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Fillon au-delà des petites phrases ?


Fillon au-delà des petites phrases ?

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François Fillon est actuellement investi des espoirs de la droite déçue par Nicolas Sarkozy. Avec son honnêteté intellectuelle et sa liberté de ton habituelle, Philippe Bilger vient de faire de l’avenir de François Fillon une question d’ « espérance ». Sur ce point nous le comprenons, non que nous pensions que cette espérance soit fondée en raison (l’espérance n’ayant d’ailleurs pas forcément besoin d’un tel fondement)  mais parce que nous pensons comme Philippe Bilger qu’aucun autre homme politique à droite, parmi ceux qui ont actuellement l’envergure d’une candidature en 2017, ne donne les signes d’un quelconque renouveau. Or c’est bien de signes dont l’espérance a besoin et dont elle se nourrit. Fillon vient en effet d’en émettre plusieurs en direction d’une réaffirmation des principes de la souveraineté nationale, semblant ainsi renouer avec une inspiration séguiniste et gaullienne.  D’une part en promettant de revenir sur les 35 heures, instrument de la non-compétitivité française, ainsi que sur l’automaticité du regroupement familial, instrument de la désassimilation, d’autre part en réaffirmant dans la crise syrienne des principes essentiels de « realpolitik », contre l’humanitarisme abstrait de la diplomatie fabiusienne, enfin en se démarquant de la stratégie stupide pour la droite du front républicain, pour se déclarer en faveur d’un pragmatisme non sectaire ménageant des accords futurs avec le FN.

Mais l’espérance est-elle bien ce dont l’homme politique, fût-il homme d’Etat, a besoin, de la part d’élites et d’intellectuels qui le soutiennent ? N’a-t-il pas besoin au contraire d’un premier cercle qui le mette à l’épreuve, et d’une confrontation rationnelle permettant à son éventuelle valeur de se manifester ? Se précipiter sur les petites phrases de François Fillon, n’est-ce pas répéter ce qui s’est passé avec Sarkozy ? Et Fillon lui-même ira-t-il au-delà du « buzz » et de la stratégie médiatique des petites phrases et des transgressions, stratégie rappelant étrangement celle de Nicolas Sarkozy à l’égard de Jacques Chirac ? Pour l’instant, rien ne permet de l’établir rationnellement, tant certains des signes exprimés par François Fillon sont des revirements soudains par rapport à des positions antérieures, beaucoup plus établies. Fillon n’a-t-il pas été l’un des principaux défenseurs du front Républicain ? Croit-on qu’il suffira d’une petite phrase pour réintégrer le Front national dans le jeu républicain en se dispensant d’une réinterprétation totale du vote FN depuis 20 ans ? Sauf à déconcerter définitivement un électorat qu’on a habitué à considérer le FN comme antirépublicain et qu’on n’a pas cessé de culpabiliser pour son « populisme »… La droite est prisonnière (comme le PS dans une moindre mesure) de son discours passé et moralisateur sur le vote « populiste ». Les français ne se détourneront du vote FN que si l’homme d’Etat leur tendant la main s’avère capable de réinscrire dans un récit non culpabilisateur le fait qu’ils se soient tournés vers ce parti. Ce récit ne sera possible que s’il montre aussi qu’il y a des éléments rationnels dans ce vote, et non seulement des éléments « protestataires ». Voici ce que déclarait le grand historien allemand Ernst Nolte en 2002 dans un entretien : « 18% d’une population votant pour un homme comme Jean Marie Le Pen est quelque chose de révélateur et à prendre au sérieux. Cela n’est pas quantité négligeable. Ces citoyens expriment quelque chose qui doit alors être vu comme semi-légitime, comme ayant une sorte de légitimité. (…) Dans ce sens je crois que le Front national exprime une idée qui a certainement, elle aussi, un noyau rationnel. Il faut découvrir ce noyau rationnel et en répudier les exagérations. »

Tout ceci exigerait une remise en question et un travail considérable dont il reste à prouver que Fillon soit capable davantage que les autres… Cela exigerait aussi un mouvement d’enveloppement du FN un peu du même type que celui que Mitterrand avait réussi avec les communistes. En effet, ce qu’a réussi Sarkozy en 2007 ne réussira plus. Sarkozy lui-même s’est cassé les dents sur la tentative de rééditer cette stratégie en 2012. Il ne s’agit plus de « rallier » les électeurs du FN tout en se bouchant le nez. Il s’agit d’assumer une alliance électorale supposant un minimum de respect du partenaire. Mais pour cela, il faut rester plus fort que lui, c’est-à-dire proposer un discours plus convaincant dans les solutions qu’il apporte, et une incarnation au moins aussi puissante. Et qu’en sera-t-il des positions de Fillon sur la laïcité, sur l’Europe, sur l’Ecole, tous domaines dans lesquels il a autrefois avalisé des politiques dont les effets ont produit exactement les maux qu’il prétend combattre aujourd’hui ?

Tant qu’on ne reconnaîtra pas que la présence du FN oblige à repenser de manière fondamentale un certain nombre de questions, on n’avancera pas d’un pas, et le blocage de la pensée et de la vie politique française opérée par ce parti, et dont il est loin d’être le seul responsable, se poursuivra… Les petites phrases ne suffisent pas lorsqu’on entend recréer une véritable espérance, c’est-à-dire une espérance rationnelle. Ce n’est pas en une petite phrase qu’on pensera les conditions d’un arrêt de la désindustrialisation comme de la désassimilation française mais en repensant sérieusement les conditions de notre appartenance à l’UE et de notre adaptation à la mondialisation. Ce n’est pas en une petite phrase qu’on repensera les conditions d’un arrêt de la décomposition du système international si l’on ne prend pas la mesure du fait qu’elle n’est que le reflet de la décomposition de certains systèmes nationaux (dont le nôtre) et de l’émergence et du renforcement d’autres nations.

Malheureusement pour l’espérance et pour Philippe Bilger, il semble fort peu probable que la droite, et Fillon avec elle, fasse beaucoup mieux en trois ans que le Parti socialiste durant ses années d’opposition. Il semble fort peu probable qu’elle se mette au travail. La future Star Academy de l’UMP pour la présidentielle n’aura rien à envier à celle du parti socialiste. Il s’agira d’une querelle d’egos qu’aucun travail sérieux ne soutiendra, avec peut-être en toile de fond, un super ego qui tentera de rafler la mise…

Le discours de Marine le Pen sur l’UMPS a encore de beaux jours devant lui, ainsi que la dynamique dont continuera de bénéficier le FN.

*Photo : IBO/SIPA.  00666826_000007.



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Agrégé de philosophie, il est l'auteur d’Éloge du populisme (Elya éditions, 2012) et "Eloge de l'assimilation: Critique de l'idéologie migratoire" (Editions du Rocher, 2021)

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