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La démocratie illibérale a-t-elle de l’avenir en France?

Selon Chantal Delsol, cela nous pend au nez


La démocratie illibérale a-t-elle de l’avenir en France?
Conservatisme en France... Illibéralisme en Europe de l'Est. Chantal Delsol avec Elisabeth Lévy.

Chantal Delsol, intellectuelle au « crédo » conservateur bien marqué, membre de l’Institut, répondait à Elisabeth Lévy dans l’Esprit de l’escalier sur la webtélé REACnROLL. Selon elle, si la France persiste dans le cosmopolitisme, l’indifférenciation et l’oubli des racines, l’illibéralisme en vogue ailleurs pourrait aussi avoir de beaux jours dans le pays.


Un long entretien avec Chantal Delsol est proposé cette semaine aux abonnés de REACnROLL. Elisabeth Lévy et son invitée se demandent d’abord si un électorat conservateur survit, ne se reconnaissant ni dans le Rassemblement national, ni chez Emmanuel Macron.

Puis, nous découvrons que les démocraties illibérales que l’on voit se développer en Europe de l’est sont une source d’inspiration pour l’intellectuelle Chantal Delsol. Elisabeth Lévy ne peut s’empêcher de songer aux inconvénients et aux dangers que pourraient représenter ces régimes…

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Chantal Delsol invitée sur RNR.TV
Chantal Delsol invitée sur RNR.TV

Un Esprit de l’escalier philosophique, certes, mais également très politique… dont Causeur vous propose de lire de petits extraits.

 

Verbatim

Elisabeth Lévy. Qu’est ce qui devrait réunir la droite ?

Chantal Delsol. Ce qui réunit la droite c’est le sens des limites. Pour moi la droite, c’est penser que tout n’est pas possible. Ce conservatisme, c’est la droite.

Elisabeth Lévy. Et vous pensez que vous pouvez faire rêver les jeunes générations simplement avec ça ?

Chantal Delsol. Je ne sais pas si on peut les faire rêver avec ça ! Mais « faire rêver » vient peut-être en second. Ne cherchons pas d’abord à faire rêver, car ce serait faire n’importe quoi, voyez-vous…

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Elisabeth Lévy. Vous n’insistez pas seulement sur la question des limites. Vous insistez aussi beaucoup sur l’héritage. Dans le texte que vous avez écrit dans le Figaro au lendemain de l’incendie de Notre Dame, vous disiez que [cet évènement] est bien la preuve que les Français veulent retrouver en partage un passé commun…

Chantal Delsol. C’est vrai. Mais au fond, cela revient au même. Nous, les conservateurs de droite, sommes des gens qui pensons aux limites car nous sommes justement assis quelque part, dans un endroit particulier, que nous pouvons définir.

(…)

Elisabeth Lévy. Vous connaissez bien la droite catholique. Vous parlez souvent des racines chrétiennes – notez que moi, cela me va très bien, les racines chrétiennes – mais je me demande…. Je me demande si dans ces milieux conservateurs catholiques, on ne commence pas à croire que c’est la laïcité le problème de nos jours, au fond ?

Chantal Delsol. (un peu gênée) Avec le problème musulman, effectivement, c’est la droite qui s’empare de la laïcité.

Elisabeth Lévy. (la coupant) Non ! je voulais dire, dans l’autre sens ! Est-ce que les catholiques ne seraient pas réticents à la laïcité [de nouveau] ?

Chantal Delsol. Les catholiques français sont conservateurs… Et parmi les conservateurs se cachent tous les réactionnaires. Ils sont très nombreux, croyez moi. Mais ils ne peuvent pas se déclarer comme tels dans la France actuelle. Je définis le réactionnaire comme quelqu’un qui veut revenir à avant. Les réactionnaires catholiques, que je connais bien, s’ils avaient le pouvoir (ce qui heureusement ne devrait pas arriver!) supprimeraient immédiatement le divorce, par exemple.

Elisabeth Lévy. C’est très minoritaire j’imagine…

Chantal Delsol. Ne croyez pas ça.

Elisabeth Lévy. Vous m’inquiétez un peu !…

(…)

Chantal Delsol. Nous sommes un pays qui se sent déclassé. Et comme une famille déclassée, un pays déclassé ne sait même plus quelle est l’urgence… Je ne sais pas si l’urgence c’est de restaurer l’identité ancienne ou de trouver une identité nouvelle, délivrée de tous ces complexes qui nous débordent de toutes parts…

(…)

Elisabeth Lévy. Dans votre enquête [La démocratie dans l’adversité, Editions du Cerf NDLR] vous parlez de la crise de la démocratie, laquelle serait victime de sa propre réussite, de son ubris, de sa volonté prométhéenne de se réaliser parfaitement ! Vous présentez en fait l’idée d’une démocratie radicale telle qu’elle est portée par l’extrême gauche, un accomplissement absolu de la démocratie. Ce qu’on entend aujourd’hui dans un certain nombre de discours [de cette radicalité NDLR], c’est la volonté de pousser l’émancipation jusqu’à l’arrachement en quelque sorte. L’arrachement non seulement au passé, mais aussi à tous les liens d’appartenance. Vous ai-je bien comprise ? Et comment naît alors la démocratie illibérale ? Est-ce qu’elle naît d’un peuple qui résiste à ce processus d’arrachement, un peuple réfractaire à cet « excès » de liberté qu’on lui impose ?

