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Une histoire du cinéma français

Une mythologie de monstres sacrés


Une histoire du cinéma français
Sacha Guitry et Jacqueline Delubac dans "Faisons un rêve" , de Sacha Guitry (1936) © NANA PRODUCTIONS/SIPA

Sous la direction de Jean-François Jeunet, les éditions LettMotif ont eu l’excellente idée de faire paraître Une histoire du cinéma français. Quatre tomes, un par décennie à partir de 1930, sont pour le moment parus. Ils retracent les trajectoires des étoiles du septième art, mais mettent aussi en lumière les acteurs et les films dont le brio ne fut pas assez reconnu…


Chaque année a droit à sa table des matières proposant un “film de l’année”, un “gros plan” et un ou plusieurs “coups de cœur”, un article sur un réalisateur, un autre sur un acteur, un autre encore sur une actrice, un dossier thématique (Les écrivains et le cinéma, Le cinéma sous l’Occupation, Cinéma et colonie, etc.). Un index complet est proposé à la fin de chaque tome. Les textes, écrits par Philippe Pallin (mort prématurément et auquel son fils François rend un très bel hommage à la fin du premier tome) et Denis Zorgniotti, sont riches sans être pédants et renseignent utilement sans jamais se perdre dans des considérations amphigouriques. De plus brèves chroniques (“Arrêt sur images”) ou de simples synopsis (“En accéléré”) signalent les autres films sortis la même année. Les vedettes sont naturellement mises en valeur. Des artistes oubliés et les cinéastes décriés et jugés sévèrement par les jeunes critiques des Cahiers du cinéma retrouvent les places d’honneur que Bertrand Tavernier leur octroyait déjà dans ses Voyages à travers le cinéma français (DVD Gaumont). La meilleure période du cinéma français s’étale ainsi devant nous dans une débauche de notes, de critiques, d’articles passionnants écrits par des passionnés.

De Clouzot à Verneuil, les films cultes à l’honneur

Il y a bien sûr quelques partis pris avec lesquels le cinéphile amateur peut être un peu, beaucoup ou passionnément, mais toujours bienveillamment, en désaccord. Le film de Tourneur, Cécile est morte (1943), mérite à mon avis mieux que la place mineure qui lui est réservée, mais il faut dire que les films de 1943 retenus pour être mis en exergue sont des sommets du cinéma français : Douce (Claude Autant-Lara), Le corbeau (Henri-Georges Clouzot), La main du diable (encore Maurice Tourneur), Goupi mains rouges (Jacques Becker), excusez du peu !

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Idem pour Gas-oil de Grangier dont Denis Zorgniotti écrit qu’il est un « honnête petit film, bon enfant et pépère ». Il est aussi, à mon humble avis, l’exemple parfait du film français capable de mettre subtilement en valeur le monde du travail, en l’occurrence celui des routiers indépendants, dans la France de l’époque (1955). Mais, d’un autre côté, on ne saurait reprocher à Zorgniotti de lui préférer Des gens sans importance (Henri Verneuil, 1956), magnifique film dans lequel Gabin tient à nouveau le rôle d’un routier confronté cette fois, non pas à des gangsters comme dans Gas-Oil, mais à l’amour (Françoise Arnoul) et à un destin dramatique, et auquel le critique attribue un “coup de cœur” joliment argumenté.

Philippe Pallin rappelle que la première adaptation cinématographique du roman de James M. Cain, Le facteur sonne toujours deux fois, est celle de Pierre Chenal : Le dernier tournant, réalisé en 1939, réunit à l’écran Michel Simon, Fernand Gravey, Robert Le Vigan et Corinne Luchaire. Qui se souvient de Corinne Luchaire ? Très peu de monde, et pour cause. Emportée à l’âge de vingt-neuf ans par la tuberculose, elle ne jouera que dans sept films. Son meilleur rôle sera celui de Cora, la femme adultère de Nick (Michel Simon), dans Le dernier tournant. Philippe Pallin, dans un long et bel article consacré à l’actrice, écrit : « Corinne Luchaire ne joue pas le rôle d’une femme fatale, elle est plutôt, au terme d’un renversement dramatique, la fatalité incarnée en femme, au-delà de ses rôles ».

Malheureusement, impossible de revoir cette actrice dans le film de Chenal, celui-ci n’existant pas en DVD. Profitons de cet article pour lancer un appel solennel aux éditeurs historiques restaurant encore de vieux films français (Gaumont, Pathé) et pour les prier d’exaucer les vœux des cinéphiles qui espèrent revoir un jour « les yeux de Corinne Luchaire, son regard sombre et embrasé à la fois », dans l’excellent film de Pierre Chenal.

