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Merkel: achtung, la droite revient!


Merkel: achtung, la droite revient!
Angela Merkel, octobre 2017. SIPA. 00828393_000001


Outre l’opposition résolue des populistes de l’AfD, entrés en force au Bundestag, Merkel devra composer avec un Parti libéral devenu très eurosceptique. Ce n’est pas seulement la chancelière qui sort affaiblie du scrutin, c’est l’Europe idyllique du couple franco-allemand.


Recul de la CDU/CSU, débâcle du SPD, entrée en force de l’AfD (droite populiste et anti-immigration) au Bundestag, et renaissance des libéraux du FDP en version nationaliste et eurosceptique : telles sont les principales conséquences du scrutin législatif du 24 septembre en Allemagne. C’est une secousse, mettons, de force 5,5 sur l’échelle de Richter qui enregistre les effets de la tectonique politique chez notre voisin d’outre-Rhin : sans provoquer une crise de régime dramatique, elle ébranle sérieusement le système en place depuis l’unification du pays en 1991.

La merkelomania qui sévissait en Europe et même au-delà de notre continent parmi les élites politiques et médiatiques avait fini par imposer l’idée que la chancelière allait, une fois encore, recevoir de son peuple un mandat sans équivoque, un dernier paquet-cadeau électoral entouré d’une faveur faite de reconnaissance et d’affection pour « Mutti », la mère d’une nation prospère et apaisée.

A droite, à gauche, à droite…

Les observateurs un peu plus au fait des réalités pouvaient cependant constater que l’action d’Angela Merkel au cours de la dernière législature n’avait pas fait que des heureux : ses palinodies au moment de la crise de l’euro, en 2008-2009 – d’abord on essaie de pousser les Grecs dehors, puis on consent à les garder tout en les étranglant avec constance –, a créé un ressentiment chez les partisans d’un ordo-libéralisme sans concession, nombreux et puissants à droite et dans les cercles dirigeants de l’économie. Le FDP, devenu gardien sourcilleux des règles budgétaires de l’UE et de la zone euro, et partisan de l’expulsion des contrevenants, s’est refait une santé et réintègre le Parlement.

L’attitude tout aussi versatile de Merkel dans la crise migratoire de 2015 – frontières grandes ouvertes aux réfugiés, puis arrêt brusque de la Willkommenkultur (« bienvenue aux migrants » !) devant la montée de la protestation populaire incarnée par le mouvement Pegida – a laissé des traces et s’est traduite par la montée en flèche de l’AfD lors des dernières élections régionales, particulièrement à l’est du pays.

La question sociale, celle des travailleurs pauvres oubliés de la nouvelle donne instaurée par les réformes Schröder de la dernière décennie, n’a pas réussi à s’imposer dans le débat public à l’occasion de ces élections : d’après les sondages, 78 % des Allemands se considèrent « satisfaits de leur situation économique personnelle » ! Dur, dur pour une gauche sociale-démocrate en porte-à-faux, partie prenante de la coalition au pouvoir, mais qui a fait campagne avec Martin Schulz pour plus de justice sociale, et se trouve soumise à la surenchère gauchiste de Die Linke et des Verts. La crise du SPD, qui a choisi le retour à l’opposition après sa défaite historique du 24 septembre, ne fait que commencer : l’affrontement entre les partisans d’une « corbynisation » du parti, qui rêvent du virage gauchiste du Labour britannique, et ceux de la poursuite de la ligne modérée et réaliste de l’actuelle direction est programmé pour les prochains mois, avec le spectre d’une marginalisation à la grecque, ou à la française, du plus ancien parti social-démocrate d’Europe, voire du monde !

La Jamaïque de gouvernement

En attendant, il faut bien que la première puissance économique de l’UE se dote d’un gouvernement, et le verdict des urnes ne permet qu’une seule possibilité : en route pour la Jamaïque ! C’est ainsi que l’on nomme, outre-Rhin, la coalition rassemblant la CDU/CSU (les noirs), le FDP (les jaunes) et les écologistes (les verts). Pile la couleur du drapeau de la patrie de Bob Marley et d’Usain Bolt.

Nulle autre configuration n’est possible, car le SPD se retire, et Die Linke comme l’AfD sont encore jugés incompatibles avec une coalition à l’échelle fédérale, car sentant encore trop le soufre, stalinien pour les premiers, fascistoïde pour les seconds, même si leur reductio ad Hitlerum ne convient pas pour définir leur vraie nature politique.

La coalition jamaïcaine n’est pour l’instant aux manettes que dans le land de Sarre, l’un des plus petits et moins peuplés de la RFA, pour contrer l’influence locale, à gauche, des héritiers d’Oskar Lafontaine, premier frondeur anti-Schroeder et cofondateur de Die Linke avec les ex-communistes est-allemands. Son expérience, plutôt positive, ne préjuge en rien du succès d’une telle alliance à Berlin.

Pour durer, elle doit tenir compte du message électoral qui lui a été adressé

Les négociations entre les trois partis concernés seront longues et conflictuelles, car entre les Verts et le FDP existe un fossé idéologique aussi large que la vallée du Rhin dans son cours inférieur. Le FDP nouveau, qui se veut le parti de la grande entreprise, a très mal digéré le virage antinucléaire de Merkel. Il est partisan d’un deal avec Poutine, lui abandonnant la Crimée en échange de garanties d’approvisionnement énergétique pour l’Allemagne. Surtout, son jeune leader, Christian Lindner rejette fermement les propositions de Macron d’une organisation politique de la zone euro et de mise en place d’un budget d’investissement européen sous le contrôle d’un « ministre des Finances » responsable devant les instances européennes. Les Verts sont aux antipodes de ces positions et devront manger une bonne partie de leur chapeau de paille s’ils veulent s’asseoir à la table gouvernementale pour pousser quelques-unes de leurs obsessions écolo-gaucho. Lindner peut en effet compter sur le soutien de la CSU, la branche bavaroise de la démocratie chrétienne qui met au débit d’Angela Merkel le piètre résultat du parti en Bavière, où il descend, pour la première fois depuis 1945, en dessous de la barre des 50 %, ce qui augure mal du maintien de sa majorité absolue à Munich lors des élections régionales de l’an prochain.

Avec tout cela, Angela est dans la seringue. Pour durer, elle doit tenir compte du message électoral qui lui a été adressé sans détour : on ne te hait point et on ne voit, pour l’instant, personne d’autre pour te remplacer, mais finis les zigzags, la triangulation et autres lubies politiques postmodernes. On veut de l’Allemagne d’abord, de la solide défense de nos intérêts nationaux sans céder aux utopies des voisins (suivez mon regard vers l’Élysée), Habermas et le postnational, ce n’est pas notre verre de bière. On commence à spéculer, à Berlin, sur un scénario qui verrait Merkel conduire cahin-caha une coalition jamaïcaine pendant deux ans, avant de se retirer et provoquer de nouvelles élections avec un nouveau leader de la CDU/CSU, une sorte de Wauquiez germanique capable de ramener vers le parti le million d’électeurs qui l’ont quitté pour l’AfD. Dans l’Olympe de notre Jupiter national, ce n’est vraiment pas ce que l’on souhaitait. Le franco-allemand attendra.

Octobre 2017 - #50

Article extrait du Magazine Causeur



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