Chantal Delsol. L’illibéralisme est une forme de conservatisme. Tout d’un coup, des peuples affirment qu’il y a des limites. On en arrive là : il y a des limites à la liberté ! Evidemment, cela peut paraître inimaginable pour un progressiste. Un « progressiste » ne pose pas de limite à la liberté, et pense au contraire qu’il faut aller le plus loin possible. Liberté de circuler, liberté économique ou liberté sociétale : des peuples veulent désormais mettre des limites.

Elisabeth Lévy. (un peu interloquée) D’accord mais… Est-ce qu’il n’y a pas un risque de limiter la liberté de penser ?

Chantal Delsol. Il faut faire attention, car c’est effectivement un risque. Je pense qu’on peut en arriver là, je suis d’accord avec vous. Mais [tout de même] je pense qu’il y a des limites à la liberté, et cela me parait juste. Des limites dont il faut discuter, des limites qu’il faut négocier, il faut que ça reste ouvert. […] Je suis très intéressée par ce qu’il se passe en ce moment en Europe centrale, je rencontre des gens qui y tiennent un discours qui me paraît intéressant. Si vous regardez la Hongrie en ce moment, c’est particulièrement intéressant. Quand Orban est arrivé, la plupart des intellectuels étaient d’accord avec lui. Depuis, ils s’éloignent de plus en plus. Mais quand on creuse un peu, on s’aperçoit qu’au fond ils sont d’accord avec son programme, qui est plein de bon sens (par exemple, aider la famille, limiter l’immigration…). Les intellectuels sont d’accord avec lui sur le fond mais ils le repoussent actuellement… à cause de son incivilité !

(…)

Elisabeth Lévy. La démocratie illibérale est-elle notre avenir ?

Chantal Delsol. Si on continue à aller aussi loin dans le cosmopolitisme, l’indifférenciation et à arracher toutes les racines les unes après les autres, on finira par avoir ça partout : c’est évident. C’est trop insupportable.

(…)

Elisabeth Lévy. Dans votre livre, vous citez Paul Ricœur : « Chaque citoyen fut-il le plus mal loti par la nature et le plus vulgaire possède une dignité et un honneur auquel il tient à juste titre. Il possède aussi un bon sens qui le met au même niveau que le gouvernant pour décider du bien commun. La démocratie est fondée là-dessus, ou n’est pas. » Là, j’ai quelques remarques à vous faire. L’idée que les peuples seraient seulement victimes des manigances de leurs élites me gêne. Surtout que l’ambition de tous est de nos jours résumée par le « pouvoir d’achat »… Pensez-vous vraiment que les peuples veulent conserver cet « héritage » auquel vous tenez, et cette identité que vous défendez ?

Chantal Delsol. […] Je suis certaine que je n’invente pas ces aspirations des peuples à l’enracinement. Maintenant, c’est d’autant plus vrai en Europe centrale, où se concentrent des peuples qui n’ont jamais été sauvés que par leur culture. En France, c’est différent, nous avons toujours été sauvés par l’Etat. (…) Je crois à la démocratie. La démocratie, c’est de l’ordre de la croyance. La démocratie n’est pas quelque chose de technique, ce n’est pas une science… Je crois que le bon sens de l’homme ordinaire est aussi capable que la science de celui qui est champion dans la métaphysique des sphères… Je vous donne juste un exemple : jusqu’à 1989, les intellectuels français étaient en grand majorité marxistes, vous vous en souvenez comme moi. Peut-être pas tous staliniens, mais il y avait des communistes, des situationnistes, des trotskistes et toutes sortes de gens de ce genre. Pour moi, personnellement, c’était très dur par exemple de trouver un professeur de thèse qui ne soit pas marxiste. Mais le bon peuple votait Pompidou-Poher, lui ! Si on regarde les choses de loin à présent, on se rend compte que le communisme n’était pas une bonne affaire, on le sait maintenant de façon objective. Cela veut bien dire que le bon peuple ne se trompait pas alors que l’élite se trompait toute entière.

Retrouvez toute cette causerie et bien d’autres sujets en regardant l’épisode complet de l’Esprit de l’escalier avec Chantal Delsol sur RNR.TV

Elisabeth Lévy. Mais projetons-nous quelques années en avant – et je vous rappelle qu’à l’époque à laquelle vous faites référence, le « bon peuple » était peut-être un peu plus éduqué qu’aujourd’hui… – et venons-en aux gilets jaunes ! N’est ce pas un peu démagogique de dire aux gens que parce que des dirigeants se sont trompés et ont failli, il suffit de leur « bon sens » et il leur suffit de gouverner ?

Chantal Delsol. La compétence est nécessaire. La politique, c’est d’abord les situations exceptionnelles, difficiles, tragiques. Ce que je pense, c’est que quand il s’agit de décider s’il faut faire la guerre, résister ou collaborer, « Jojo » le gilet jaune sera aussi capable de savoir [que les diplômés et les élites NDLR] et de décider en son for intérieur s’il faut résister ou collaborer. Il ne fera pas plus de conneries que l’énarque.

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