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Verra-t-on Notre-Dame saccagée?

Comment effacer huit siècles d’histoire


Verra-t-on Notre-Dame saccagée?
Avril 2020 © ISA HARSIN/SIPA Numéro de reportage : 00958099_000008

Le programme de réaménagement intérieur validé par la Commission Nationale du Patrimoine et de l’Architecture entend transformer une partie de l’édifice en une sorte de musée du catholicisme pour les nuls. #saccageNotreDame va-t-il supplanter #saccageParis sur les réseaux sociaux? La cathédrale Notre-Dame-de-Paris « parle d’elle-même », donc il est absurde d’envisager d’y créer un espace d’« exposition expérimentale », un parcours avec projections vidéo, street art ou chants contemporains!


Les 15 et 16 avril 2019, un incendie majeur a ravagé pendant près de 15 heures une partie de Notre-Dame de Paris, un joyau patrimonial datant des XIIe et XIVe siècles. Le sinistre s’est déclaré dans les combles avant de prendre rapidement une grande ampleur. Les flammes ont détruit intégralement la flèche de Viollet-le-Duc inaugurée en 1859 [1], les toitures de la nef et du transept ainsi que sa charpente. Ont été également à déplorer l’écroulement de la voûte de la croisée du transept et des dégâts considérables sur le bras nord ainsi que sur une travée de la nef. Cependant, la structure globale et les deux tours, la façade occidentale ainsi que l’essentiel des œuvres d’art ont été épargnés.

Deux ans après cette « blessure, cet accident horrible » [2], les opérations de nettoyage et de sécurisation de la croisée du transept, la pose de cintres en bois, le déblaiement de vestiges, la dépose du grand orgue ou encore le démontage de l’échafaudage sont désormais achevés. La cathédrale est à présent hors de danger. Sa restauration proprement dite va pouvoir commencer avec l’objectif ambitieux d’une réouverture qui devrait être consacrée par une messe célébrée le 26 avril 2024. Le temps est donc venu d’évoquer les plans destinés à transformer ce monument et ses abords. En effet, après une telle tragédie patrimoniale, il a été décidé de reconstruire non seulement l’édifice, mais de réagencer aussi ses alentours.

4,75 hectares à réaménager

Épaulé par un consortium d’investisseurs français et étrangers, l’État se charge d’achever la rénovation d’une large partie de la nef et du toit, grâce à l’apport de 842,8 millions d’euros de dons (français et étrangers) collectés à ce jour [3]. En revanche, il revient à la Ville de Paris d’aménager les espaces extérieurs, en concertation avec l’Établissement public de conservation et de restauration de Notre-Dame ainsi qu’avec le Diocèse de Paris. Précédé par de nombreuses études, ce chantier est aujourd’hui financé à hauteur de 50 millionsd’euros. Nous savons déjà que le périmètre d’intervention devrait dépasser considérablement la superficie de la construction. Il comprendrait le parvis bien sûr, mais aussi les quais de Seine (haut et bas), la rue du Cloître Notre-Dame, le Mémorial des martyrs de la Déportation, les squares Jean XXIII et de l’Île-de-France ou encore en sous-sol la crypte archéologique et le parking Notre-Dame. En d’autres termes, ce sont près de 4,75 hectares en plein coeur de l’Île de la Cité qui doivent être réaménagés.

Incendie de Notre-Dame le 15 avril 2019 © Diana Ayanna/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22325038_000006

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Une consultation internationale a par conséquent été lancée au printemps 2021, suscitant une concurrence très rude parmi les architectes. Les quatre équipes sélectionnées finalement pour réaménager les abords ont été présentées le 27 septembre dernier par la maire de Paris, Anne Hidalgo. En outre, la langue de bois municipale a informé le public qu’« une consultation citoyenne ouverte à tous » a eu lieu ; les édiles précisant qu’elle sera prise en compte dans le verdict final. Son travail de « dialogue compétitif », mené jusqu’en novembre 2021 avec les différentes parties prenantes, illustrera affirment-ils « la variété des points de vue pouvant exister dans la population parisienne et Grand parisienne ».

