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Le Japon de l’après Abe affronte une conjoncture plus difficile

À quelques mois de l'ouverture des Jeux Olympiques 2021


Le Japon de l’après Abe affronte une conjoncture plus difficile
Yoshihide Suga, Premier ministre du Japon, pendant sa conférence de presse du 16 septembre 2020. © Carl Court Pool/SIPA Numéro de reportage : 00981452_000008

Trois quarts de siècle après la défaite du Japon, le 15 août 1945, l’accentuation des rivalités géopolitiques en Asie orientale – sur fond de crise sanitaire, économique et politique – alimente un sentiment d’anxiété dans l’Archipel. Ce climat explique certainement qu’après l’inattendue démission pour d’authentiques raisons de santé de Shinzo Abe – Premier ministre japonais qui sera resté le plus longtemps au pouvoir depuis près de deux siècles -, le parti gouvernemental, le PLD, n’a pas longtemps hésité à lui choisir son successeur, en la personne de Yoshihide Suga, l’austère numéro deux du gouvernement, un homme politique non conventionnel qui ne tardera certainement pas à imprimer sa marque.


Continuité politique : la gérontocratie au pouvoir

Shinzo Abe avait dépassé le 24 août en matière de longévité au pouvoir son grand-oncle, Eisaku Sato (Premier ministre de 1964 à 1972). Son remplacement aurait dû n’avoir lieu qu’en septembre 2021, à l’issue de son troisième et dernier mandat à la tête du Parti libéral-démocrate (PLD). Dans l’urgence, Yoshihide Suga est apparu aux caciques de la formation comme le plus à même de poursuivre sa politique et surtout de protéger leur place. Cet homme, resté dans l’ombre, qui tenait d’une main ferme la machine gouvernementale, est un politique peu traditionnel, phénomène assez rare dans ce pays fondamentalement conservateur, et il ne manquera peut-être pas de surprendre son public. Élu président du PLD le 14 septembre avec 377 voix sur 5349, M. Suga n’appartient à aucune faction, et n’est le descendant d’aucune lignée d’hommes politiques. Fils d’agriculteur cultivant des fraises de la région d’Akita – au nord du Honshu, l’île principale -, venu à Tokyo effectuer ses études, qu’il a financées lui-même, il a décroché un poste de député en 1996 à l’âge de 47 ans. Il a grimpé les échelons dans le parti en se faisant remarquer comme bon tacticien lors des élections, et fut un homme politique adroit pour éliminer ceux qui n’allaient pas dans son sens. Promu ministre des Affaires intérieures et de la Communication par Abe lors du premier passage de ce dernier au pouvoir en 2006-2007, Suga s’est distingué par son combat pour faire baisser la redevance télé. Depuis, il ne cesse de dénoncer les tarifs jugés trop élevés des services mobiles dans l’archipel. Piètre orateur, ce manœuvrier des coulisses est apparu comme le « maître de l’ombre ». Derrière sa figure de clown triste se cache une grande mobilité d’esprit et il ne manquera peut-être pas de surprendre son public. La réforme ne semble pas être sa priorité. Sa priorité est clairement « le redressement de l’économie, la protection de l’emploi, la numérisation de l’administration ». Suga a aussi un penchant pour le secteur du tourisme pour lequel il se met en quatre : fervent partisan de l’ouverture de casinos, il est aussi le chantre d’une campagne de subvention du voyage à travers le pays baptisé « GoTo Travel » qui, selon lui, n’a pas contribué du tout à la propagation du coronavirus au Japon contrairement aux craintes des médecins.

La composition du nouveau gouvernement japonais ressemble presque à un club de retraités ! Seul le ministre de l’Environnement, Shinjiro Koizumi (39 ans) – «un fils de» – se détache de la majorité des autres ministres dont la moyenne d’âge est de plus de 60 ans. C’est un «gouvernement de travailleurs» assure le Premier ministre, Yoshihide Suga (71 ans). Par ailleurs, l’âge moyen des cinq principaux dirigeants de cette omnipotente formation qu’est le PLD dépasse 71 ans. Pas une femme dans ce quintette. Le vice-premier ministre et ministre des Finances du gouvernement Abe, Taro Aso, rempile. Il ne peut être dégagé malgré ses 80 printemps, sa mauvaise humeur et ses bourdes verbales. La raison de cette gérontocratie est en partie liée au vieillissement de la population, mais surtout aux règles du PLD selon lesquelles on ne peut pas accéder à la fonction ministérielle avant d’avoir gagné au moins cinq fois aux élections. Les rares exceptions sont les jeunes très populaires comme Shinjiro Koizumi, le fils de l’ex-Premier ministre Junichiro Koizumi.

