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Comment on a (très discrètement) installé le drapeau français dans l’hémicycle du Sénat

Une histoire de la fierté nationale en France...


Comment on a (très discrètement) installé le drapeau français dans l’hémicycle du Sénat
L'hémicycle du Sénat en février 2018. SIPA. 00843851_000008

A l’heure où l’on célèbre l’honneur national autour de la figure de l’héroïque gendarme, Arnaud Beltrame, il est bon de se rappeler que ça n’a pas toujours été le cas. Encore très récemment, en 2015, le Sénat français se montrait lui-même assez frileux à l’idée d’exposer les couleurs de la République…


Assassiner des Français au hasard, dans leur vie quotidienne, ou pas au hasard quand ils sont juifs ou militaires, c’est s’en prendre à tous les Français en semant au plus près de chez eux la terreur.

Assassiner l’un des hommes de la gendarmerie nationale, c’est s’en prendre au fondement même de la nation en portant atteinte à ceux qui se sont engagés à la défendre pour garantir la pérennité de l’état de droit et de la démocratie.

Assassiner l’un des membres de la communauté juive, c’est s’en prendre au rêve de liberté, de paix et de justice qui conduit cette communauté à prier chaque semaine pour la République française lors de l’office du chabbat.

La guerre que l’Etat islamique, aidé par les réseaux salafistes, fomente sur notre sol, cette guerre qui vient de voir tomber en héros un colonel de gendarmerie donne un aspect particulièrement révoltant à l’incurable inconséquence  de nombre de nos responsables politiques.

De la culpabilité d’être Français

Si ceux-ci continuent de négliger l’importance et le rôle de la Nation, et d’en mettre l’emblème sous le boisseau, si, aveuglés par le multiculturalisme comme d’autres le furent hier par l’internationalisme, ils espèrent pouvoir maintenir une cohésion nationale en dehors du fait national, ils seront incapables d’imaginer une quelconque solution pour sortir le pays de la grave situation dans laquelle il s’enfonce.

L’éloge funèbre prononcé par le président de la République dans la cour des Invalides fut parfait. Mais qu’en penser, lorsqu’on se souvient de ses déclarations de campagne, à Lyon, sur l’inexistence de la culture française ? Qu’en penser, lorsqu’on se rappelle les propos qui furent les siens en Algérie sur la culpabilité française ? Ce n’est pas seulement au lendemain de la mort d’un héros que les Français, et notamment les plus jeunes, ont besoin qu’on leur parle de la nation, des hommes et des femmes admirables de son histoire, de la République, de la grandeur de ses principes. C’est tous les jours.

En juin 2016, Lilian Thuram, le champion du monde de football 1998, déclarait : « On exige des joueurs d’origine étrangère de montrer qu’ils aiment la France, qu’ils chantent La Marseillaise – comme si on avait un doute les concernant – alors même que la société nous a tous éduqués à avoir peur du drapeau, sauf à être taxés de FN ! » Si Lilian Thuram était passé derrière le rideau, il verrait que c’est dans l’ombre que nos politiques défont la nation.

En 2008, le Sénat refuse d’installer le drapeau français dans son hémicycle

Il y a tout juste dix ans, le 21 mars 2008, un sénateur avait écrit au président du Sénat, Christian Poncelet, pour lui proposer d’installer le drapeau de la République dans l’hémicycle comme cela avait été fait à l’Assemblée nationale.

Première réponse de ce président : « C’est une idée en effet qui a déjà été évoquée et qui a été réalisée dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Nous aurons également à l’aborder dans le cadre de l’organisation de l’accompagnement parlementaire de la présidence française de l’Union européenne. Il paraît peu concevable que le drapeau tricolore ne figure pas à côté du drapeau européen si la décision venait à être prise de dresser celui-ci au sein du Palais du Luxembourg. Pour l’instant, en tout cas, le Bureau consulté, n’a pas donné un avis favorable au pavoisement permanent dans l’hémicycle. »

Seconde réponse du même, une semaine plus tard : « Au terme d’un échange de vues approfondi et ouvert, le Bureau a décidé de ne pas donner suite à [votre] proposition. Il est en effet apparu que compte tenu notamment de la demande formulée par certains de ses membres de subordonner l’introduction éventuelle du drapeau tricolore dans l’hémicycle à son pavoisement concomitant aux couleurs européennes, les conditions d’une quasi-unanimité requises par une initiative aussi symbolique n’étaient pas réunies. C’est en espérant que vous comprendrez cette décision, qui s’inscrit dans le contexte de la prochaine ouverture de la Présidence française de l’Union européenne, que je vous prie de croire, cher Collègue… »

Fierté affichée en catimini

Qui oserait dire à la famille du colonel Beltrame et à celles de toutes les victimes des attentats qu’on espère qu’ils comprendront qu’on mette sous le boisseau l’emblème de la nation et de la République à cause de la prochaine ouverture de la présidence française de l’Union européenne ?

