Accueil Édition Abonné Aurélien Taché: « Faut-il renvoyer les parents de l’assassin de Samuel Paty à cause de ce qu’a fait leur fils? »

Aurélien Taché: « Faut-il renvoyer les parents de l’assassin de Samuel Paty à cause de ce qu’a fait leur fils? »

Entretien avec le député Aurélien Taché


Aurélien Taché: « Faut-il renvoyer les parents de l’assassin de Samuel Paty à cause de ce qu’a fait leur fils? »
Aurélien Taché.© Hannah Assouline

Pour le député du Val-d’Oise, la France est largement responsable de la montée de l’islamisme parmi ses citoyens musulmans, relégués dans des quartiers pourris désertés par les pouvoirs publics. Sans oublier la coupable confusion entre islam et terrorisme et la laïcité radicale qui ne peut que heurter les croyances de nos concitoyens musulmans. Entretien.


Élisabeth Lévy. Vous êtes plutôt sans-frontiériste et partisan de la « laïcité ouverte ». L’assassinat de Samuel Paty a-t-il ébranlé certaines de vos convictions ?

Aurélien Taché. Au risque de vous étonner, elles ont plutôt été renforcées. Je crois profondément que, pour sortir de l’ornière, nous devons réaffirmer nos principes démocratiques et nos libertés. Il peut y avoir, dans l’islam, des conservateurs qui veulent que les lois ou la vie sociale soient plus conformes à leurs valeurs religieuses. Ce phénomène ne doit pas être pris à la légère, mais doit être distingué du terrorisme. Dans l’école publique française, la liberté d’expression doit être enseignée, les caricatures doivent pouvoir être montrées. Reste que, quand il y a des frottements entre les croyants et l’école de la République, comme c’est déjà arrivé dans notre histoire, il vaut mieux le régler par la liberté que par l’interdiction.

À lire aussi, Renée Fregosi: Contre l’islamisme: pas de «tenaille identitaire» qui vaille!

On a envoyé l’armée dans les églises ! On demande beaucoup moins aux musulmans aujourd’hui qu’aux catholiques d’hier.

La loi de 1905 consacre la victoire du camp libéral, plutôt qu’une laïcité radicale qui aurait exclu la religion de la société. Il faut adopter la même conception avec les musulmans.

Vous parlez de frottements, quand nous observons partout des affrontements. Il y a comme le dit Kepel un « djihadisme d’atmosphère », en tout cas une imprégnation islamiste. D’après les enquêtes, elle concerne un gros tiers des musulmans français, mais la moitié de la jeunesse. N’avez-vous pas minimisé le problème ?

Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais attention aux chiffres et aux effets de loupe. J’aimerais qu’on interroge sur ces sujets des jeunes d’autres milieux ou d’autres religions.

Ce ne sont pas des jeunes issus d’autres religions, comme vous dites, qui menacent Mila de mort.

Je vous assure que des jeunes filles qui se font insulter, maltraiter, violenter, il y en a dans bien des milieux ou l’islam n’existe pas, comme dans celui rural, populaire et très largement sécularisé où j’ai grandi.

Vous prétendez ne pas être dans le déni, mais vous voyez des problèmes partout sauf là où ils crèvent les yeux. Qui refuse de passer devant une Marianne dépoitraillée, qui menace les professeurs, qui insulte les prétendus blasphémateurs ?

Je soulignais juste que les comportements machistes ne sont nullement l’apanage des musulmans. Certes, l’islam radical pose un problème spécifique. Encore faut-il réfléchir aux racines du mal. Si l’intégration est en panne, c’est parce que la République ne met plus les mêmes moyens qu’avant dans l’éducation de sa jeunesse. De plus, au début du xxe siècle, on ne demandait pas aux gens de proclamer que la loi de l’État était supérieure à la loi de Dieu. Pour un croyant conséquent, cela n’a pas de sens.

Je vous l’accorde. Ce qui importe, ce sont les conséquences pratiques que l’on tire de cette hiérarchie intime : le respect (ou non) de la loi commune qui implique de ne pas imposer la sienne à ses concitoyens et coreligionnaires.

En effet, mais ceux qui ne respectent pas la loi ou les enseignements dispensés à l’école vivent toujours dans des endroits où on a désarmé le service public et affaibli le tissu associatif.

C’est une blague ? Ce sont des associations financées par nos impôts qui incitent les jeunes musulmans à ne pas se mélanger avec leurs compatriotes – qu’ils appellent « les Français ».

Il faut faire le tri et sanctionner, ou a minima cesser de financer celles qui exercent une influence néfaste. Mais on ne va pas traquer celles qui ont une attitude un peu conservatrice dès lors qu’elles ne se livrent pas à un prosélytisme démesuré et ne montrent pas de porosités avec des groupes violents, car ce serait tout simplement antidémocratique.

Depuis trente ou quarante ans, on a laissé les enfants issus de l’immigration dans les quartiers les plus pourris où ni vous ni moi ne voudrions vivre

Je me demande ce qu’est un prosélytisme mesuré… Passons. Primo, vous raisonnez en marxiste qui croit que tout se résout par la croissance des forces productives. Et deuxio, alors que de nombreux responsables musulmans dénoncent l’idéologie victimaire qui a conduit leur jeunesse dans le mur, vous en rajoutez sur la République qui n’a pas tenu ses promesses. Trouvez-moi un pays plus généreux que la France…

Je ne suis pas du tout d’accord sur ce dernier point. Depuis trente ou quarante ans, on a laissé les enfants issus de l’immigration dans les quartiers les plus pourris où ni vous ni moi ne voudrions vivre. Et toutes les études confirment qu’on a cinq à sept fois moins de chance de trouver un emploi quand on a un nom à consonance étrangère, surtout si on est un garçon. Il faut se demander pourquoi ces gamins n’arrivent pas à trouver leur place.

Peut-être parce qu’on ne les encourage pas à se battre pour l’obtenir. J’ai rencontré hier un député LREM d’origine marocaine, personne ne lui a offert ce qu’il a sur un plateau.

On trouve toujours des exceptions.

Mais il y a des millions d’exceptions, des musulmans et des immigrés ont trouvé leur place dans la société française sans réclamer qu’elle change pour eux.

Je n’ai jamais dit que tout allait mal, mais que les problèmes s’expliquent en grande partie par nos insuffisances. Et même si c’est à la mode, je ne dirai pas que tous les musulmans sont radicalisés ou en voie de l’être…

Mais qui dit cela ? Heureusement, les gens prêts à tuer sont une infime minorité. Mais dans la majorité silencieuse, combien acceptent la liberté de penser et de critiquer telle que nous la concevons ?

Que des jeunes nés en France ne comprennent pas la distance critique témoigne d’un recul qu’on doit essayer de comprendre. Cela ne tient pas aux spécificités de la religion musulmane. En France, c’est la première concernée parce que, pour les autres, le boulot d’acculturation a été fait il y a un siècle. Mais aux États-Unis, en Inde ou ailleurs, ce sont eux qui sont persécutés. Alors ne me racontez pas que c’est une question de culture ou de théologie.

Il existe des évangélistes meurtriers, des bouddhistes fanatiques et des terroristes juifs, mais ce sont aujourd’hui des islamistes qui ont déclaré la guerre à notre civilisation et tentent de gagner les musulmans à leur cause. Et ils y sont en partie parvenus.

Les islamistes ne sont pas les seuls à mêler religion et politique ni à tenter d’imposer leur foi à l’école, comme en témoigne la guerre du créationnisme aux États-Unis. Or, dans tous les cas, ce mélange peut conduire à l’acceptation de la violence. Le terrorisme d’extrême droite, suprémacisme blanc ou autre, tue dans le monde. En Allemagne, c’est celui qui tue le plus. Et pourtant personne ne s’interroge sur ses liens avec des groupes religieux ou politiques extrémistes.

On a tout à fait le droit de détester l’islam. Mais qu’on ne raconte pas que c’est une manifestation admirable de laïcité.

Nous avons fait le tour de ce désaccord. Cependant, le premier reproche que je vous ferai, c’est de tracer un signe d’égalité entre la critique, voire la détestation de l’islam et le racisme antimusulman, avec la thématique de l’islamophobie.

Je n’ai jamais dit ça ! On a tout à fait le droit de détester l’islam. Mais qu’on ne raconte pas que c’est une manifestation admirable de laïcité. La laïcité ne consiste pas à honnir une religion.

