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Claude Rich, le prince s’en est allé


Claude Rich, le prince s’en est allé
Claude Rich en 2004. SIPA. 00424992_000040

Que cette voix va nous manquer. Une diction florentine, légèrement traînante et tellement corsetée. La répartie mi-jésuitiste, mi-sarcastique. Quelque chose de vieille France, venant des profondeurs de notre pays, laissant derrière elle une traînée d’impertinence, balayant tout sur son passage. Et puis ce malaise indistinct et délectable pour le public qui ne savait jamais sur quel pied danser en le voyant à l’écran ou sur scène. Rire ou trembler.

Claude Rich avait le charme des comédiens qui ont domestiqué leur sensibilité par un travail acharné sur le texte. L’audace des timides. Il pouvait alors exprimer toute la panoplie des caractères humains avec cette façon si singulière d’interpréter sans flonflons, sans boursouflures, comme si ses paroles venaient habiller l’âme, quitte à la brouiller. Par sa grâce, il laissait aux spectateurs le plaisir d’imaginer, de pénétrer dans le tréfonds de ses personnages.

Avec Claude Rich, le théâtre avait trouvé son Machiavel

On ne louera jamais assez la pudeur des très grands tragédiens. La retenue comme puissance d’évocation était son arme favorite sur les planches. Avec lui, le moindre rôle prenait une patine de maturité, de complexité, il endossait alors d’infinies variations d’humeurs. Il réussissait à peindre mille nuances sur son visage aristocratique. D’un regard ou d’un silence, il était là, il prenait tout l’espace, sa présence intimidait et réjouissait. Le théâtre avait trouvé son Machiavel.

Claude Rich dépassait le cadre de l’acteur seulement brillant, il était tout à la fois, le rôle, l’atmosphère, le passé et l’introspection. Jamais, je n’ai entendu un acteur suspendre le temps avec autant de délicatesse, et nous faire plonger dans les gouffres intérieurs de Talleyrand, de l’inspecteur Bonny, du juge Delmesse ou du commissaire Ballestrat. L’incertitude était son territoire d’expression, son air de liberté. Il a réussi à pousser ses personnages jusqu’à l’ambivalence, jouant sans cesse dans les interstices, soufflant les mots avec componction et s’amusant du trouble qu’il pouvait distiller.

On ne demandait pas un selfie à Claude Rich

En plus de 60 ans de carrière au cinéma, sa silhouette hiératique et ce long corps souple surmonté d’un port de tête altier prenaient des nuances tantôt comiques, tantôt glaçantes devant la caméra. Claude Rich ne gesticulait pas comme tant d’usurpateurs. Quand un acteur de ce niveau-là disparaît à l’âge de 88 ans en plein été, la comparaison avec les nouvelles générations est désespérante, voire désobligeante pour ces derniers. Il était d’une autre race, celle des seigneurs.

Il y avait chez lui une intelligence gamine, une réserve moqueuse, une culture sans artifice et un sourire qui pouvait vous crucifier sur place ou vous charmer. En somme, une classe folle. Cet homme dont le métier était d’exposer la cruauté du monde avait su conserver un insondable mystère. Un étrange phénomène dans notre époque vulgaire où tout doit éclater au grand jour, faire du bruit et salir les nobles sentiments. On ne tapait pas sur l’épaule de Claude Rich, on ne lui demandait pas un selfie, on ne le hélait pas dans la rue, on ne voulait rien savoir de sa vie de famille, la distance qu’il imposait, restera pour nous une leçon de savoir-vivre.

Claude Rich n’a pas dit son dernier mot

Merci Monsieur pour ces marques de respect. Aujourd’hui, on repense à tous ses films. On le revoit en jeune dégingandé, adepte de la musique dodécaphonique et doté d’un esprit virtuose. Cet Antoine qui commençait à les briser menu à Lino dans les « Tontons », c’est un vieux camarade de classe. Une évanescence des Sixties, délicieuse et obsédante qui nous accompagnera de longues années.

Comment cet après-midi, ne pas pleurer sur le sort de Ballochet dans Le Caporal épinglé, film qu’il fit en excellente compagnie avec notamment Jean-Pierre Cassel, Claude Brasseur et Jean Carmet. Cet aviateur binoclard sans ailes qui se rêve en héros et dont le désespoir non dénué de panache touche en plein cœur. Que dire de Huchon dans Les Copains d’Yves Robert, normalien à lunettes et flutiste sentencieux. Ce plaisir gourmand des phrases alambiquées et du pas de côté lui étaient propres. Croisement entre Buster Keaton et Jean Giraudoux, Claude Rich n’a pas dit son dernier mot. Il faudra le voir et le revoir dans ses nombreux films pour, à chaque fois, apprécier les multiples facettes de son jeu, y déceler une attitude inattendue, un ton nouveau, une ironie mordante, une féerie tombée du ciel qui fascineront toujours.

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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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