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Vous avez dit Zardi ? Comme c’est Zardi !


Vous avez dit Zardi ? Comme c’est Zardi !

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Comme on ne se précipite pas, à Causeur, pour faire office de croque-mort allant porter en terre ceux de nos contemporains ayant eu l’idée saugrenue de quitter récemment ce bas monde, je m’y colle. Cela me procure l’avantage de sélectionner mes clients, de faire l’impasse, par exemple, sur un Lévi-Strauss qui a eu droit à un bataillon, que dis-je, une division de pleureuses et de pleureurs salariés. C’est loin d’être le cas de Dominique Zardi, mort le 13 décembre dernier à 79 ans.

Hormis le petit monde des cinéphiles, qui a donné à cette disparition l’écho qu’elle méritait, il n’a eu droit qu’à quelques entrefilets dans des journaux où les secrétaires de rédaction avaient besoin de boucher un trou dans une page. Pourtant, tout le monde le connait de vue, même si la plus grande partie de ce tout le monde est incapable de mettre un nom sur ce visage familier. Il faudrait en effet avoir vécu en ermite dans un désert non-francophone pendant plus d’un demi-siècle pour ne pas avoir aperçu ce type à la silhouette trapue et à la tronche de gangster au coin de l’un des quelques 600 films dans lesquels, à partir de 1943 il a tourné de face, plus une trentaine où on ne le voit que de dos, mais où il figure tout de même au générique. Des grands films de Melville, Chabrol ou Mocky jusqu’au plus ringard nanard de la comédie française en noir et blanc, il est difficile d’échapper à sa minute de Zardi dont l’emploi, se situe généralement à mi-chemin entre celui de l’acteur de complément et celui de figurant.

Souvent, il apparaît en couple avec Henri Attal, un juif pied-noir né à Paris, comme lui, son meilleur ami jusqu’à sa disparition en 2004. Le duo était, paraît-il[1. Merci à l’excellent site web Le coin du cinéphage pour avoir rassemblé, dans les fragments d’un « dictionnaire amoureux du cinéma », quelques informations et anedoctes concernant Henri Attal et Dominique Zardi… On trouvera dans l’article de wikipédia consacré à ce dernier la filmographie la plus complète établie a ce jour de l’acteur.], redouté des producteurs et des metteurs en scène, car il était réputé pour casser la figure à ceux qui refusaient de les engager dans leur films. Cela me paraît tout à fait vraisemblable, car j’ai pu observer, au début des années 1970, rue des Rosiers à Paris, Dominique Zardi vendre à la criée son essai Le scandale juif, réédité trente ans plus tard sous le titre plus classe : Le génie du judaïsme. Lorsque Zardi vous fourrait son bouquin sous le nez et vous regardait d’un air mauvais, on avait tendance à obtempérer et à passer la monnaie. Cette réputation de brute a, certes, contribué à faire de la filmographie d’Attal et Zardi une des plus fournie du cinéma français, voire mondial, mais cela n’aurait pas suffi à les faire repérer par des réalisateurs de talent.

Claude Chabrol, qui ne se laisse pas intimider par ce genre de menaces, a tout de suite saisi le parti qu’il pouvait tirer de ces deux acteurs déjantés. D’abord, ça le faisait marrer que leurs noms commencent par un A pour Henri et un Z pour Dominique, lui permettant d’encadrer le générique du film. Il les sortit de ces rôles de truands et d’affreux où on les avait confinés : « On m’a donné les pires rôles dans le cinéma français : j’ai joué des psychopathes, des tordus, des tarés, des violeurs d’enfants, des assassins, des pourris, des tueurs aux abattoirs, j’ai fait des choses ignobles, j’ai tué des chiens, des cochons, des poules, des petites filles, des vieillards, j’ai fait des choses abominables… Jamais personne ne m’en a tenu rigueur », confiait récemment Zardi à une revue de cinéma. Avec Attal, ils formeront dans Les biches le duo de pseudo-artistes et vrai bouffons parasites nommé avec un humour tout chabrolien Robègue (Attal) et Riais (Zardi), une allusion toute en finesse à Alain Robbe-Grillet, alors gourou de la scène littéraire et cinématographique française.

Cela se passe dans une villa de Saint-Trop’ dont ils se feront virer sans ménagement par Stéphane Audran, une scène tellement réussie que l’on se demande si la compagne de l’époque de Chabrol n’en avait pas ras-le-bol pour de vrai de ces deux zigotos.

Jean-Pierre Mocky qui reconnut en Zardi un frère en marginalité débridée et créative, et Pierre Granier-Deferre, qualifié de « vieille demoiselle » par Zardi en raison des bonnes manières très vieille France dont il faisait montre, lui donnèrent des rôles brefs, mais marquant l’esprit des spectateurs.

Et il eut droit, suprême consécration, à une réplique culte signée Michel Audiard dans Le cave se rebiffe. Blier : « J’ai bon caractère mais j’ai le glaive vengeur et le bras séculier. L’aigle va fondre sur la vieille buse. » Zardi : « C’est pas une métaphore, c’est une périphrase. » Un comparse : « Ah, fais pas chier ! »,  Zardi : « Ça, c’est une métaphore ! »

Après cela on peut mourir serein, regretté au-delà du cercle de la famille (dont fait partie sa nièce Agnès Jaoui) et de ses amis, qui étaient fort nombreux et de qualité.



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