Accueil Culture 264 projets pour des «mondes nouveaux» ou une culture orwellienne?

264 projets pour des «mondes nouveaux» ou une culture orwellienne?

Une inquiétante soft-propagande faite de projets artistiques farfelus se voit allouer 30 millions d’euros


264 projets pour des «mondes nouveaux» ou une culture orwellienne?
Le président Macron durant le lancement du programme "Mondes Nouveaux" en présence des artistes lauréats, au palais de l'Élysée à Paris, France, le 8 novembre 2021 © STEPHANE LEMOUTON-POOL/SIPA Numéro de reportage : 01047616_000020

Les « 264 projets artistiques pour des mondes nouveaux » que le ministère de la Culture se propose d’aider, via une enveloppe de 30 millions d’euros, sont en ligne: une plongée vertigineuse dans l’art officiel dit « contemporain » avec, au fil de la lecture, une interrogation lancinante : mais où sont donc passés les vrais artistes ?


Peintres, sculpteurs, graveurs et même les modernes « plasticiens » semblent avoir disparus, tels des dinosaures…

Mais remplacés par qui et surtout, pourquoi ?

Thématiques sociétales

L’ensemble des projets témoigne autant « de la grande diversité des pratiques artistiques contemporaines » que de l’influence des thématiques sociétales, celles qui saturent déjà nos médias. Dérèglement climatique, montée des eaux : des artistes veulent participer à « une conscience éco-critique » en Bretagne, d’autres soutenir le Conservatoire du Littoral ou des espèces menacées : la limule ou l’exploitation des algues deviennent alors sujets artistiques. Si « valoriser les différents corps de métiers et les paysages des bords de Loire » semble plutôt relever du ministère de l’économie (Louis G.)[1], peut-on, sans rire, accréditer que dans une œuvre d’art « l’écriture concourrait, au même titre que la sylviculture, au développement des forêts » (Anouk L.)? Peut-on, parce qu’artiste, demander d’acquérir « une forêt dans le Haut Limousin, au sein du parc régional du Plateau de Millevaches » (Fabien G. Raphaël S.), soit aux frais du contribuable l’achat d’un territoire régional ? D’autres artistes s’auto-confèrent une mission scientifique : enquêter « sur les relations que les communautés humaines entretiennent avec les populations non-humaines (végétaux, animaux) » et conçoivent « un vaisseau, outil d’exploration de l’estuaire de la Charente » (Studio D-O-T-S). Avec l’éco-anxiété ambiante, la Calypso du commandant Cousteau carburerait aujourd’hui aux frais de Mme Bachelot…

Roselyne Bachelot, image d’archive © IBO/SIPA Numéro de reportage: 00544185_000006

Autre sujet d’anxiété, les migrations : des artistes de diverses disciplines œuvrent pour « la mise à flot de ce premier navire européen de sauvetage (qui) a vocation à inscrire l’hospitalité au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité » (Collectif PEROU). Longtemps « inscrire l’hospitalité au patrimoine de l’humanité » eut été philosophique, théologique ou caritatif, c’est maintenant un objet d’art comme un autre. Ailleurs, on explore la créolité, on « réinterprète l’histoire coloniale récente, la questionne et contrarie » (Association Chercheurs d’art) et Fannie S. « érige le plaisir comme stratégie anticoloniale » : des câlins, pas des colonies ? Suffit-il d’un « hommage aux victimes de la traite négrière (pour) permettre un « nouveau monde » fondé sur le vivre ensemble » (Gaëlle C.) ? Ces projets artistiques explorent aussi « des friches industrielles et urbaines et s’intéressent aux êtres marginalisés par une société normée (migrants, toxicos, plantes exotiques envahissantes… » (Justinien T.). D’une « relecture féministe du (médiéval) béguinage » on passe, comme dans une énumération à la Prévert, à une œuvre sur « la construction du genre, de l’amour et de l’homophobie, à travers l’enfance d’une petite fille lesbienne » (Mathilde F.). L’installation d’Abel T., avec ses « fucking machines », produit « une ode aux sexualités mises à l’écart. En brouillant les repères, et en refusant toute assignation, comme un contre-récit, il inscrirait résolument son œuvre au-delà de la binarité masculin/féminin. » Le wokisme est donc promu et subventionné.

