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Crise italienne: le pari risqué de Salvini

Le "parti du non-vote" reste majoritaire au Parlement


Crise italienne: le pari risqué de Salvini
Giuseppe Conte (à droite) regarde Matteo Salvini au Sénat, à Rome, le 20 août 2019 © Gregorio Borgia/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22369163_000005

Salvini a fait éclater le gouvernement poussé par ses excellents sondages. Un pari très risqué tant le « parti du non-vote » (grillistes, démocrates de centre-gauche, voire certains berlusconistes) freine des quatre fers pour empêcher la dissolution des chambres. Députés et sénateurs annoncés perdants en cas de retour aux urnes n’ont aucune envie de se faire hara-kiri.


Le gouvernement Conte est officiellement tombé hier soir. Lors de son grand oral au Sénat, le président du Conseil a accablé son ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, l’accusant d’à peu près de tous les maux : déloyauté, irresponsabilité, inhumanité… En moins de deux semaines, le chef du gouvernement est redevenu le héraut du Mouvement 5 étoiles (M5S) auquel il a imposé début juin la reprise du TGV Lyon-Turin, au nez à la barbe des parlementaires grillistes. Depuis sa démission, Giuseppe Conte est unanimement applaudi par les cadres du M5S qui louent son courage, son sens des responsabilités et son respect des institutions, autant de qualités dont ils estiment dépourvu « le traître » Matteo Salvini.

Course contre-la-montre

En faisant éclater le gouvernement, le ministre de l’Intérieur a fait un pari risqué. Car si la Lega caracole en tête des intentions de vote dans les sondages, la quasi-totalité des groupes parlementaires s’oppose à de nouvelles élections. Pas seulement parce que l’actuelle mandature a théoriquement quatre ans devant devant elle. Ni parce que le vote du budget à l’automne devient pressant, sans quoi les Italiens devront subir une hausse record de la TVA (+25%) synonyme de coup de massue fiscal. Avec les conséquences que l’on imagine sur la consommation et la croissance. Non, ce qui dicte l’attitude des uns et des autres dans la crise est bien plus prosaïque : les enquêtes d’opinion.

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Les élections européennes ont annoncé la couleur. En cas de législatives anticipées, les grandes tendances dégagées fin mai ont toutes les chances de s’accentuer. Au-delà des divergences idéologiques, deux camps aux contours parfois flous s’affrontent aujourd’hui en Italie : les partisans d’une dissolution du Parlement donc d’un vote immédiat et les tenants du statu quo parlementaire. Evidemment, le premier bloc regroupe les forces annoncées grandes gagnantes d’un éventuel scrutin : la Lega et son allié post-fasciste Fratelli d’Italia, débarrassé des oripeaux du MSI et annoncé à 7%, devant Berlusconi. Comme s’en amusait hier soir sa présidente Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia est l’unique « parti monogame » de la péninsule. Autrement dit, le seul à ne jamais dévier de sa stratégie : construire une coalition de centre-droite souverainiste, sans aucun compromis avec les partis de gauche (PD, voire M5S). Mais dans l’actuel Parlement, Lega et Fratelli d’Italia ne rassemblent qu’une minorité de centre-droit incapable de renverser un cabinet si l’ensemble des autres groupes se ligue contre elle.

Des berlusconistes anti-Salvini

Du côté des perdants annoncés des élections, le Mouvement 5 étoiles pèse aujourd’hui de tout son poids pour éviter un vote précipité. Sa déroute aux européennes se confirme sondage après sondage puisque le Parti démocrate, son possible nouveau partenaire de coalition, le dépasse désormais systématiquement. Il y a quelque chose de piquant à entendre les contempteurs des basses manœuvres d’assemblée, adeptes de la démocratie participative à travers leur plateforme interne « Rousseau », se muer en avocats zélés du régime parlementaire…

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De manière plus inattendue, un autre mouvement pourrait faire la différence et empêcher la dissolution : Forza Italia, le parti fan-club de Berlusconi, en perte de vitesse continuelle. Ses députés et sénateurs, qui représentent la troisième force parlementaire, se trouvent face à un dilemme cornélien : soit appuyer Salvini, au risque de perdre leur fauteuil (les sondages président deux tiers d’élus berlusconistes en moins par rapport à 2018), soit soutenir un nouveau gouvernement M5S-PD. A première vue farfelue, cette hypothèse reproduirait la majorité hétéroclite qui a voté l’investiture de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, au grand dam des eurodéputés leghistes. Dans les rangs berlusconistes, de nombreux parlementaires récusent de plus en plus bruyamment le souverainisme de Salvini et plaident à mezzo voce pour un gouvernement tripartite euro-compatible. Un slogan américain leur siérait à merveille : « Four more years! » Le « Tout sauf Salvini » n’est pas toujours l’apanage de la gauche… Pour Forza Italia, ce ne serait pas une première, le Cavaliere ayant par le passé soutenu le gouvernement euro-technocrate de Mario Monti puis les premiers pas de Renzi au Palazzo Chigi.

La Lega (légèrement) affaiblie

Dans ce jeu à front renversé où chacun trahit sa parole de la veille, le Parti démocrate n’est pas en reste. Matteo Renzi, l’ennemi historique des grillistes, qui écartait toute alliance avec le M5S, appelle désormais à constituer un front anti-Salvini avec ses anciennes bêtes noires. On peut en dire autant de son adversaire intérieur Zingaretti, chef du PD, qui souhaite a priori éviter de nouvelles élections anticipées. D’autant que Renzi fomenterait une scission de l’aile droite du parti.

Aux dernières nouvelles, les sacrosaints sondages, qui ne sont qu’un reflet de l’opinion publique, décrivent un tassement des intentions de vote pro-Lega, aux alentours de 36%. Les arguments de Conte semblent avoir au moins partiellement fait mouche, Salvini étant jugé opportuniste par une grande partie de l’opinion. Qui sait si le Capitano ne révisera pas sa tactique en fonction de cette nouvelle donne?

Aujourd’hui même, le président Mattarella reçoit l’ensemble des groupes parlementaires afin de dégager une majorité alternative. En cas d’échec des tractations, deux options s’offrent au chef de l’Etat : constituer un gouvernement technique jusqu’aux prochaines élections, ou prononcer la dissolution des chambres. S’il ne souhaite pas s’imposer une cure d’opposition, Salvini peut nourrir un dernier espoir : miser sur l’échec des négociations entre grillistes et démocrates. La démocratie d’opinion a de beaux jours devant elle.



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