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Tu seras un trans, mon fils

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Tu seras un trans, mon fils
L'Existrans, la "Marche des personnes trans et intersexes et de celles qui les soutiennent", Paris, 13 octobre 2018. © Marie Magnin/ Hans Lucas/ AFP

Au Royaume-Uni, le débat sur le genre s’est transformé en guerre culturelle. Comme le démontre Douglas Murray, la cause transgenre est instrumentalisée pour attaquer la biologie et le vieux patriarcat moribond. Sans même épargner les enfants.


Aussi inconcevable que cela semble, nous sommes en train d’adopter une conception totalement différente de l’être humain sur les plans médical, juridique, politique, pédiatrique et procréatif, non seulement sans consulter très largement l’opinion publique, mais de surcroît sans faire intervenir toutes les sources d’information pertinentes.

Qu’est-ce qu’un homme ? Qui a le droit de s’appeler une femme et d’assumer la condition féminine ? Qui peut prétendre au titre de mère ou de père ? À partir de quel âge les enfants peuvent-ils décider de changer de sexe ou de genre ? Quelles sont les conséquences à long terme des traitements requis par ce changement ? À ces questions fondamentales, certains militants influents prétendent apporter des réponses définitives en l’absence de toute forme de dialogue apaisé. En France, pays pour l’instant relativement épargné par ces problématiques, on a pu ironiser là-dessus, on se gausse volontiers des dernières lubies des cultures anglo-saxonnes. On a tort. À trop railler, on ne fait qu’éluder un débat qui est en train de se transformer en une véritable guerre culturelle. Dans son dernier livre, dont le titre signifie littéralement « la folie des foules [tooltips content= »The Madness of Crowds : Gender, Race and Identity, Bloomsbury Continuum, 2019. »][1][/tooltips] », le Britannique Douglas Murray démonte patiemment les mécanismes de cette terreur idéologique qui entrave toute discussion des identités de genre et de race. Dans le chapitre final de ce chef-d’œuvre de lucidité et de pensée critique, il montre comment la question transgenre, la « transidentité », a été instrumentalisée pour en faire une sorte de « bélier » destiné à détruire les dernières citadelles de quelque patriarcat scientifico-capitaliste fantasmé par les nouveaux guerriers de la bien-pensance.

La folie de quelques uns

Dans leur conception radicale de l’être humain, trois éléments d’importance inégale définissent l’individu : le sexe, le genre et l’orientation sexuelle. Le sexe, d’ordre biologique, représente très peu de choses. Résultant de la seule décision d’un médecin ou d’une sage-femme à la naissance – ce qu’on appelle l’« assignation sexuelle » –, il est arbitraire et facile à remodeler par les drogues et le bistouri. Le genre, en revanche, est un phénomène solide, palpable, quoique prenant son origine uniquement dans le ressenti de l’individu. C’est dans le genre que l’individu trouve son centre, son ancre. Finalement, l’orientation sexuelle, libre et flottante, est indépendante de ces autres éléments. On peut très bien avoir une identité de genre totalement différente du sexe assigné à sa naissance. La souffrance engendrée par l’incongruence entre les deux s’appelle la « dysphorie de genre » : pour l’apaiser, on change son corps par un traitement hormonal et, au besoin, la « chirurgie de réassignation sexuelle ». Ainsi, des hommes deviennent des femmes, ou des « trans femmes » ; et des femmes deviennent des hommes, ou des « trans hommes ». Il existe une troisième catégorie qui regroupe les personnes se réclamant de deux ou de multiples genres, ou d’aucun. Les qualificatifs ici sont : non-binaire, genderqueer, bigenre, pangenre, agenre… Que tous ces individus aient des droits est évident. Reste à savoir lesquels.

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Pour commencer, ces définitions, qui donnent naissance à une série de paradoxes, posent des problèmes d’ordre logique. Tout d’abord, la théorie du genre semble affirmer le libre arbitre humain en nous libérant de la tyrannie de la biologie, le corps étant entièrement soumis à l’esprit. Sauf que nous devons, par conséquent, nous incliner devant un autre déterminisme, celui du genre, qui, à la différence du corps, dépend d’un ressenti beaucoup moins tangible pour la société, la médecine et potentiellement le sujet lui-même. Ensuite, c’est compréhensible, les activistes transgenres souhaitent sortir leur expérience du domaine de la pathologie, et veulent que l’on y voie non un trouble, mais une opportunité d’épanouissement. Seulement, tant que la dysphorie est présentée comme un mal, on peut réclamer un traitement médical, souvent remboursé. Pour définir la dysphorie comme un problème non médical tout en conservant l’accès aux soins, la solution est d’y voir un mal social. Les trans sont constamment victimes de discriminations et de violences. Cela est aussi vrai que déplorable. Mais selon la dysphorie nouvelle version, c’est toute la société et le système des genres qui y est associé qui sont responsables de ces souffrances. Les personnes dont le genre correspond au sexe (c’est-à-dire l’écrasante majorité) sont appelées les « cisgenres », le contraire de « transgenre ». Tout dans les institutions traditionnelles est conçu uniquement pour eux – c’est la « cisnormativité ». Comme l’affirme Judith Butler, la grande référence ici, « les normes de genre elles-mêmes » constituent « une source de désarroi [tooltips content= »Défaire le genre, éd. Amsterdam, 2012. »][2][/tooltips] ». Il s’agit donc de les abattre. L’ennui, c’est que ces mêmes normes ont permis aux trans de construire cette identité genrée qui est le point fixe de leur vie. Ainsi, le concept de genre lui-même se désagrège et explose en plein vol. Simple aporie théorique ? Pour paraphraser Sherlock Holmes, les méfaits sont fréquents, mais la logique est rare. Il y a des perdants potentiels dans cette confusion.

