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L’œil du tigre

"Stallone, profession héros", sur Arte


L’œil du tigre
D.R.

Arte diffuse gratuitement sur son site internet le documentaire « Stallone, profession héros » qui analyse l’explosion de la star planétaire au destin chahuté.


Le monde se partage en deux clans irréconciliables, les contemplateurs de Luchini et les adorateurs de Rocky. Je me classe, sans hésitation, dans la seconde catégorie. Les taiseux ont toujours plus à nous dire sur la marche du monde que les faux réactionnaires au discours glaiseux. Je préfère l’uppercut aux mots creux, le populisme sentimental à l’intellectualisme faisandé, le jogging gris à la soupe scolaire, le poing levé au doigt sur la couture électoraliste.

Ne pas vouloir paraître plus intelligent que l’on est, aller contre les courants dominants, ne pas craindre l’opprobre médiatique, voilà le secret des longues carrières estimables. Il faut résister à briller trop facilement au risque de se corrompre et de lasser. On ne quémande pas l’admiration du public par des pirouettes télévisuelles. Elle advient par le miracle de la transposition, par la puissance des rôles et une interprétation sans graisse. Le dépouillement et le dénudement sont un chemin de croix dangereux, plein de crevasses et de déveines. Celui qui n’accepte pas la déroute professionnelle est indigne des professions aventureuses.

Rocky vaut toutes les philosophies occidentales

Bien peu d’acteurs atteignent cette ascèse qui permet de croire aux personnages, l’espace de quatre-vingt-dix minutes, dans une salle obscure. Une forme de vérité qui n’agresse pas, qui n’explique pas, qui ne soumet pas, qui montre l’homme misérable se débattant dans son biotope. L’universalisme de Rocky vaut toutes les philosophies occidentales. Son apparente simplicité d’esprit et son manichéisme rageur auront eu plus d’impact sur nos vies que des envolées au lyrisme calculé.

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On aime Rocky parce qu’il tombe et se relève, parce qu’il nous entraîne dans sa geste chevaleresque, dérisoire et superbe, parce qu’il réussit, malgré le clinquant d’Hollywood et son vernis commercial, à nous émouvoir et à ne pas salir nos émotions primaires. Il parle bas et grave. Ses paupières sont lourdes d’une enfance qu’il ne parvient à panser. Il est si caricatural et fracassé que sa sincérité éclate à l’écran. Sa détresse nous touche en plein cœur. La musique aux intonations patriotiques de Bill Conti sonne comme un appel au sursaut, au renouveau et, en même temps, son onde nostalgique nous étreint. Les rues de Philadelphie en ce mois de novembre 1975 sont souillées de détritus. La misère se respire à plein nez. La crise pétrolière étend son planisphère. Les p’tits papiers volent au vent mauvais. Rocky porte le chapeau et la veste en cuir. Il erre sur les docks. Il fait des pompes une main dans le dos. Il se saigne les phalanges sur le sac de frappe. Il drague maladroitement.

Ce héros du rêve américain brisé n’insulte pas les classes populaires. Il ne gémit pas. Il encaisse les coups avec la politesse du désespoir. Les échecs et les victoires de Rocky seront, à l’avenir, nos bornes existentielles. Nous y reviendrons toujours pour y glaner un peu d’espoir et de hargne, d’allure et de courage, d’amour et de vérité. Et puis, il y a Adrian (Talia Shire) à la beauté désuète avec son carré gras, ses lunettes à monture papillon et son cardigan poisseux. Celle-là, nous allons l’aimer à la folie pour le restant de nos jours. « Les films sur la boxe ne marchent jamais » répétaient, à l’envi, les producteurs des années 1970. Sylvester Stallone va faire démentir le système. Jusqu’au début du mois de juillet, le site Arte TV rediffuse gratuitement le documentaire datant de 2018 signé Clélia Cohen et Antoine Coursat qui retrace les grandes étapes de la construction du mythe Stallone.

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Générations perdues

De Rocky à Rambo, du gringalet au musculeux, du fils d’un coiffeur immigré italien autoritaire à la superstar eighties, du porno soft à Brigitte Nielsen, du quartier Hell’s Kitchen à la villa de Palm Beach à 35 millions de dollars, du corps souffreteux à la révélation physique, de l’acteur complexé au scénariste accompli, Sly aura marqué notre adolescence par son opiniâtreté à déjouer le destin. Il est l’incarnation douloureuse et flamboyante de toutes les générations perdues. « On m’a toujours dit que j’étais stupide » a-t-il entendu, durant toute sa jeunesse. Par santé mentale, je choisis toujours le camp des stupides.

À voir sur Arte, jusqu’au 2 juillet 2022.



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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