour autant, si la désobéissance civile est, à l’origine, la résistance passive du citoyen refusant de se soumettre à une obligation légale, la pratique militante contemporaine va bien au-delà. Elle va de la simple obstruction à la liberté de circulation, jusqu’aux dégradations voire destructions d’installations ou d’entreprises dénoncées pour leur impact négatif sur l’environnement. L’attaque de l’usine Lafarge à Bouc-bel-Air le 10 décembre 2022 ou les destructions de réserves d’eau à usage agricole dans le marais poitevin (à ce jour 13 réserves ont été dégradées, voire détruites) découlent de la mise en œuvre de la doctrine de la « désobéissance civile » revisitée par les théoriciens et militants de la génération actuelle. L’esprit des promoteurs initiaux de la « désobéissance civile » qui voulaient que nul ne subisse de préjudice de leur action militante est bien mort.

Une bascule vers la violence

Cette bascule résulte de débats internes où s’est imposée la notion « d’urgence climatique » et son corollaire, la « légitime défense climatique » [2], qui porte comme un absolu le combat pour la défense de l’environnement devant lequel toute autre rationalité doit s’effacer. La notion de  « désarmement » (entendre sabotage) des outils qui « agressent » la Terre, promue par des philosophes tels que Andréas Malm [3] et la révocation, au début des années 2000, du primat de la non-violence sous l’influence, en particulier de Peter Gelderloos [4], accompagnent cette bascule conceptuelle.

La « route des chicanes » », qui traversait la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et était prétendument interdite à la circulation, 16 janvier 2018 © Sébastien Salom Gomis/SIPA

La violence réhabilitée se met au service d’un absolu mystique et politique : sauver « Gaïa », la « Terre-Mère [5] », sauvagement « agressée » par le capitalisme. Cet activisme nourri d’utopie repose sur une croyance presque mystique qui porte les militants (dont l’étymologie renvoie au champ sémantique religieux en désignant, au Moyen-Age, celui qui « …appartient à la milice de Jésus-Christ [6] ») à croire que le système s’écroulera sous l’impulsion d’une poignée d’activistes qui secouent la torpeur des citoyens asservis qui, les yeux ainsi dessillés, jettent leurs chaînes.

Ce militantisme en quête d’absolu réfute la légalité républicaine. Des groupes, à l’image des « Soulèvements de la Terre » ou du « comité invisible », militent pour l’instauration d’…

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[1] Désobéissance civile, universalis.fr

[2] https://lapenseeecologique.com/etat-de-necessite-droit-penal-climatique/

[3] Andréas Malm, Comment saboter un pipeline, Ed. La Fabrique. Voir aussi : https://reporterre.net/Blocage-desarmement-A-la-Zad-deux-jours-de-reflexion-sur-les-luttes: « Désarmer plutôt que saboter.  Dégrader du matériel durant une action de désobéissance civile est en effet une ligne rouge que beaucoup n’osent pas encore franchir. Mais face à l’impuissance des mobilisations citoyennes et non-violentes, comment aller plus loin ? Quels sont les risques encourus ? Quelles conséquences politiques sur les alliances avec les associations plus institutionnelles ? À Notre-Dame-des-Landes, ces questions ont agité moult débats durant lesquels le mot « sabotage » n’a été que rarement prononcé, les activistes lui préférant le terme « désarmement ». Une subtilité sémantique cruciale afin de bousculer l’imaginaire politique. »

[4] Peter Gelderloos, Comment la non-violence protège l’État. Essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux, éditions Libre, 2018.

[5] http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/fait-religieux-et-construction-de-l-espace/corpus-documentaire/gaia-hypothese-scientifique-veneration-neopaienne-et-intrusion

[6] https://www.littre.org/definition/militant



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Rédacteur en chef de Conflits, il dirige le cabinet de formation Orbis Géopolitique.

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