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Garance, fille de France


Garance, fille de France

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« Vous aviez de bien jolies nasales », Mademoiselle Arletty. Cette voix syncopée, traînante, célinienne à souhait, d’ascendance banlieusarde les faisait tous tomber. Un mot de vous, un rire, et Paris fut à vos pieds. Directeurs de théâtre, dialoguistes, peintres, princes de sang et femmes du monde, vous en avez fait tourner des têtes… Comment résister à ce grésillement si érotique, cette manière de se foutre de tout, cette répartie foudroyante et toujours cet insondable mystère qui voilait si souvent votre regard ? Prévert disait que vous aviez « l’érotisme chaste ». Sans oublier la taille mannequin, une liberté de ton désopilante, un visage aristocratique et cette gouaille courbevoisienne, signe des esprits frondeurs et des écorchés. En  un mot, le charme français.

 « Je suis du peuple, c’est un honneur », répétiez-vous à l’envi. Vous, Léonie, fille d’un chef de dépôt de tramways et d’une lingère. Ce qui n’empêcha pas, un jour, l’Aga Khan de vous offrir un bracelet serti de diamants bleus. Des admirateurs, il en pleuvait, des amoureux aussi : certains vous coûtèrent même quelques semaines de liberté… à la Libération. Faut-il vous croire lorsque vous prétendiez que : « Moi, vous savez, j’étais faite pour passer dans la vie, pour ne même pas m’arrêter. » Pour un papillon éphémère, vous croulez sous les témoignages d’admiration. Vingt ans après votre disparition, la Cinémathèque française rend hommage au film de Marcel Carné, Les Enfants du paradis, jusqu’au 27 janvier 2013.[access capability= »lire_inedits »]

À cela s’ajoute la ressortie en salles d’une copie restaurée ainsi qu’une nouvelle édition DVD et Blu-ray. Mademoiselle, nous ne verrons que vous sur les grands boulevards en cette fin d’année. Robert de Laroche, aux éditions La Tour Verte, publie dans la foulée Paroles retrouvées, le script des entretiens enregistrés en décembre 1984 dans votre appartement du 14, rue Rémusat, quartier d’Auteuil. Ce  petit livre touchant ressuscite votre timbre de voix et votre étonnante scansion. Vous étiez pourtant bien mal en point, vous aviez déjà perdu la vue. Mais autour d’un verre de saint-estèphe et de quelques macarons, vous vous livrez à votre façon, pudique, taquine, légère et allusive. Car vous n’aimiez pas tellement les questions.

Pas du genre à vous allonger sur le divan comme tant d’actrices actuelles qui nous déballent leurs petits tracas et leur grande vacuité. Dans cet ouvrage, on retrouve cependant tous les jalons d’une fulgurante ascension ; on ne s’éternise pas trop sur les bas de la vie, à quoi bon ? On revient sur la Seine nourricière, l’école communale de Puteaux, la sténo chez Pigier et les premiers déchirements de la Guerre : un tendre ami disparaît, suivi du père. Pas de discours larmoyants, la vie reprend son cours, un jour tourneuse d’obus dans une usine de Suresnes, un autre mannequin vedette chez Paul Poiret. La roue tourne, la chance sourit, les rencontres font des carrières. La manière dont vous racontez votre engagement au théâtre des Capucines est à votre image, délicieuse et burlesque. Vous aviez changé de prénom en référence à une héroïne de Maupassant, une certaine Arlette : vous allez devenir Arletty, avec un y, sonorité anglaise oblige. Ce livre vaut également pour le défilé de personnalités ; tout le monde des arts et des lettres du XXe siècle y passe : Guitry, Céline, Aymé, Cocteau, Sartre,

Colette, Matisse, Laurencin, Carné, et puis vos partenaires, les monstres sacrés Michel Simon, Louis Jouvet, Jules Berry, Jean Gabin, Pierre Brasseur, Robert Le Vigan, Julien Carette, etc. On ne se lasse pas de vos bons mots, de vos expressions boulevardières : « Léonie, ça faisait femme de chambre » ; « Non, j’aime pas, c’est toc » ; ou ce savoureux conseil de Mistinguett : « Mets pas d’talons plats, ça baisse le derrière ». Si « Le verbe est dieu », comme vous aimez à le dire, alors vous étiez sa déesse.[/access]

Arletty, Paroles retrouvées, de Robert de Laroche, éditions La Tour Verte, 14 euros.

Les Enfants du paradis, exposition à La Cinémathèque française, jusqu’au 27 janvier 2013

Les Enfants du paradis, DVD (19,99 euros) et Blu-ray (24,99 euros), nouvelle édition restaurée, Pathé.

Décembre 2012 . N°54

Article extrait du Magazine Causeur



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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