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Valse avec Bachar


Finalement, la surprise du défilé du 14 juillet, c’est qu’il n’y en eut point. De surprise. Vous, je ne sais pas, mais pour ma part, je m’étais laissé convaincre que les cérémonies réserveraient quelque chose de fâcheux. Un drame, qui sait ? Pensez : des militaires à cran, paupérisés, humiliés d’avoir été traités d’ »amateurs »… La troupe gronde, nous disait-on ! Un coup de folie, sous le soleil exactement, et Sarkozy en sa tribune officielle allait finir comme Sadate. D’autant que la dernière promotion de l’Ecole Militaire Interarmes, qui défilait ce jour-là, avait pris pour nom de baptême celui d’un jeune officier tué en 1983 au Liban, dans l’attentat du Drakkar, et qu’elle ne goûtait guère l’invitation du dictateur syrien Bachar al-Assad. Kouchner allait-il faire un esclandre ? Rama Yade lui mettre une droite (de l’Homme) ? Si les cérémonies s’achevaient sans camouflet ni ridicule pour le Président, il devrait tout de même rendre compte de cette « incompréhensible invitation » (Libération).

Encore sonnée par l’avertissement d’Edwy Plenel dans le Nouvel Obs (« Le sarkozysme est l’adversaire de la liberté de la presse »), notre presse souligna la gravité de ladite invitation en annonçant le boycott des cérémonies par… Jacques Chirac. Oui, Chirac, l’homme dont l’éthique comme les succès internationaux sont bien connus. L’ancien Président avait un sérieux titre à bouder la présence de Bachar, puisqu’il soupçonne la Syrie d’avoir commandité l’assassinat de son ami Rafic Hariri, homme fort du Liban, dont la famille prête aux Chirac et à titre gracieux un appartement somptueux. On ne s’y attarda guère : l’essentiel était d’étayer l’évidence, à savoir que Sarkozy, tout comme avec Khadafi, s’était encore planté. Quelques rappels auraient été pourtant judicieux : l’attentat du Drakkar, c’était le Hezbollah allié de l’Iran, et à l’époque ce n’était pas Bachar, mais son père Hafez, qui dirigeait la Syrie – pas de quoi agacer les dents du fils, je vous prie. De même sait-on aujourd’hui que l’assassinat de Hariri causa un embarras immense au nouveau et jeune maître de Damas, qui avait irrévocablement décidé l’évacuation du Liban. La vieille garde de son père avait-elle fait assassiner Hariri pour le déstabiliser ? Mystère. On passa également sous silence l’exécution en plein Damas d’Imad Mughniyeh, relais local du Hezbollah – assassinat tout aussi énigmatique. La Syrie en proie à une lutte sans merci entre les vieux cadres du parti Baas, pro-iraniens et opposés à toute forme de paix avec Israël, et l’entourage de Bachar ? Voilà qui était secondaire. Sarkozy devait avoir tort. Or l’impensable est advenu ce 14 juillet : Bachar a reconnu et accepté l’indépendance du Liban, considéré par la Syrie comme une province à part entière depuis la décolonisation, et promis l’ouverture prochaine d’ambassades. Imagine-t-on la Chine renonçant au Tibet ? C’est exactement ce que Bachar semble avoir fait.

Restait le lancement de l’Union Pour la Méditerranée. Projet chimérique, dont Sarkozy s’était trop vite entiché : on allait voir ce qu’on allait voir. La déconvenue était inévitable pour le mari de Carla Bruni. Eh bien, l’invitation si dérangeante de Bachar porta une nouvelle fois ses fruits. Non seulement les leaders musulmans acceptèrent la présence du Premier ministre israélien, mais la Syrie évoqua à cette occasion la perspective de « négociations directes avec Israël » Oui, avec Israël, pas avec « l’occupant sioniste » ni même l’ »entité ». Changement inouï, là encore, qualifié par The Economist « d’avancée majeure ». Et ce n’était pas Le Figaro, mais El Mundo qui concluait : « La diplomatie française peut être fière. Comme au plus beau temps de la  » grandeur française », Paris aura été ces jours-ci la capitale de la haute politique mondiale. » L’opposition, elle, restait interdite quand Michel Vauzelle, patron socialiste de la région PACA, saluait « un grand succès pour le président et pour la France ».

Et ce succès – surprise sur le gâteau… – fut accompagné d’une forme de repentance de la part de Bachar al-Assad : « Nous ne disons pas que nous sommes un pays démocratique par excellence, expliquait-il au Figaro. Nous disons que nous empruntons ce chemin et c’est un long chemin… » C’est peu, certes, pour les Syriens, mais c’est énorme quand on songe aux discours relativistes qui sont à l’accoutumée tenus par nos hôtes non démocrates, qualifiant cette question de luxe ou de lubie occidentale. Or donc, au final, l’ »incompréhensible invitation » de Bachar Al-Assad et ses conséquences pourraient se révéler avoir été un coup de maître. Leçon à méditer, sans doute, pour tous ceux qui, de son physique à ses amours, ont décrété qu’au contraire du cochon, dans le Sarkozy tout est mauvais. Les jeunes vieux Guignols comme les amis de Villepin au Quai d’Orsay auront certes du mal à en convenir mais pour l’heure, Sarkozy les a comme jamais n… Comment dit-on déjà en arabe ?

Août 2008 · N°2

Article extrait du Magazine Causeur



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David Martin-Castelnau est grand reporter, auteur des "Francophobes" (Fayard, 2002).

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