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Les primaires, braises démocratiques sous la cendre politique


Les primaires, braises démocratiques sous la cendre politique
Sipa. Numéro de reportage : 00722332_000018.
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Sipa. Numéro de reportage : 00722332_000018.

Je ne partage pas le jugement sévère de Régis de Castelnau sur cette « idée calamiteuse des primaires à la françaises (…) ridicules importations du système américain ». Je le suivrai par contre pour ce qui est de sa réprobation des « manœuvres dolosives » que constituerait le fait pour des électeurs de gauche de participer aux primaires de droite.

Tocqueville avec nous

La démocratie représentative traverse une crise profonde, qui peut-être s’avérera fatale. Il n’est pas possible en si peu de place d’en faire l’analyse : elle est complexe et cela exigerait de mobiliser non seulement le droit constitutionnel, comme cela se fait généralement, de façon réductrice, mais l’ensemble des sciences humaines. La direction générale d’une telle analyse se ferait dans le prolongement de l’apport de Tocqueville, qui montre que la démocratie engendre une culture individualiste, qui se manifeste dans de multiples domaines, et qui en retour finit par éroder les fondements mêmes de ce système politique. Au-delà des manquements et turpitudes du personnel politique (réels), et de l’inadaptation des institutions, la crise est aussi (et peut-être d’abord… ) celle de la citoyenneté. «  L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même »[1. De la démocratie en Amérique, Tome 2 Chapitre II.]. Albert O. Hirschman montre qu’à l’action publique est le plus souvent préféré le bonheur privé (même s’il pense qu’il y a des vagues de reflux face aux déceptions engendrées par ce rétrécissement des horizons)[2. Albert O. Hirschman, Bonheur privé, action publique, réédition poche juin 2013].

Il est clair  que la cassure entre « le peuple » et ses représentants est un véritable désastre, par ses conséquences politiques et sociales.  La montée tendancielle de l’abstention en est la manifestation la plus évidente. De ce fait, tout ce qui peut à l’inverse aller dans le sens d’une plus grande implication citoyenne doit être encouragé. Même s’il y a matière à scepticisme, l’orientation vers une démocratie plus  participative est souhaitable.  Incontestablement, l’instauration de primaires, à gauche comme à droite, est une petite bouffée d’oxygène civique. Certes, seule une petite minorité de citoyens y participe ; dans le cas de la primaire de droite, cela devrait concerner 6% des Français inscrits sur les listes électorales. Mais le profil sociologique qui en est dressé par le CEVIPOF[3. Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), en collaboration avec Le Monde et réalisée par -Ipsos-Sopra Steria.] permet d’espérer qu’ils exercent à terme un effet d’entraînement sur l’ensemble du corps électoral. En tout cas, pour le dire simplement, ils offrent un bon exemple de comportement citoyen.

TINA, non merci !

Dans ce contexte, encourager des électeurs de gauche à y participer pour favoriser l’élimination d’un candidat est une très mauvaise idée. Cela équivaut à les inciter à se comporter de la même façon que les hommes (ou femmes) politiques dans leurs pires représentations, à adopter les pratiques les plus nuisibles à la démocratie. Les magouilles, le court-termisme, le souci tactique l’emportant sur les convictions, l’idée que « la fin justifie les moyens », le tout connoté d’un zeste de cynisme, bref, tout ce qui fait l’objet des reproches ordinaires aux professionnels de la politique, on le propose en modèle aux électeurs. C’est encourager implicitement la poursuite de la décomposition de la citoyenneté : pratique du zapping électoral, ravalement du vote à un acte consumériste ; on passe d’un camp à l’autre comme on change de marque pour un produit quelconque. Cela peut produire un engouement collectif pour une personnalité nouvelle – Macron – sans avoir la moindre idée de ce que cela signifie sur le plan politique et pour cause, puisqu’en l’occurrence cela ne signifie rien. C’est ériger la superficialité comme composante essentielle du comportement politique.

Enfin, et surtout, cela entérine la proposition désastreuse selon laquelle la distinction droite-gauche n’aurait plus aucun sens. Autrement dit, l’idée selon laquelle il n’y a pas d’alternative, selon la formule thatchérienne consacrée, à la politique d’adaptation à la mondialisation, à savoir une politique néolibérale totalement tournée vers la recherche de performances à  l’exportation, par économie sur les coûts, donc au rapprochement des salaires vers ceux des nations les moins favorisées, avec transferts par voie fiscale des ménages vers les entreprises, donc  consentement à l’érosion des modèles d’Etat-Providence, etc..  Certes, le quinquennat qui s’achève est celui du ralliement explicite et assumé (il était voilé jusque-là) à cette politique.  Considérer qu’un engagement écrit à appartenir à une sensibilité plutôt qu’à l’autre  n’a aucune pertinence c’est implicitement ratifier ce ralliement.

Vouloir sortir de la crise politique, c’est encourager d’abord les citoyens à montrer de la profondeur dans les choix, de la clarté dans l’engagement, et aussi encourager tous ceux qui possèdent un porte-voix médiatique allant au-delà des misérables agoras des forums ou des réseaux sociaux : politiques, journalistes, essayistes, etc.  à travailler, chacun à leur façon à l’édification de véritables projets de sociétés offrant un avenir moins désespérant.

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est professeur honoraire de sciences sociales en classes préparatoires.

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