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Surprise, pour une République qui place haut la laïcité, le financement d’œuvres à tonalités religieuses mais les références sont païennes : Sabine M. va « se référant au dieu Mercure, (pour une) œuvre mystique et spirituelle, (une) expérience transcendantale et météorologique du temps ». Plus pharaonique, Gabrielle C. se concentre sur le culte égyptien. Mieux, « Penda D., autrice de pièces de théâtre, imagine un projet autour de la basilique de Saint-Denis, avec l’intervention d’une DJ, pour créer un espace de transe. ». Il était temps que les gisants se mettent au rap. Transe et chamanisme sont tendance : Juliette M. « fusionnerait les disciplines artistiques (proposant) une réflexion sur le monde spirituel et cérémonial à travers un parcours immersif composé d’installations, de sculptures et de performances qui recréeraient des formes d’autels cérémoniels faits de cire, d’acier et de céramique au sein d’un site chargé d’histoire ». N’oublions pas les transes en tous genres : Pol P. « chorégraphe et danseur transmasculin brésilien établi en France depuis 2013 » collabore avec une compositrice, chercheuse et spécialiste de l’étude de la transe pour « une chorégraphie solo, qui aurait comme point de départ la pratique de la transe dans les Grottes de la Vallée de la Vézère» (sic). A nous la transe brésilio-périgourdine, Lascaux n’a qu’à bien se tenir ! Carnac aussi : le « projet ambitieux » de Liv S. investit « les alignements mégalithiques de Carnac afin de questionner l’obsolescence de notre présent » et, (je cite) « mettre en scène un drame victorien en langue celtique, joué par un groupe d’électroménagers » (sic). Obélix, KO debout d’autant qu’à proximité, l’artiste L. veut dresser 9 mégalithes en métal, dotés d’un système de diffusion audio 3D, tel un méta-instrument…

La mondialisation et au-delà

Le projet tautologique d’Audrey P. en est reposant : « des pavillons flottants au gré du vent. Sur ces pavillons seraient inscrits les coordonnées GPS ou des QR Codes relatifs à leurs lieux d’implantation ». Ça ne mange pas de pain (enfin si, le nôtre) et ça peut s’implanter n’importe où, bel esprit d’adaptation. Dans cette grande commande de l’Etat, l’importance du lieu est centrale : les quartiers dits sensibles ne sont pas oubliés comme « la Goutte d’Or, ce village parisien où la créativité se fait urgente, notamment en raison du potentiel culturel présent malgré la précarité » (Smaïl K.); une friche à la Courneuve sera investie par le collectif « Berlin 93 » etc. Beaucoup de projets concernent les Dom-Tom, Martinique, Guadeloupe, Réunion, les iles (Belle-Ile, le château d’If) ou des abbayes, lieux attirants car touristiques : si vous ne venez pas à l’Art dit contemporain, il ira à vous. Ah, pouvoir se payer « Versailles » aux frais du Tiers Etat ! Cyprien G. propose d’y tourner une vidéo, un canadair y remplirait son réservoir avec les eaux du Grand Canal. L’œuvre s’appellerait « Redistribution », de quoi éteindre la contestation sociale ? Mais pourquoi financer « un autre regard sur l’Afghanistan » ou cette anthropologue, Véronique G., qui veut travailler sur des familles bouriates : quels sont les critères de sélection, pourquoi le ministère s’intéresse aux steppes mongoles et pas aux Mapuches de Patagonie ? On aimerait comprendre.

Le monde nouveau qu’on nous prépare va bien au-delà de la mondialisation. Julien P. (une pointure de l’Art contemporain[2]), veut « transformer la Station Spatiale Internationale, l’ISS, en lieu de rassemblement dans lequel astronautes et machines s’exprimeraient sur le sujet ». D’autres proposent « Occupy Mars », une création sur « l’exploration spatiale et les dominations coloniales », bref, « une approche alternative aux approches scientifiques et économiques traditionnelles de la planète rouge ». Danielle G. ambitionne de « réaliser la toute première œuvre d’art visible depuis l’espace ». La question se pose : des projets visibles par les martiens ne devraient-ils pas être financés par les petits hommes verts ?