L’enjeu, aujourd’hui, est moins la laïcité que la liberté.

Oui, mais on n’est pas crédible si on défend la liberté d’expression et d’enseignement tout en reniant les libertés des autres. Si vous attaquez la liberté de croire ou de se voiler, vous affaiblissez votre propre discours. Et ce qui se passe aujourd’hui est encore plus grave : on s’assoit sur les libertés, sur l’indépendance de la justice, on demande à la police d’aller faire peur à tel ou tel, comme s’il s’agissait d’une milice privée, on place une religion sous surveillance.

On n’a pas placé une religion sous surveillance ! On surveille quelques dizaines de mosquées sur les 2 500 que compte le pays. Mais venons-en à la question migratoire. Est-il légitime que des tribunaux français obligent l’État à accueillir des migrants qui n’ont aucun titre à être accueillis, en particulier les faux mineurs isolés ?

Il y a là une question réelle. Faut-il pour autant remettre en cause tout le système ?

Oui, si tout le système est dévoyé par la transformation du droit d’asile en filière classique d’immigration.

Ce n’est pas le droit d’asile qui a été dévoyé, mais nos politiques migratoires qui sont défaillantes. Aujourd’hui, les gens demandent l’asile, même s’ils n’y ont pas droit, parce que nous n’avons plus aucune autre voie d’immigration légale en France. C’est complètement hypocrite alors que nous avons besoin d’un minimum d’immigration professionnelle et que nous faisons travailler des sans-papiers dans le BTP et la restauration. De plus, une fois que les migrants ont demandé l’asile, on les laisse dans la nature en leur payant une allocation. On devrait les laisser travailler tout de suite, comme en Allemagne, leur donner une décision rapide et renvoyer ceux qui doivent l’être…

Aurélien Taché.© Hannah Assouline
Aurélien Taché.© Hannah Assouline

Si on renvoie des dizaines de milliers de gens, vous serez le premier à hurler !

Non, quand les gens viennent d’arriver, qu’ils n’ont pas construit de famille et de vie en France, bref que rien ne justifie qu’ils restent, cela ne me pose aucun problème. Mais faut-il renvoyer les parents de l’assassin de Samuel Paty à cause de ce qu’a fait leur fils (qui s’est, je le répète, radicalisé en France où il est arrivé à l’âge de six ans) ? Sur les quelque 50 000 Tchétchènes résidant en France, on compte quelques dizaines de radicalisés. C’est toujours la même logique de recherche d’un bouc émissaire.

Je ne suis pas partisan de flux migratoires incontrôlés ou massifs

Au-delà des questions de droit, il y a la coexistence des cultures, le fameux vivre-ensemble. Vous voyez bien qu’on n’arrive déjà pas à intégrer des jeunes Français, alors faut-il vraiment charger la barque en accueillant des gens qui ne parlent pas notre langue et ne partagent pas notre façon de vivre ?

Plus on est éloigné culturellement du pays où on immigre, plus le travail est long et compliqué, et plus la politique publique d’intégration est déterminante. Je ne suis pas partisan de flux migratoires incontrôlés ou massifs, mais il ne faut pas toucher au droit d’asile, et il faut se donner les moyens d’intégrer ceux que nous accueillons. En rédigeant mon rapport sur ce sujet en 2018, j’ai découvert que les réfugiés avaient droit à 200 pauvres heures de français.

Mais on peine déjà à apprendre le français aux Français. Surtout, quand on accorde l’asile, c’est-à-dire la protection de nos lois, à des gens qui les retournent contre nous, nous avons le sentiment d’être pris pour des idiots.

Eh bien, il faut renvoyer les gens qui font cela ! Ceux à qui nos libertés ne plaisent pas ne sont pas les bienvenus. Reste à se demander pourquoi ça se passe si mal chez nous.

Mais ça se passe mal aussi en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Suède. Angela Merkel et David Cameron ont reconnu que le multiculturalisme avait échoué. Mais pour vous, on peut venir en France comme chez McDo : comme on est ! La culture française doit-elle, selon vous, avoir des droits particuliers en France ?

