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Voyage sociologique au bout de la rue Auber


Avec Jeanne d’Arc en toile de fond et la statue La Poésie de Charles Gumery qui surplombe l’Opéra Garnier, la Présidente a de l’allure. A son père, elle a laissé le privilège de faire l’éloge de la Pucelle d’Orléans. Le vieux grigou n’a pas manqué de rappeler le rôle salvateur de celle qui bouta les anglais hors de France. Frissons dans l’assemblée, le Menhir n’a rien perdu de son aura. Lorsque sa fille achève son discours, c’est encore lui qui reprend le micro pour entonner a capella La Marseillaise.

Sur la place de l’opéra Garnier, c’est un étrange ballet d’acteurs qui vaque. Bien trop prévenu par les media ou les politiques de la « vraie » République, le spectateur innocent s’attend à rencontrer les rejetons de la bête immonde : des nazillons en herbe nostalgiques du IIIème Reich, au mieux des souffrants, des désespérés, des révoltés (la notion d’indigné est manifestement incompatible avec les valeurs que défend le Front National).

C’est pourtant des visages bien différents qui se dessinent ici et là. Des visages si normaux qu’on les verrait tout autant chez François Hollande. Il y a bien sûr les tripotées de marmots qui courent dans tous les sens au grand dam de leurs parents et les nonagénaires qui règlent leurs sonotones au gré des philippiques plus ou moins accentuées de la blonde : chez les Le Pen, tout est question de générations. Entre ces deux âges, on y croise de délicieuses jeunes femmes callipyges qu’on accompagnerait presque dans leurs égosillements et de juvéniles cadres dynamiques dont on se demande s’ils n’ont pas confondu la place de l’Opéra et l’esplanade du Trocadéro. Mais le melting-pot ne s’arrête pas là, loin s’en faut. Car la France d’en bas est bien là et elle est majoritaire. Beaucoup d’ouvriers, de ruraux, qui, entre une bouffée de gitane et deux rasades de houblon (il faut le voir pour le croire), agitent leur drapeau français en faisant entendre des cliquetis de gourmette, fiers comme Artaban de leur rôle d’arbitre du second tour. En leur sein, des africains, des asiatiques, des magrébins qui ne sont pas les moins prompts à reprendre en chœur les slogans entrecoupant le discours de la Présidente.

Fasciste, cette assemblée fourmillante buvant les paroles de sa porte-parole ? Votants protestataires mais pas adhérents ? Ou tout simplement convaincus du programme de Marine Le Pen ? Il y a une quinzaine d’années, Pascal Perrineau, chercheur au Centre d’étude de la vie politique française et spécialiste du parti lepéniste prévenait déjà : « Le Front est entré en 1995 dans son troisième âge sociologique […], l’enracinement devient véritablement populaire, avec une très forte représentation ouvrière. Le vote FN est, de loin, en France le vote le plus programmatique.» Un raisonnement repris des années après par Terra Nova qui conseillait au PS, en vue des élections présidentielles, de favoriser l’adhésion des immigrés plutôt que celles des ouvriers. Un raisonnement qui aura aussi beaucoup coûté au candidat Mélenchon auquel les oracles promettaient la troisième place. Car en se positionnant dès le départ comme un réservoir de voix pour François Hollande, le trublion du Front de Gauche oubliait un peu vite combien la gauche, comme la droite, ont conjointement plongé dans un libéralisme débridé.

Treize heures sonnent. Pendant près de soixante minutes, Marine Le Pen aura fustigé le système UMPS, la technocratie européenne et ces élites de droite qui préfèrent voter pour la gauche quand elles assurent (depuis peu) partager avec les électeurs du Front National un certain nombre d’idées. Le verdict tombe : « A titre personnel, (…) je n’accorderai ni confiance, ni mandat à aucun des deux candidats. Dimanche, je voterai blanc, et en juin, bleu Marine ! » scande, galvanisée, la Présidente. L’hymne national retentit dans la foule avant que les participants ne se dispersent, pour certains vers le Trocadéro et d’autres vers Denfert-Rochereau.

Les mines sont jubilatoires, ragaillardies. On se croirait à la sortie d’un match de foot.



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