Flou artistique

Nombre de projets sont extrêmement flous, voir avouent une forme d’impréparation : « Pays à part » de Valentin D. est « encore en phase d’élaboration » et pourtant déjà retenu et financé. Partout le conditionnel est de mise ce qui n’empêche pas les qualificatifs flatteurs : les projets sont « grands » ou « d’envergure » mais on peine souvent à les comprendre. Que veut dire « la notion de lieu comme un laboratoire d’expériences (…) à travers les étapes de flânerie sensorielle » ? A quoi peut bien aboutir « redéfinir la diversité de nos interactions avec le monde, en vue de l’après et de ses incertitudes notamment à travers une cartographie des hot-spots de vulnérabilité sur le territoire Français » (duo d’artistes dont Cynthia F., psychanalyste et philosophe reconnue) ? L’informel version cool est revendiqué sans vergogne : « L’idée prendrait la forme d’un salon co-animé par le tandem » (Maxime L. et Octave de G.), causerie et talk-show comme un des beaux-arts. On en arrive, assomption du « quoi qu’il en coute », à financer des projets… pour faire des projets ! Ainsi le designer Ramy F. veut réunir « industriels, entrepreneurs, ingénieurs, créateurs et penseurs, en faveur de l’innovation. Dans ce but, RF studio proposerait la création d’un lieu réel accueillant une fabrique des imaginaires ». Ou encore Le Radeau, « dédié au partage de savoirs locaux et de ressources transdisciplinaires. (…) pourrait accueillir des spectacles, performances, conférences et autres projets collaboratifs ». Ailleurs l’œuvre prend « la forme de workshops participatifs (…) matérialisant la rencontre et la collaboration entre entreprises artisanales, designers et grand public ». L’artiste nouveau est un entrepreneur (de projets), il exploite l’inventivité ou la compétence des autres, c’est un communiquant, un designer social qui brasse de la créativité tous azimuts : pour apaiser « la fracture sociale » ou juste pour faire diversion ? Les groupes d’artistes ont le vent en poupe, rebaptisé « collectif multi­disciplinaire de création » comme celui « qui se propose d’apporter par les arts appliqués des réponses aux enjeux contemporains des transitions écologiques et sociales (…) le collectif enregistrerait des sons de la terre ou bien ferait un herbier » (Collectif La Box). On est parfois surpris du décalage entre l’ambition ronflante et sa mise en œuvre, ou bien c’est le public visé qui paraît très réduit, « communautaire ». Ainsi le nigérian Qudus O. dirige sa compagnie Yk Projects entre Lagos et Lyon et « propose un processus créatif innovant, Out of this world, adressé aux jeunes artistes « inadaptés » et « inclassables » ». L’artiste « des mondes nouveaux », brassant peurs et sujets à la mode, ressemble au couteau suisse d’une soft-propagande nichée sous l’étiquette « art contemporain». Mais que sont devenus les artistes à l’ancienne ?

Les artistes, inclusifs ou ostracisés

Beaucoup de projets ont une tonalité littéraire : Théo C. « écrirait son roman Maquette comme une projection à Marseille du monde d’après (qui) ressemble, en pire, à l’actuel. (…) L’auteur ajouterait à son œuvre une lecture publique qu’il envisagerait chorégraphiée ». Le petit ajout dansé facilite-t-il la subvention ? Hélène F. « philosophe, auteure de nombreux romans et essais » ambitionne de restituer son travail dans la Basilique Saint-Denis. Le prestige du lieu rejaillira-t-il sur le travail d’écriture ? Labellisée aussi, la réunion de « centaines d’ouvrages d’hommes et de femmes politiques français depuis 1954 (…) au cœur d’une modeste maison d’un petit village de France » (Jean-Sylvain B.) ou la parolothèque de la poétesse Simone L. ou le projet de l’écrivain Hugo B., « greffier des voix » d’un centre pénitentiaire pour femmes… La « tradition orale locale » est présente, tant mieux, mais le performeur Marin F. « veut bousculer la langue : le public serait invité en direct à lancer des mots dans les machines, les déformant à l’infini. Chant, rap, râle, cris, prose, son, bruits se mêleraient en une langue neuve, laissant ainsi entrevoir de nouveaux mondes sonores. » ; un travail au corps de la langue mais l’étymologie du mot travail n’est-il pas « torture » ? Un autre projet « En langueS françaiseS » (Compagnie Uz et Coutumes) affiche un pluriel conquérant d’allure inclusive.

L’Art très contemporain est devenu inclusif, bien avant que l’écriture ne le soit, en déconstruisant la figure de l’artiste. Musicien est vieux jeu, « explorateur du son vocal » tendance, ou créateur de « sculpture audible », de « chorégraphie sonore », l’idéal étant l’«ingénieur agronome, musicologue, musicien, compositeur » (Jacques R). Le concerto pour piano sur « la douceur angevine » projeté par François M. avec l’Orchestre National des Pays de la Loire et la pianiste Vanessa W., semble une quasi-anomalie, la règle étant plutôt « questionner et déconstruire l’objet qu’est un piano, (par) des mélodies mais aussi tout simplement des bruits non-intentionnels (…)(ce qui) autopsierait l’instrument fétiche pour le désacraliser » (Claudine S.). Architecte ? Vous n’y pensez pas : intéressez-vous plutôt « à la notion de para-architecture croisant féminisme, psychologie et domesticité ». (Laëtitia B. H.). Designer tout court ? Quel ennui ! Soyez « designer et activiste écologique ». Si vous êtes chorégraphe mieux vaut, comme Veronika A. ne pas se contenter d’humains (éculé) mais les compléter de « quatre drones biomimétiques ». Poète et romancier ? Banal : « poète, slameur et romancier » est un minimum. Même le moderne « plasticien » a du plomb dans l’aile : « plasticien, performer et parfumeur », voilà l’avenir. Bref, les artistes retenus sortent quasiment tous de « polytechniques » : pluridisciplinaires, transversaux, ils décloisonnent à tout va, le nec plus ultra est la « forme métissée », « à l’intersection de », comme Tabita R. qui « déploierait son travail à l’intersection de l’écologie afroféministe, de la métaphysique et de l’histoire politique des sciences ». N’hésitez pas à hybrider beaucoup pour que la créativité pousse, comme Isabelle C. « hybridant peinture, sculpture, vidéo et scénographie » avec météorologie et algorithmes en prime. Et surtout misez « en même temps » sur le local/national/international : Moussa S., Corse d’origine sénégalaise, projette « La Marseillaise en chants polyphonique corses, sur les rythmes d’instruments de musique sénégalais » : il coche toutes les cases, l’artiste parfait des mondes nouveaux.

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Si une couturière (Stéphanie C.) peut trouver grâce, un sculpteur de blocs d’albâtre devra user non d’un burin (préhistorique !) mais plutôt « de l’action unique de l’eau, en prenant soin de documenter le processus autant que le résultat lui-même » (Hicham B.). Anna S. montrera des sculptures, mais intégrant « des dessins à l’encre de Chine et aux crayons de couleur » ses représentations animales et végétales visant la laiterie de Marie-Antoinette… Je n’ai trouvé qu’un seul artiste-peintre ambitionnant « une fresque murale dans un espace-clos cerclé d’eau » mais Xinyi C. a l’excuse, pour continuer à barbouiller, d’être d’origine chinoise. Que l’art, au XXIème siècle, ne se limite plus aux tableaux de chevalet et à la sculpture sur socle est parfaitement normal mais exclure des disciplines toujours majoritairement pratiquées les artistes (les professionnels inscrits à la Maison des Artistes) ne l’est pas ; antan dire que l’invention du satellite périma la bicyclette qui aurait démodé la marche à pieds.

D’inquiétants mondes nouveaux

Dans cet inventaire de mondes nouveaux, on peut espérer quelques ratons laveurs soit des œuvres combinant poésie et sens. Peut-être le bateau-phare de Jean-Marie A. ou l’horlogerie florale de Marc B. ou encore les orgues thermiques crées par Jacques R., ou même « la récolte des essences végétales citées par Homère dans l’Odyssée » projet de Laurent D. « mathématicien artiste ». Mais certains futurs font frémir. Le projet (Collectif) « Emmurées » met en scène les paroles de femmes recluses, un autre (Compagnie S.) traite du phénomène grandissant des hikikomori, reclus volontaires japonais : le confinement est-il l’avenir de l’homme ? Le « Projet d’opéra in situ imaginé au temps du coronavirus » nous sortira-t-il de la psychose pandémique (Rayon N) ? Pour ne rien dire du « court film survivaliste où des habitants résidents et résistants du Salève survivent dans un monde post-nucléaire » (Ludivine Z.). Les mondes nouveaux attisent les peurs (tiens, comme les réseaux sociaux ?) jusqu’à prendre une tonalité funèbre: « l’artiste plasticien, cinéaste et architecte Loris G.[3] proposerait d’investir une vieille enclave du domaine de Frapotel dans l’Oise pour y installer une sépulture, un monument sous-terrain empruntant les codes d’une dalle funéraire ». Performance centrale ? La mise en bière d’une colombe naturalisée. La graveuse Melody L. « travaille dans des cimetières, qu’elle conçoit comme sources d’un dernier souffle et d’inspiration de sa production artistique ». La suite réveillerait un mort : « Ce projet érigerait les nouvelles technologies comme nouveau lieu de mémoire (…) cet espace dynamique, conçu sur le modèle des réseaux sociaux, propose des conversations écrites mais aussi des expériences sonores. » Conversations post-mortem, Halloween fait art ?

