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Voynet, gardienne de musée


Voynet, gardienne de musée

voynet montreuil signacMme Voynet, maire de Montreuil, bien connue des oiseaux mazoutés mais ignorée des électeurs[1. Le naufrage du pétrolier Erika, le 12 décembre 1999, souilla plus de 400 km de côtes françaises, et tua environ 300 000 oiseaux. Interrogée, Mme Voynet, ministre de l’Écologie, déclara : « Ce n’est pas la catastrophe écologique du siècle ! » Candidate des Verts à l’élection présidentielle de 2007, elle réunira sur son nom 1,57 % des suffrages exprimés au premier tour], témoigne d’un goût très sûr, quoiqu’un peu tardif, pour une oeuvre de grande dimension (3 m x 4 m) du peintre Signac, intitulée Au temps d’harmonie, et exposée depuis 1938 dans l’escalier d’honneur de sa mairie. Le citoyen lambda, toutefois, ne peut la voir que pour ses noces, sur rendez-vous ou en quelques grandes occasions comme ce « Réveillon solidaire » du 31 décembre 2011 où la mairie fut ouverte à tous. Des amoureux de l’art manifestèrent leur solidarité en vandalisant le tableau.[access capability= »lire_inedits »]
Paul Signac (1863-1935) est considéré, avec Georges Seurat, comme le fondateur du mouvement dit des « pointillistes ». C’est sa première épouse, Berthe Roblès, peinte par l’artiste sous les traits de La Femme à l’ombrelle (musée d’Orsay), qui confia le tableau à la mairie de Montreuil, sur la suggestion du communiste Marcel Cachin.
Pour la petite histoire, celui-ci était le grand-père de Françoise Cachin, qui était également, par sa mère, la petite-fille de Signac. Disparue en 2011, cette femme de grand caractère[2. Françoise Cachin était une amie très chère, comme le sont toujours sa fille, Charlotte, et son mari, Georges Liébert, que cette amitié a récemment conduit à devenir actionnaire de Causeur.], qui collabora avec ferveur à la création du musée d’Orsay − elle en fut la première directrice − faisait l’unanimité des admirations parmi les esprits indépendants et lucides de notre temps. Son hostilité au projet du « Louvre Abu Dhabi » lui valut d’être fort injustement traitée par Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture. Rédactrice du catalogue raisonné de l’oeuvre de son grand-père, elle estimait que le tableau n’avait pas été donné, mais seulement confié en dépôt à la Ville de Montreuil, et souhaitait qu’il soit exposé à Orsay.
Sa fille, notre amie Charlotte Liébert-Hellman, s’est justement émue du défaut de surveillance et du peu d’empressement des responsables locaux à prendre des mesures pour protéger l’oeuvre de son arrière-grand-père de la rage ou de la maladresse des crétins. Charlotte tenta en vain d’alerter Mme Voynet. Devant son silence persistant, elle lança, en 2012, une assignation en référé, non pour jouir égoïstement du tableau, mais pour le remettre au musée d’Orsay, dont le président, Guy Cogeval, déclarait à Libération le 11 juillet 2012 : « Ce tableau très important a sa place évidente dans la nouvelle salle des grands formats, où il pourra être accessible au public tout en bénéficiant de conditions de conservation qu’une mairie ne peut pas réunir. » Yves Badetz, à cette époque conservateur, chargé des dépôts et acquisitions du même musée, apportait cette précision à l’AFP : « En janvier [2012], lorsque nous avons appris la dégradation de l’oeuvre, nous avons proposé à la mairie notre expertise. Nous nous sommes dits prêts à financer une copie afin de pouvoir mettre la toile à l’abri. »
Reportée à trois reprises, l’audience a eu lieu le 9 avril devant la 5e chambre du tribunal correctionnel de Paris : le tableau, qui a été restauré entre-temps, restera à Montreuil. Guy Cogeval qui, en mars, avait été reconduit pour trois ans à la tête d’Orsay, s’est prudemment abstenu de toute nouvelle intervention dans l’affaire. Aurélie Filipetti, ministre de la Culture, s’est rangée au côté de Dominique Voynet, pour le « peuple de Montreuil » contre les « élites » parisiennes : il parait que la ministre n’aime pas les « musées bourgeois ». Peut-être faudrait-il faire savoir à la ministre et à la maire que le « peuple de Montreuil » compte aujourd’hui plus d’intermittents du spectacle que d’ouvriers…
Espérons que Charlotte Liébert- Hellman, malgré sa lassitude d’être traitée d’« héritière avide », fera appel de cette décision. Le musée d’Orsay accueille 3 millions de visiteurs chaque année : combien se déplaceront à Montreuil, après avoir demandé l’autorisation d’y admirer le tableau ?
Dominique Voynet gardera donc Au temps d’harmonie. Un temps révolu à Montreuil, où ses méthodes ne font pas franchement l’unanimité. En licenciant le directeur de la salle d’art et d’essai Le Méliès, elle a suscité la colère de nombreux habitants de la ville, soutenus par une pléthore d’artistes. Si, d’aventure, Mme Voynet se retrouvait sans emploi après les élections municipales de 2014, la Ville de Montreuil, reconnaissante, lui offrira certainement un poste, sinon de caissière de cinéma, de gardienne de musée.[/access]

Mai 2013 #2

Article extrait du Magazine Causeur



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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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