Au lendemain de l’élection de Gérard Larcher à la présidence du Sénat en 2014, le même sénateur revint à la charge avec sa proposition.

On aurait pu s’attendre à moins de frilosité du nouveau président qui avait choisi pour le renouvellement de sa candidature le slogan suivant : « Le Sénat peut relever la République ». On note au passage qu’aucun journaliste n’est venu lui demander, en fin de mandat, en septembre dernier, s’il avait le sentiment d’avoir rempli la mission qu’il s’était fixée trois ans plus tôt. D’autant plus que, durant ces trois années, la France a connu une série de terribles attentats commis par des Français contre d’autres Français.

Le drapeau tricolore fut finalement installé le 7 avril 2015, mais dans des circonstances chargées de neutraliser toute signification, toute fierté, toute affirmation le concernant. Les agents du palais installèrent au pied de la tribune, devant le banc des ministres, un grand fauteuil majestueux. Ce jour-là, le président Tunisien, Béji Caïd Essebsi, devait prononcer un discours devant la représentation sénatoriale – c’était trois semaines après le sanglant attentat au musée du Bardo à Tunis. On disposa donc, face au fauteuil où il allait prendre place, un faisceau de trois grands drapeaux sur pied : français, européen et tunisien au centre. Sur le plateau, l’équivalent du perchoir à l’Assemblée nationale, de chaque côté de la porte centrale par laquelle entre le président du Sénat, on accrocha une paire de drapeaux français et européens plus petits. Echanges de discours, applaudissements, ovation des sénateurs au grand complet. Quand la cérémonie fut terminée, les huissiers emportèrent alors le grand fauteuil ainsi que le faisceau des trois grands drapeaux. Quant aux drapeaux plus petits qui complétaient la décoration, on n’y toucha pas. Puis la séance, après une courte suspension, reprit avec son ordre du jour habituel. On ne s’était finalement aperçu de rien. Durant la cérémonie, la présence des petits drapeaux français (et européens) était indemne de toute intention autre que protocolaire et décorative. Une fois la cérémonie achevée, ils en étaient à peine les vestiges, donnant l’impression d’avoir toujours été là. Le tour de passe-passe était réussi.

Suivez Beltrame

Cette inconséquente ambiguïté du Sénat à l’égard des couleurs de la République est préoccupante. Comment, en effet, la question compliquée de la place de l’islam dans notre pays pourrait-elle être correctement posée et traitée sur fond d’autant d’incertitude et d’hésitation dans les convictions ?

Qu’est-ce qu’une éducation nationale quand des élus ne sont pas au clair avec l’idée nationale. Qu’est-ce qu’une école de la République quand des élus ne sont pas au clair avec l’idée républicaine ?

« Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons », aurait dit Victor Hugo. Devant l’urgente nécessité dans laquelle se trouve notre pays d’ouvrir de nouvelles prisons pour se protéger des musulmans radicalisés, on se demande s’il ne faudrait pas, pour nombre d’élus, qu’ils retournent sur les bancs de l’école pour se réapproprier, jusqu’à en faire la substance de leur engagement, les idées de nation, de République et d’intérêt général. Peut-être l’impressionnant courage du colonel Beltrame est-il le corollaire de sa réussite scolaire dans de véritables écoles. Inimaginable qu’il n’ait pas, durant ses études, rencontré et fait sienne cette distinction fondamentale de Romain Gary : « Le patriotisme, c’est d’abord l’amour des siens, le nationalisme, c’est d’abord la haine des autres. »



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Ancien collaborateur parlementaire, Jérôme Serri est journaliste et essayiste. Il a publié Les Couleurs de la France avec Michel Pastoureau et Pascal Ory (éditions Hoëbeke/Gallimard), Roland Barthes, le texte et l'image (éditions Paris Musées), et participé à la rédaction du Dictionnaire André Malraux (éditions du CNRS).

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