Les femmes peuvent également bénéficier de dérogations, mais elles sont peu nombreuses. Si peu que les deux seules que Suga a fait entrer dans son nouveau gouvernement ont déjà figuré dans un précédent cabinet. Et l’une d’elles, Seiko Hashimoto, est à un poste temporaire, puisque cette ancienne sportive de 55 ans est chargée des Jeux olympiques, fixés du 23 juillet au 8 août 2021. En tout cas, il s’avère que Yoshihide Suga n’aime pas les voix critiques. Il vient de refuser d’entériner la nomination au Conseil scientifique du pays de six professeurs recommandés par cette institution. C’est la première fois qu’un chef du gouvernement refuse de tenir compte des recommandations du Conseil pour le renouvellement de ses membres. Dès son intronisation, Yoshihide Suga n’a pas hésité à ferrailler avec les sociétés de télécommunications et les intellectuels. Pour l’heure, la priorité reste d’assurer la survie de l’économie et de continuer sur la voie des réformes économiques, la troisième des flèches des « Abenomics ». Mais le Japon vit depuis des lustres avec une dette publique supérieure à 200% du PIB (elle a dépassé 250%) et cela ne l’a pas ébranlé plus que ça. Les défis à relever concernent le vieillissement de la population, la faiblesse des naissances et la démoralisation de la jeunesse. En parallèle, le nombre de mariages diminue. Mauvais signes pour la troisième économie mondiale, qui repose de plus en plus sur la robotisation accrue.

Malgré une bonne gestion de la Covid-19, des préoccupations sociales grandissantes

Sans avoir imposé de confinement, et sans avoir cherché à éradiquer le virus, mais plutôt à en circonvenir les foyers et à les isoler, le Japon peut pourtant se targuer de résultats quasi exceptionnels : 91 402 contaminations et 441 décès à la mi-octobre, qui témoignent de la très grande discipline des Japonais, « maniaques de la propreté » et de la forte pression sociale qui s’exerce sur chacun d’eux. Mais ces qualités indéniables ont leur revers. Ces pressions, conjuguées à la dépression provoquée par les pertes d’emploi parmi les travailleurs précaires, dont la majorité sont des femmes, ont fait bondir les taux de suicide de 8% en septembre. Autre sujet préoccupant : malgré le vieillissement de sa population, l’Archipel hésite toujours à faire appel à l’immigration, même choisie. C’est dans les chiffres de la naturalisation que la réalité éclate. Jamais peut-être l’Archipel n’a été aussi populaire dans le monde. Ses conditions de vie font envie dans toute l’Asie, voire le monde entier. Or une poignée d’étrangers accèdent à la naturalisation. En sept ans d’administration Abe, 64.788 étrangers sont devenus japonais dont 10.853 qui n’étaient ni chinois ni coréens. Dans le même temps, pour une population deux fois moindre, la France a naturalisé 772.563 personnes. En 2019, deux fois plus de personnes sont devenues françaises que d’autres sont devenues japonaises en sept ans.

Le Japon met un point d’honneur à organiser un maximum manifestations internationales, afin de dissimuler son déclassement relatif qu’il vit très mal : organisation du G20 à Osaka en juin 2019 ; Coupe du monde de rugby en septembre 2019 ; JO 2021; et peut-être l’Exposition universelle à Osaka en 2025. Il s’agit de rester dans la compétition mondiale du soft power – cette capacité à séduire, à influencer et à attirer sans le secours de la contrainte – face à Pékin et à Séoul qui se posent en compétiteurs farouches. On comprend dès lors l’obsession des Jeux Olympiques. Ceux de 2020 devaient être la vitrine de l’essor de la robotique et des prouesses de la haute technologie. Tokyo entendant montrer au monde le site de test du Maglev, le train magnétique à la vitesse de 500 km/h, en écho au Shinkansen lors des JO organisés par le Japon en 1964. À l’époque, ces JO avaient été vécus comme une revanche sur la capitulation de 1945 et le symbole du redressement du pays. Une partie de l’opinion vit même dans les exploits des sportifs japonais la reconversion civile des vertus militaires. Le volontarisme du gouvernement à l’égard des jeux contraste avec son immobilisme sur des questions sociales et sociétales.

La troisième économie mondiale ébranlée, mais pas fortement

Déjà fragilisée au dernier trimestre 2019, du fait de la hausse de la TVA qui a bridé la consommation, l’économie japonaise est…

>>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue Conflits <<<



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Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.

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