Mes peintres préférés sont Moreau et Redon, mes chanteurs Gainsbourg et Biolay, mes auteurs Camus ou Bataille… et je suis un grand amateur de cuisine du terroir et de pinard ! La culture française, je la vis au quotidien et la transmettrai à mes enfants si j’en ai un jour, parce que je l’aime. Mais comme pour les libertés, le meilleur moyen de la défendre est aussi de défendre le droit de ceux qui arrivent à garder la leur. Je suis totalement opposé à ce que l’on culturalise la citoyenneté ou la nation, notamment par crainte du « mainstream » et d’uniformisation… et l’identité française, c’est l’esprit de résistance de Jean Moulin ou de générosité de l’abbé Pierre, pas la soupe au cochon !

Nous sommes le seul pays à ne pas s’intéresser sérieusement aux questions postcoloniales

C’est aussi la soupe au cochon… Mais vous avez également affirmé qu’on devait « pouvoir soutenir la pensée décoloniale sans être taxé d’indigénisme ». Or cette « pensée » (qui est plutôt une idéologie) postule que, primo la France ne regarde pas son passé en face et que, deuxio, elle reconduit une situation coloniale. Ce sont des contre-vérités.

D’abord, si le travail de mémoire a été fait sur Vichy et sur la participation française à la Shoah, il n’en va pas de même pour la colonisation – et je ne mets nullement les deux phénomènes sur le même plan, la spécificité de la première est entière. Reste que, sur la colonisation et encore plus sur ses conséquences, le travail de mémoire et d’histoire n’a pas été poussé jusqu’au bout. Nous sommes le seul pays à ne pas s’intéresser sérieusement aux questions postcoloniales. Résultat, elles sont récupérées et manipulées par des militants politiques parfois « décérébrés ».

Depuis 25 ans, vous (et pas mal de journalistes) serinez à la jeunesse des quartiers que la France a commis des crimes contre eux et leurs parents. Ça les a menés où ?

À quoi l’assimilation a-t-elle mené leurs parents ? Ils étaient maçons ou OS et ne revendiquaient pas. Mais ça n’a pas aidé leurs enfants à réussir. Et aucun politique ne s’est intéressé à eux.

Pendant toutes les années Mitterrand, la dénonciation de la France raciste et la compassion pour les immigrés maltraités a été le fonds de commerce de SOS racisme et du PS. On a exalté les différences culturelles au lieu d’essayer de les réduire.

Je vois surtout une instrumentalisation paternaliste et infantilisante des immigrés. On disait « Touche pas à mon pote ! », mais une fois les élections passées, ce ne sont pas « les potes » qui étaient élus députés ou nommés ministres, mais les apparatchiks du Parti socialiste qui s’étaient ainsi offert une bonne conscience à bas prix sans régler aucun problème. On a jeté cette jeunesse dans les bras des islamistes, ou des Dieudonné. En 2017, Macron avait de l’or entre les mains avec La République en marche, et 400 000 personnes qui n’avaient jamais fait de politique. Ils auraient pu apporter un œil neuf, tout en renouant avec l’éducation populaire telle que la pratiquait le Parti communiste – mais aussi l’Église à travers la Jeunesse ouvrière chrétienne – dans les années 1970. Voilà pourquoi je veux réenchanter l’idéal démocratique et le porter là où c’est difficile. Même si je suis assez seul sur ces sujets.

Vous n’êtes pas seul, vous avez les islamo-gauchistes de la France insoumise avec vous !

Démocratique, j’ai dit ! Or la VIe République de Jean-Luc Mélenchon a toutes les chances de se transformer en Comité de salut public à durée indéterminée… et le robespierrisme n’a jamais été ma tasse de thé.

J’observe avec désolation qu’aujourd’hui, en France, beaucoup de gens ont peur de l’islam

Blague à part, on peut vous faire crédit de votre courage, car votre voix est aujourd’hui très isolée.

Oui, je n’ai aucun doute là-dessus. Ma famille politique a finalement complètement laissé tomber la bataille des idées, la vôtre a repris le flambeau. Mais j’entends bien me battre – contre vous – pour ce à quoi je crois. J’observe avec désolation qu’aujourd’hui, en France, beaucoup de gens ont peur de l’islam. Et beaucoup cèdent à la pression sociale. Je ne céderai pas.

Novembre 2020 – Causeur #84

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Théorie du genre et transgression en peau de lapin
Article suivant La Pologne est un pays hospitalier, ouvert et solidaire, quoi qu’en dise l’UE
Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération