Accueil Culture Compassion, pères et vol

Compassion, pères et vol

Inscrits dans les gènes


Compassion, pères et vol
© Baltel - Biosphoto/ Michel Gunther/ AFP

Empathie envers certaines espèces, attachement d’un père à son fils, destruction du vivant comme faisant partie intégrante du patrimoine génétique humain… Peggy Sastre et sa rubrique scientifique dans Causeur nous disent tout.


Qui se rassemble se protège

Allez, vite, sans réfléchir : si vous ne pouvez en sauver qu’un, lequel choisissez-vous ? La crevette ou le renard ? L’orang-outan ou le barracuda ? Le bolet ou le crapaud ? Le ver de terre ou le coussin de belle-mère (c’est un cactus) ? C’est à ce genre de dilemmes qu’Aurélien Mirallès, Michel Raymond et Guillaume Lecointre, chercheurs au Muséum d’histoire naturelle de Paris et à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier, ont soumis 2 347 internautes entre novembre et décembre 2018. Le but de la manœuvre : dresser la première cartographie évolutionnaire de l’empathie et de la compassion humaines face à d’autres êtres vivants (animaux, végétaux et champignons). À quelles bestioles (sur une liste de 52, présentées aléatoirement en duo) sommes-nous le plus à même de nous identifier ? Lesquelles suscitent le plus nos élans protecteurs ? Il en ressort que ce n’est ni leur taille, ni leur joliesse, ni même ce que nous percevons de leur vulnérabilité qui nous fait craquer, mais bien leur proximité avec notre branche phylogénétique. En d’autres termes, plus l’ancêtre que nous avons en commun est récent à l’échelle de l’évolution (que nous en ayons ou non connaissance), plus nous aurons l’impression de reconnaître et/ou de comprendre leurs sentiments et émotions (empathie) et plus nous aurons envie de leur laisser la vie sauve (compassion). Sans grande surprise, le haut du palmarès est ainsi trusté par les primates – chimpanzés (avec lesquels nous avons divergé depuis 6,65 millions d’années), gorilles (depuis 9,06 millions d’années) et orangs-outans (15,76 millions d’années) – et la queue de cortège rassemble cnidaires (méduses et anémones de mer), champignons et végétaux (du haut de notre ancêtre commun avec le coussin de belle-mère, 1,496 milliard d’années nous contemplent). Selon les scientifiques, l’empathie pourrait avoir été profitable aux premiers hominidés en leur permettant de mieux anticiper les réactions des mammifères sauvages, que ce soit pour les chasser ou jauger leur humeur et le danger qu’ils pouvaient représenter. Quant à nos élans de compassion, c’est peut-être grâce à eux que nos ancêtres ont eu l’envie de secourir des animaux blessés, affamés ou orphelins… et initier ainsi une longue chaîne de domestication réciproque.

Référence : tinyurl.com/LaPrimeAuPlusProche

Comment on fait les papas ?

D’un point de vue biologique, comment expliquer l’attachement entre un père et son enfant ? Chez l’humain, une hypothèse largement partagée fait de l’amour paternel un produit du lien conjugal : parce que les petits humains sont fragiles et dépendants bien plus longtemps que ceux d’autres espèces, dans la nôtre, la sélection naturelle a souri aux mâles et aux femelles capables de s’allier le temps qu’il fallait pour assurer la survie de leur progéniture. Partant de là, les mâles les plus passionnés par leurs rejetons ont été logiquement les plus heureux en matière de transmission de leurs gènes à la postérité. En bref, d’abord vint le couple, et ensuite le père. Une étude menée sur près de 200 chimpanzés observés durant toute une année dans les forêts du parc national de Kibale en Ouganda pourrait cependant complexifier le tableau tant il semble que la paternité y existe tout en se passant très bien de la conjugalité. Plus précisément, il s’avère que les jeunes chimpanzés aiment non seulement traîner avec leurs frères, mais aussi avec leur géniteur. Et même davantage : si les frères (surtout maternels) ont pour habitude de marcher, dormir et manger ensemble, les pères et les fils ont celle de s’épouiller, ce qui dénote des liens plus étroits. Chose pour le moins surprenante, vu que les femelles chimpanzés coïtent avec plusieurs mâles au moment de leur ovulation et n’ont (jusqu’à preuve du contraire) aucun moyen de savoir qui les a effectivement fécondées. Reste que les tests génétiques effectués par l’équipe d’Aaron Sandel, anthropologue aux universités du Michigan et du Texas, ne trompent pas : lorsqu’ils quittent les bras de maman et vont se confronter au vaste monde – comme chez beaucoup de primates, les femelles chimpanzés naissent, vivent et meurent au pays, tandis que les mâles se dispersent quand ils atteignent leur maturité sexuelle, soit vers 12 ans –, les garçons taillent la route en privilégiant effectivement des compagnons de leur génération avec lesquels ils partagent au moins 25 % d’allèles et des aînés qui en affichent 50 % au compteur. Comment s’effectue la reconnaissance ? Les scientifiques n’en ont pas la moindre idée, mais si ces observations se confirment, elles indiqueraient que l’attachement paternel chez l’humain, associé à des liens conjugaux durables et à une sexualité relativement exclusive, pourrait avoir évolué à partir d’un système social et reproductif semblable à celui des chimpanzés actuels.

Référence : tinyurl.com/OuEstTonPapa

Origines de l’extinction

Selon la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), nous serions aujourd’hui au beau milieu d’un effondrement sans précédent et accéléré de la biodiversité, menaçant d’extinction pas moins d’un million d’espèces. Avec, c’est désormais connu, l’activité humaine comme cause principale de cette catastrophe. Pour une équipe de chercheurs suédois, britanniques et suisses, notamment spécialistes de paléobiologie, de sciences de l’environnement et de bio-informatique, cette manie qu’a l’humain de saccager le vivant serait salement ancrée dans son patrimoine génétique vu que les premières extinctions de masse semblent remonter à 4 millions d’années, c’est-à-dire un paquet de temps avant l’apparition d’Homo sapiens. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque, nos ancêtres hominidés semblent avoir commencé à maîtriser une stratégie qui leur fera autant grossir le cerveau qu’elle réduira les populations de grands carnivores dans l’est de l’Afrique : le kleptoparasitisme, soit le fait de piquer sa barbaque au prédateur qui l’a chassée. Une technique qui pourrait avoir poussé les concurrents de nos très lointains ancêtres à la famine, puis à la disparition.

Référence : tinyurl.com/VoleursDeSteak

Février 2020 - Causeur #76

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent “Revenge porn”: l’affolement
Article suivant Si je glande? Affirmatif!
Peggy Sastre est une journaliste scientifique, essayiste, traductrice et blogueuse française. Dernière publication, "La Haine orpheline" (Anne Carrière, 2020)

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération