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Un grand ministre doit-il être contre ?

Le billet justice de Philippe Bilger


Un grand ministre doit-il être contre ?
Le ministre français de la Justice, Gérald Darmanin, lors de la séance hebdomadaire des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale à Paris le 3 juin © Jacques Witt/SIPA

Gérald Darmanin s’impose à la tête d’un chantier au cœur du débat public: une grande réforme radicale de la justice. En lançant ce 12 juin une vaste consultation préalable au projet de loi prévu en septembre — suppression du sursis, peines minimales, catégorisation des détenus, plaider-coupable criminel —, il défie l’inertie du corps judiciaire tout en surfant sur l’exaspération citoyenne née des violences post-PSG.


On ne cesse de dénoncer la médiocrité de la classe politique et je suis persuadé que cette hostilité globale et compulsive n’est pas sans incidence sur la dégradation de la démocratie, en mêlant de manière systématique les ombres et les lumières.
Je songe cependant au sentiment majoritaire qui regrette que nous ne soyons plus gouvernés par des ministres à la compétence et à l’aura indiscutables. Par ce qu’on pourrait appeler communément de grands ministres.

Où sont passés les grands ministres ?

Je n’ai jamais accepté cette aberration surgie de la tête du couple présidentiel, qui a consisté à choisir un garde des Sceaux absolument hostile à l’univers professionnel dont il allait avoir la charge. Je continue à ne pas comprendre, même si le sujet n’est plus d’actualité puisque Éric Dupond-Moretti envisage de redevenir avocat – alors qu’il l’avait exclu quand il était ministre. Il était insensé pourtant d’imaginer une concorde entre la magistrature et celui qui, au barreau, l’avait pourfendue avec une dérision blessante.
Cette absurdité de promouvoir une personnalité aux antipodes de l’élémentaire empathie qu’il convient d’éprouver pour le monde au service duquel on devra agir, n’est pas contradictoire avec le constat dont l’histoire politique démontre assez souvent la validité. Le ministre exemplaire est aussi celui qui va savoir être « contre », dans ses projets comme dans ses entreprises.

Gouverner contre les habitudes

Pas tout le temps naturellement, mais lors de ces moments capitaux où, pour fuir une gestion tiède et sans risque, il conçoit un futur qui, parce qu’il est intelligemment transgressif, va le mettre au moins partiellement en opposition avec la majorité conservatrice de ses troupes. Non pas forcément dans sa seule définition politique mais en raison de cette pente qui souhaite, tout en réclamant du changement, que surtout il n’ait pas lieu. On aime bien les ministres qui évoquent des avancées mais ne mettent pas tout leur acharnement à les concrétiser.
Gabriel Attal, par exemple, était parti pour être, dans ce registre de l’opposition, un grand ministre de l’Éducation nationale. Mais trop rapidement nommé Premier ministre !

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Récemment, on a évoqué, comme si c’était une catastrophe, le début d’hostilité entre le ministre de la Justice Gérald Darmanin et les magistrats à cause des annonces du premier qui a l’intention de faire approuver quelques mesures essentielles et novatrices relevant à la fois du bon sens et d’une efficacité tirant les leçons des dysfonctionnements passés.

Darmanin, l’offensive judiciaire

Largement approuvées par les citoyens, elles sont accueillies avec méfiance par le corps judiciaire. Il est fondamental non seulement de ne pas s’en étonner mais de soutenir Gérald Darmanin dans sa résolution d’imposer ce qu’il estime nécessaire à une meilleure administration de la Justice. Il est évident que l’arbitrage à effectuer appelle une conclusion sans équivoque. Plutôt le service du peuple que l’adhésion à la cause corporatiste.
Il ne faut pas se leurrer. Jamais on ne pourra mettre en œuvre, dans quelque ministère que ce soit, la politique de rupture justifiée par son état présent en obtenant facilement l’assentiment de ceux qui auront la mission de la réaliser. Il y a toujours, pour un ministre qui a l’ambition d’avoir une action remarquable, un passage obligé vers une forme d’autorité pour le meilleur, de résistance à l’égard des pesanteurs et des habitudes reposantes et d’entêtement pour aboutir contre vents et marées. Ce processus n’a de sens que si la personnalité publique est assurée du soutien des citoyens.
On comprendra donc qu’entre les nominations aberrantes de ministres et l’immobilisme de certains, il y a un espace.
Sur le plan régalien, Gérald Darmanin et Bruno Retailleau l’occupent heureusement aujourd’hui.




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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