Les grands perdants d’une confusion

D’abord, les femmes. Ce qui les rend irremplaçables (et en même temps leur vaut problèmes physiques et discriminations), c’est-à-dire la biologie, est désormais d’importance secondaire. À l’automne dernier, le tribunal de grande instance de Londres a rejeté la requête d’un trans homme, ayant conservé son utérus, qui voulait figurer sur l’acte de naissance de son bébé en tant que père. Le juge a dû réaffirmer que, selon la langue anglaise, seule une mère peut enfanter. Les mots ont leur importance.

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En somme, les féministes s’emploient depuis longtemps à établir que, en dépit des différences physiques, il n’y a pas de différence profonde entre les cerveaux masculins et féminins, et que le genre représente un ensemble de stéréotypes imposé par la société. Maintenant, elles doivent admettre que le genre, tout en restant flou, est inhérent à l’esprit. Ce fait permet aux trans femmes d’avoir un accès libre et entier à tous les domaines et services réservés aux femmes. Dans le sport de haut niveau, des trans femmes, ayant bénéficié sur le plan physique du développement d’un corps masculin, peuvent concourir dans des catégories féminines avec un avantage potentiel. Actuellement, il faut qu’elles aient maintenu un niveau réduit de testostérone pendant un an. Cette obligation étant dénoncée comme insuffisante par d’anciennes grandes sportives, la commission médicale du Comité international olympique s’est réunie afin de déterminer de nouvelles modalités pour Tokyo 2020, mais n’a pas pu se mettre d’accord, tant la question est controversée. Il y a aussi la question des prisons et des refuges pour femmes. Des cas exceptionnels, mais notoires d’hommes se prétendant trans femmes pour s’introduire dans ces espaces pour commettre des crimes sexuels soulignent les limites de l’équation absolue « trans femme = femme ». Finalement, il y a ce qu’on appelle le « plafond de coton » : des lesbiennes qui affirment que leur orientation sexuelle ne les attire pas vers des femmes ayant un pénis – des trans femmes n’ayant pas eu la chirurgie de réassignation – sont dénoncées par des activistes trans comme sexistes [tooltips content= »« Trans inmate jailed for Wakefield prison sex offences », News, bbc.com, 11 oct. 2018 ; Angela Wild, « Opinion : lesbians need to get the L out of the LGBT+ community », Thomson Reuters Foundation, 12 avril 2019. »][3][/tooltips].

Marche pour les droits des personnes LGBT et transsexuelles à Londres, 2 novembre 2019. © Penelope Barritt/ REX/ SIPA
Marche pour les droits des personnes LGBT et transsexuelles à Londres, 2 novembre 2019.
© Penelope Barritt/ REX/ SIPA

Les autres perdants potentiels de cette évolution, peut-être de cette révolution du genre sont les enfants. Depuis dix ans, le nombre d’enfants déclarant vouloir changer de genre a significativement augmenté, de même que la pression pour baisser l’âge auquel l’individu peut demander un traitement de bloqueurs de puberté et d’hormonosubstitution. Un scandale au Service du développement de l’identité de genre du Service de santé national anglais a révélé que 35 médecins en avaient démissionné depuis trois ans, car ils se sentaient de plus en plus obligés de recommander des traitements radicaux pour des enfants sous peine d’être dénoncés comme des transphobes. On aimerait que la science nous éclaire sur ces questions délicates, mais la liberté de la recherche est souvent entravée par la pression politique et médiatique exercée par des activistes. Ceux-ci s’en prennent, par exemple, aux chercheurs suggérant qu’il faudrait aider un enfant à accepter son corps avant de l’aider à le modifier, que la prolifération actuelle d’enfants souffrant de dysphorie de genre puisse être alimentée par la contagion sociale ou qu’on devrait s’intéresser aux personnes qui regrettent leur « transition » vers le genre opposé et qui veulent « détransitionner [tooltips content= »James Caspian, « Why detransitioners frighten trans activists », spiked-online.com, 23 oct.19. »][4][/tooltips] ».

Tout cela renforce l’idée que les décisions ne sont pas les fruits d’une vraie délibération démocratique. En décembre, un document partiellement rédigé par un grand cabinet d’avocats, a été révélé par la presse britannique. Il définit une stratégie de lobbying visant à obtenir plus de liberté de changer de genre pour les enfants. Il prévoit notamment de proposer au législateur des textes de loi déjà rédigés et de minimiser la couverture médiatique [tooltips content= »James Kirkup, « The document that reveals the remarkable tactics of trans lobbyists », The Spectator, 2 déc. 2019. »][5][/tooltips]. Selon Murray, le libéralisme (au sens moral) qui faisait preuve de curiosité et d’ouverture au monde, et qui est à la base de nos sociétés occidentales, a été supplanté par un libéralisme dogmatique et vengeur qui risque de mettre fin à l’ère du libéralisme lui-même. Les Français auraient tort de se croire immunisés. Il n’est pas certain que le village d’Astérix résistera encore et toujours à cet envahisseur idéologique.

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Mars 2020 - Causeur #77

Article extrait du Magazine Causeur




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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