C’est dire combien il s’agit là d’un enjeu architectural et urbanistique d’importance déterminante. Or, des inquiétudes ont été exprimées quant à cette future réalisation, inquiétudes dont les médias se sont faits largement l’écho. Certes, après bien des polémiques et des atermoiements, le principe d’une restitution à l’identique de la flèche de Viollet-le-Duc et du grand comble de la cathédrale couvrant la nef, le chœur et le transept, a été définitivement entériné. C’est ainsi que 1000 chênes nécessaires à cette entreprise ont été sélectionnés et récoltés dès le début de l’année 2021.

Inquiétudes autour d’un espace d’exposition « expérimentale »

Malheureusement, il n’en va pas de même pour le reste du projet de reconstruction qui s’apparente d’ores et déjà bien davantage à une déconstruction de notre histoire, comme la pratique si bien la cancel culture, bras armé de l’idéologie woke. Tout se passe en effet comme si la dimension religieuse, culturelle et finalement identitaire, dont témoigne cette cathédrale depuis des siècles, devait être de nos jours nécessairement profanée et souillée. Tout se passe comme si sa beauté en majesté n’était plus acceptée comme telle et qu’il fallût nécessairement l’outrager pour pouvoir continuer de la tolérer. Qu’on en juge : à l’intérieur, l’objectif vise à créer un espace « d’exposition expérimentale » – comprenant des animations et projections sur les murs – qui doit remplacer les chapelles médiévales par des éléments modernes. Pour l’architecte et éditeur de renommée mondiale, Maurice Culot, une telle opération qualifiée par ses promoteurs de « bonne occasion »reviendrait à transformer ce lieu de recueillement et de pèlerinage en un vulgaire Disneyland. D’autant plus qu’il est prévu de détruire certaines parties architecturales – restées pourtant intactes après le sinistre – afin de faire place à la modernité, en l’occurrence à un temple du kitsch. Les partisans d’une restauration radicale – pour lesquels ce seraitune« capitulation »de refaire Notre-Dame à l’identique – ont notamment envisagé de retirer des vitraux de Viollet-le-Duc afin de les remplacer par des pièces contemporaines. Aux yeux de cet historien des villes, une telle décision défie toutes les lois de la conservation et conduirait à dénaturer l’édifice. Le combat de cet homme apparaît d’autant plus légitime que ce joyau médiéval appartient à l’humanité tout entière et non uniquement à Paris. C’est donc à juste titre qu’il a déclaré : « Tous les pays se sont impliqués dans la restauration, il convient maintenant de demander des comptes pour que l’intérieur du monument soit traité de manière respectueuse et homogène […] et que ce projet insensé ne se réalise jamais » [4]. C’est pourquoi il en a appelé à une mobilisation internationale afin que cette démarche ne voie jamais le jour. Comment ne pas songer à cet égard à la réflexion d’Ernst Jünger : « Profonde est la haine qui brûle contre la beauté dans les cœurs abjects » ?

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L’urbaniste belge semble avoir été entendu car plus de cent personnalités viennent de dénoncer ce dessein « absurde » dans une tribune intitulée, « Notre-Dame de Paris : ̋Ce que l’incendie a épargné, le diocèse veut le détruire”». Publié conjointement par le magazine La Tribune de l’Art et Le Figaro [5], ce texte critique avec virulence le programme présenté par le diocèse de Paris qui vise à rénover l’intérieur de Notre-Dame pour en faire une espèce de galerie d’art dédiée à la laideur progressiste. Les signataires s’insurgent notamment contre « un parcours catéchuménal à l’intérieur de la cathédrale, de façon à expliquer le catholicisme aux 12 millions de touristes, avec des animations, des projections de mots en différentes langues sur les parois ». Ce projet décrié prévoit l’installation de bancs amovibles, un éclairage changeant en fonction des saisons, des projections vidéo sur les murs, des bancs à roulettes dotés de lumignons, du street art et des chants contemporains. En bref, autant d’éléments qui ravaleraient de facto la cathédrale au niveau de toutes les productions culturelles offrant aujourd’hui au public un divertissement bas de gamme. De telles modifications affecteraient naturellement l’ensemble du mobilier et relèveraient du vandalisme. Quant à la circulation interne conçue au Moyen-Age puis restaurée et mise en valeur par Viollet-le-Duc, elle disparaîtrait purement et simplement.