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De 1930 à 1959, Renoir, Carné, Clair, Autant-Lara, Duvivier, Clouzot, Bernard, Guitry, Pagnol, Grémillon, Decoin, Tourneur, Becker, Autant-Lara, Cayatte, Allégret, Bresson, Tati, Verneuil, Grangier, etc., font tourner Danielle Darrieux, Michel Simon, Gaby Morlay, Jean Gabin, Harry Baur, Viviane Romance, Micheline Presle, Odette Joyeux, Raimu, Arletty, Louis Jouvet, Fernandel, Jules Berry, Michèle Morgan, Gérard Philippe, Pierre Brasseur, Ginette Leclerc, Pierre Fresnay, Suzy Delair, Fernand Ledoux, Charles Vanel, Jean Marais, etc. Impossible de les nommer tous, la liste serait trop longue tant cette époque déborde de talents. Raison de plus pour faire l’acquisition de ces trois premiers tomes de l’histoire du cinéma français et les ouvrir, au gré de son humeur et de la météo, comme on ouvre une armoire à souvenirs, d’histoires, d’images, de gueules (Simon, Gabin, Dalban, Roquevert, etc.) et de voix (Suzy Delair, Arletty, Fresnay, Servay, encore Simon, etc.).

Des seconds rôles inoubliables

En plus des synopsis, des explications scénographiques, des mises en perspective selon la situation sociale ou politique, des anecdotes de tournage et des biographies, chaque tome contient de nombreuses photos qui ravivent nos souvenirs. Celle qui illustre la couverture du premier est tirée du film de Renoir, La règle du jeu ; elle représente une très grande actrice, spécialiste des seconds rôles qu’on n’oublie pas, Paulette Dubost. Car ces ouvrages quasi-encyclopédiques n’oublient pas les grands seconds rôles sans lesquels ce cinéma n’aurait pas pu exister et qui manquent tant au cinéma actuel. Entre autres, l’extravagante Jane Marken – Une partie de campagne (Jean Renoir), Les enfants du paradis ou Hôtel du Nord (Marcel Carné), etc.

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Ou Gabrielle Dorziat, à laquelle Philippe Pallin consacre trois belles pages pour rappeler son arrivée tardive dans le cinéma à l’âge de cinquante-six ans et ses seconds rôles gigantesques, inoubliables, dantesques, grâce à « sa diction parfaite », «sa crinière léonine » et « son maintien presque militaire qui lui permettent de toiser rivales et rivaux (de Harry Baur dans Mollenard à Arletty dans La Chaleur du sein». Ou Louis Seigner qui est, écrit Pallin, « le plus bel exemple du grand second rôle, presque une spécificité française, l’acteur que l’on reconnait instantanément sitôt qu’il apparaît, même si ce n’est que pour quelques instants ». Et tant d’autres, seconds rôles et troisièmes couteaux qui « derrière les grandes vedettes, derrière les solistes, assurent la musicalité de l’ensemble, lui donnent sa chair, un peu à la façon de la section rythmique dans un orchestre ».

Hôtel du Nord, dans l’insouciance du Paris d’avant guerre…

On referme les trois premiers tomes de cette très complète et très documentée Histoire du cinéma français en n’ayant plus qu’une envie: découvrir ou regarder à nouveau un de ces films bénis des dieux du cinéma. Mais certains soirs, devant l’abondance de biens, on hésite. Après avoir lu le papier que Denis Zorgniotti consacre à Quai des orfèvres (1947) et à son personnage principal, l’inspecteur-chef adjoint Antoine (Louis Jouvet), cet « homme revenu de tout et surtout des colonies ; un homme solitaire et désabusé, fatigué du métier qu’il exerce et de ces affaires qui “finissent toujours en pipi de chat” », on reverrait volontiers ce chef-d’œuvre de Clouzot. Mais on reverrait bien aussi l’excellent film de Christian-Jaque, Un revenant (1946), « une peinture féroce de la bourgeoisie lyonnaise » dépeinte grâce à une distribution exceptionnelle (Louis Jouvet, Jean Brochard, Louis Seigner, Gaby Morlay, François Périer) et l’acidité des dialogues du redoutable Henri Jeanson, ici « au meilleur de sa forme ».

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Ou bien Les Vacances de monsieur Hulot (1953) de Tati, « une sorte de ballet parfaitement chorégraphié » et rehaussé par une bande-son impressionnante faite de bruits d’auto pétaradante, de messages ferroviaires rocailleux et incompréhensibles, de « vent s’engouffrant dans un hall d’hôtel », de discours radiophoniques mâchouillés et d’un poétique « fond sonore continu d’enfants en train de jouer ». Cruel dilemme ! Allez, zou ! on croit s’être décidé après avoir lu les pages consacrées à Hôtel du Nord (Marcel Carné, 1938), scénario d’Aurenche, décors de Trauner, « dialogues quatre étoiles de Jeanson », et puis Jouvet, et puis Annabella, et puis Bernard Blier et Paulette Dubost, et puis l’atmosphère du Paris populaire d’avant-guerre, « cette fameuse atmosphère qui a donné une des plus célèbres répliques du cinéma français », et puis, donc, l’immense Arletty. Finalement, de fil en aiguille, on regarde Circonstances atténuantes (Jean Boyer, 1939) pour avoir le bonheur de fredonner avec Arletty, Michel Simon, Andrex, Dorville et toute la bande, la célèbre chanson du film, Comme de bien entendu.

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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