À la recherche de l’esprit français. Le regard de Pierre Berville, publicitaire et romancier.
Ah, l’esprit français ! Mais brille-t-il davantage que les autres ? Les monuments, la mode, les différentes formes de galanterie : autant d’univers où nous aimons nous vanter de notre prédominance. Et pourtant le Colisée, Mary Quant, Mae West ou le Kâma Sûtra n’ont pas imposé leur rayonnement depuis Paris ni Versailles. Heureusement, il nous reste un domaine dans lequel nous pouvons revendiquer notre supériorité : le mot d’esprit.
Pourtant, là aussi, la concurrence existe. « Si tu as peur de la solitude, ne te marie pas » ; « La seule chose que j’aime chez les riches, c’est leur argent » : des traits qu’on croirait signés Jules Renard ou Desproges, et qui sont de Tchekhov et de Lady Astor… Et même si cet art a ses cousins (l’humour anglais, la vanne imagée déclinée de l’antique, la gauloiserie, l’histoire juive, la grosse Bertha de la kolossale finesse), il n’est pas contestable qu’en matière d’aphorisme assassin, nos grands dramaturges, nos salonnards et nos piliers de zinc se sont toujours taillé la part du lion. Bref, pour incarner le mot d’esprit à la française, il n’est pas obligatoire d’être français, mais ça aide. Les exemples abondent : « La parole a été donnée à l’homme pour dissimuler sa pensée » (Talleyrand) ; « Un général ne se rend jamais, même à l’évidence » (Cocteau) ; « Ce type n’a pas inventé l’eau chaude, ou alors s’il l’a inventée, il l’a laissée refroidir » (San-Antonio).
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Transpercer avec grâce les puissants et les impuissants, moquer la politique de ceux que l’on méprise, noyer de fiel les conventions des imbéciles : quand le talent est là, peu échappent à son ironie délicate. Les clichés le comparent au fleuret qui fait mouche, à la flèche empoisonnée. L’épigramme à la française est une arme fatale au service de l’insolence. Avec, longtemps, comme cibles privilégiées : l’amour et les femmes. Encore des exemples ? Un dialogue de Jean Dutourd :
« — Je me sens si seule. — Moi, pas assez. »
De Guitry : « Le seul amour fidèle, c’est l’amour-propre. »
De Feydeau : « Pourquoi contredire une femme ? Il est tellement plus simple d’attendre qu’elle change d’avis… »
Finalement, ne serait-ce pas cela, l’esprit français ? La méchanceté hilarante.
Par les temps qui courent – et pas toujours dans la bonne direction – certaines lectrices n’acceptent plus de sourire à de telles saillies. Alors, laissons par galanterie le mot final à Coco Chanel : « Le seul intérêt de l’amour, c’est de faire l’amour. Dommage qu’il faille un homme pour ça ! »