Trivialité mondialisée sans repères ni racines

On voit que s’exprime ainsi la volonté manifeste d’effacer un espace liturgique existant depuis des siècles au profit d’une trivialité mondialisée sans repères ni racines. Si les défenseurs du patrimoine existant conviennent qu’une telle démarche pourrait éventuellement se concevoir dans un musée, ils réprouvent en revanche farouchement une telle perspective pour la cathédrale qui « parle d’elle-même ». Autrement dit, le caractère sacré de cet édifice ne saurait faire l’objet d’aucun accommodement. Rien ne saurait justifier qu’il soit porté atteinte à la cohérence d’ensemble de la cathédrale qui conjugue en une perfection formelle architecture et décor, peinture et sculpture, ébénisterie et orfèvrerie, vitraux et luminaires. Il s’agit par conséquent pour eux de rejeter « un catholicisme pour les nuls à l’intérieur d’une église où se sont accumulées des œuvres d’art pendant 800 ans » souligne l’éditorialiste Anne-Elisabeth Moutet.

Cependant, le 9 décembre dernier, la CNPA (Commission Nationale du Patrimoine et de l’Architecture) a rendu, après délibération, un avis positif sur le programme de réaménagement intérieur. À l’exception de quelques dispositions (comme le refus d’accepter le déplacement des statues de saints présents sur les autels des chapelles), elle a globalement validé une transformation substantielle de l’espace intérieur de la cathédrale – pourtant classé monument historique – en espace d’expérimentation aussi hasardeuse qu’impudente [6]. Il s’agit en l’occurrence d’une vaste entreprise de dénaturation d’un des principaux emblèmes de la chrétienté française.

Finalement, il faut y voir dans ces grandes manœuvres une déconstruction délibérée de notre civilisation. Le combat ne fait toutefois que commencer car en janvier 2022 sera présenté le projet relatif au parvis de la cathédrale qui relève cette fois-ci de la responsabilité de la Ville de Paris. Or, la gestion de cette dernière, qui est déjà violemment contestée par le mouvement de citoyens #saccageparis, pourrait être confrontée demain à une mobilisation #saccageNotreDame de bien plus grande envergure. En effet, nombre de personnes sont d’ores et déjà décidées à ne pas laisser bafouer ce trésor patrimonial dont nous sommes comptables et que nous ont légué les générations antérieures.

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[1] Composée de 500 tonnes de bois et 250 tonnes de plomb, elle surmontait la croisée du transept et culminait à 93 mètres.

[2] Expression de l’éditorialiste au Daily Telegraph, Anne-Elisabeth Moutet au micro d’Europe 1, le 8 décembre 2021.

[3] Cette somme se décompose ainsi : la fondation Notre-Dame en a collecté près de 360, la fondation du patrimoine 232 millions dont 100 millions de Total, la fondation de France 31 millions, le Centre des monuments nationaux 7,8 millions, le ministère de la Culture près de 9 millions et l’établissement public qui reçoit plusieurs dons directs notamment de la fondation Bettencourt, 203 millions.

[4] « Exclusive: Notre-Dame interior faces woke ‘Disney’ revamp », Daily Telegraph, 26 nov. 2021.

[5] Le Figaro, Tribune collective publiée le 7 décembre 2021. Parmi les signataires, on note les noms de Stéphane Bern, Alain Finkielkraut, Anne-Elisabeth Moutet, Pierre Nora et l’historien de l’art Didier Rykner, directeur de La Tribune de l’Art, qui est à l’origine de cette initiative.

[6] Il est prévu de supprimer quasiment tout l’apport de Viollet-le-Duc, notamment les confessionnaux et l’orfèvrerie.




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Josepha Laroche est professeur de science politique à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages en relations internationales. Elle vient de faire paraître aux éditions Vérone une trilogie consacrée à Freud ("Freud à Paris", "Freud 1917" et "Freud 1918-1939. La détresse d’une époque").

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