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Tristes tweets


Depuis trois mois, la guerre du hashtag embrase Twitter. Hashtag ? Pour les non-initiés, c’est le petit morceau de phrase tout boudiné, précédé du symbole dièse et si possible comique, qu’on rajoute à la fin de son message pour expliquer de quoi on cause. Un hashtag au hasard : #Jaisurvécuauxsoldeschezgap ou encore le fameux #vdm, (pour « vie de merde ») qui conclut immanquablement le message de lamentations en 140 signes maximum qui raconte ses ennuis dans le RER B ou à la caisse de Castorama un samedi à 19 heures.

Mais avec le lancement de la campagne que vous savez, de nouveaux hashtags, dénués de toute prétention comique mais lourds de charge citoyenne, ont fait leur apparition sur le réseau. Des hashtags genre #FH2012, #Sarkoçasuffit, #Sarko2012 – j’imagine que les bayrouistes et les mélenchoniens en ont des rien qu’à eux, comme autrefois les jusquauboutinistes ou les morinvingiens. Twitter, on nous l’a assez répété, s’était invité au cœur de la présidentielle…[access capability= »lire_inedits »]

Je l’avoue, Marc Cohen et moi-même avons cédé à la tentation du liveblogging à l’occasion de l’un des débats de la primaire socialiste. Puis nous avons laissé tomber : les blagues du tac au tac, nous préférons les raconter à nos vrais amis ou à notre chat. D’autres, au contraire, semblent avoir renoncé à toute vie privée, enchaînant commentaires sibyllins et analyses lapidaires sur les meetings des uns et les points de presse des autres, twittant le dimanche midi sous la table familiale en laissant refroidir le gigot et négligeant, le lendemain, de vérifier que les baskets sont bien dans le cartable du gamin. Mao disait que la révolution est au bout du fusil : ceux-là pensent qu’elle est au bout des doigts, grâce à Twitter et au smart-phone.

En vertu de quoi certains candidats, comme François Hollande, ont leur cellule riposte Web mobilisée dès qu’il s’agit de couvrir un meeting du champion, ou le moindre bougeage de cheveux de Nicolas Sarkozy. Non pardon, de #Sarkoçasuffit. Il va de soi qu’on fait pareil en face : l’UMP ne serait pas ce qu’elle est sans les traits de génie de Benjamin Lancar et de ses amis Jeunes Pop.

Ce cyber-activisme occupe – à temps de moins en moins partiel – deux mille allumés, estimation des organisateurs, qui s’insultent ou se congratulent entre eux selon qu’ils sont pour la « France forte » ou le « changement maintenant ». D’autre prennent de la hauteur façon Yann Barthès (ceci est un gag) et tirent sur tout ce qui bouge ou moquent les exploits de certains ministres sur Twitter. À juste titre parfois, quand les fautes d’orthographe se ramassent à la pelle (Nadine Morano) ou que, par erreur d’aiguillage, un ministre en exercice dévoile sa vie intime (Éric Besson qui raconte à la France entière qu’il va se coucher et pas seul).

Voilà le tableau. Si tout s’arrêtait là, on pourrait considérer qu’il s’agit d’un aimable divertissement pour étudiant acnéique se rêvant d’un destin de conseiller municipal. Or, certains faiseurs d’opinion se mettent à penser, fascinés qu’ils sont par la victoire prétendument arrachée grâce au Web de Barack Obama, que l’élection se jouera virtuellement. Ils n’en démordent pas : pour emporter la guerre présidentielle, il faut gagner la bataille des 140 signes.

À cette antienne devenue doctrine chez presque tous les candidats, il faut ajouter la twittomanie médiatique. Twitter est devenu terriblement addictif pour le journaliste qui croit dénicher des scoops en scrutant son i-Phone. Comme, en général, notre envoyé spécial sur le Web ne trouve rien qui vaille, il se sert de Twitter pour exhiber ses états d’âme. Tant pis pour le membre de staff de campagne qui croit sentir le pays réel en suivant les remarques des journalistes morts d’ennui qui twittent entre deux rendez-vous. Et voilà comment le serpent virtuel se mord la queue. Croyez-moi, jeunes amis geeks, enfermés dans les QG de campagne, baladés dans des TGV pleins de caméras de télé, parqués dans des stades de province, rassurés ou non par les bons/mauvais chiffres des sondages, vous faites fausse route.

Allez donc dîner chez Mémé ou chez vos cousins de Lamotte-Beuvron, en laissant le portable dans votre veste sur le porte-manteau, parce que c’est plus poli, d’abord. Écoutez de quoi parlent les gens : de cette histoire de viande tuée de manière rituelle, que ça vous plaise ou non. Du prix de l’essence, des impôts, des loyers, de l’euro. Généralement en faisant des phrases de plus de 140 signes, et sans faire d’humour minimaliste même pas drôle.

Un jour sans doute, un politologue racontera comment, à côté de la campagne présidentielle officielle, qui en fait intéresse peu les Français, s’est déroulée une campagne 2.0 très dynamique. Mais virtuelle, hélas. Et qui n’aura été que l’écho et la boussole d’un microcosme surjouant son indignation quotidienne dans un zapping virevoltant (un jour les joueurs de foot qu’on va faire fuir à force d’impôts, le lendemain, ce maire qui veut faire sculpter une statue à l’effigie de Carla, le surlendemain, Bayrou qui monte dans une voiture même pas made in France). Un tweet bien senti, et hop, il se trouvera bien un journaliste ou un blogueur qui prendra cette vessie pour une lanterne éclairant les sujets qui intéressent le monde réel.

Pendant ce temps, Mémé compte les sous qui restent sur sa retraite pour finir la semaine. Et regarde Dr House sur TF1 plutôt qu’un duel Fabius/Sarkozy. Parce qu’à force de répéter que le 6 mars, le candidat-président avait battu des records d’audience (avec des pointes à 6 millions de téléspectateurs), on a oublié qu’ils étaient 2 millions de plus à lui avoir préféré le vilain médecin de TF1. Cela dit, Mémé ira voter le 22 avril, comme des millions de Français, en pensant peut-être que Sarko ça suffit, ou pas. Jamais elle n’aura frémi au gazouillis de Twitter. Reste qu’à l’arrivée, la voix de Mémé comptera autant que celle du branchouillé aux pouces abîmés.[/access]
 

Mars 2012 . N°45

Article extrait du Magazine Causeur



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