Du mélange des genres à la manipulation

Il y a pire, nombre de travaux (enquête de terrain, coordination de spécialistes autour d’un sujet etc.) semblent plutôt relever de la recherche universitaire. Certaines professions qu’on croyait fières d’appartenir aux sciences humaines se détournent vers l’Art dit contemporain. On ne compte plus les sociologues, anthropologues, « doctorante en littérature comparée et en anthropologie » ou en « philosophie politique » et bien sûr « docteure en histoire de l’art contemporain » prétendant au statut d’artiste. La confusion des genres conduit au nivellement (revendiqué) des disciplines : « Multimédia, ce projet recourrait aux technologies de pointe et s’articulerait autour de trois disciplines considérées comme égales : l’anthropologie, l’éthologie et l’informatique (U2P050) ». Est-il bien humaniste de mettre l’anthropologie et l’informatique dans le même sac ? Il y a 40 ans, user de ces nomadismes, se prévaloir de cartes de visite à rallonge, signifiait manque de sérieux et amateurisme. Le principe de Peter, « tout homme s’élève jusqu’à son niveau d’incompétence », n’inquiète personne, pas plus qu’une sournoise manipulation du public. Car certains projets, officiellement artistiques, se donnent en fait une mission oscillant entre la politique des territoires, la justice (mettre à jour des responsabilités) et la protection civile. Ainsi Colombe B. autrice et programmatrice artistique et David E. designer ambitionnent « l’exploration des conséquences de la tempête Alex qui s’est abattue en octobre 2020 dans les vallées de la Vésubie et de la Tinée (Alpes-Maritimes). Une enquête sur la désolation de ces territoires, leurs représentations médiatiques, iconographiques et sémiotiques, et l’analyse de l’après (reconstruction, désenclavement…) ». L’inquiétant n’est pas, bien sûr, le louable souci d’un territoire meurtri, mais qu’une part de budget national soit dévolu non pas à reconstruire, indemniser ou comprendre et prévenir, in situ, la catastrophe mais… à la mettre en spectacle sans le dire. Si la recherche théorique se mue en spectacle n’est-ce pas – comme l’avait bien vu Debord – que le rôle de la fiction est maintenant de supplanter l’événement ?

Les évènements passés, conformément aux prédictions d’Orwell, seront remis aux normes du jour. Amélie L.-G. propose « un Odieux guide, dédié aux lieux historiques appartenant à notre patrimoine, restés identiques depuis des centaines voire des milliers d’années. » Ce qui « reste identique » fleure bon l’identité et mérite un électrochoc. Arthur L. entend « secouer l’un des genres les plus anciens de la culture occidentale : la tapisserie de l’Apocalypse. Des textes sont générés par un algorithme à partir des images de la tenture et une application de réalité augmentée offre une nouvelle expérience de l’œuvre… nos certitudes sont remises en cause ». Quel est donc l’objectif de ces « nouveaux mondes » ? Malmener ce qui est disqualifié d’ancien et déconstruire ce qu’il en reste ? Certains projets révèlent l’extrémisme du « quoi qu’il en coute » : « après nous, le déluge ! ».

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[1] Cet article porte, non sur  des individus, mais sur  la commande de l’Etat : les artistes sont donc signalés par leur prénom et initiale du nom, pour plus d’informations voir  le site du ministère, classé par ordre alphabétique : https://www.culture.gouv.fr/Aides-demarches/Dispositifs-specifiques/Mondes-nouveaux/264-projets-artistiques-pour-des-Mondes-nouveaux

[2] Il reçut le prix Marcel Duchamp 2014.  AC : acronyme ne désignant qu’une partie de l’art de nos contemporains, celle  issue des détournements duchampiens, un art volontiers conceptuel, officiel et financier.

[3] Autre pointure de l’AC, habitué du Centre Pompidou dont la bibliothèque a acquis l’intégralité des ouvrages et publications produits par l’artiste depuis 20 ans.



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Historienne de l’art, auteur de « Les mirages de l’Art contemporain », La Table Ronde, 2018.

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