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Sélectionner les étudiants au mérite? Quel scandale!

La société veut une science à son image


Sélectionner les étudiants au mérite? Quel scandale!
Manifestations suivant la mort de George Floyd devant l'académie de l'art cinématographique et des sciences, à Beverly Hills, le 5 juin 2020. © AP Photo/Chris Pizzello/CACP103/20158000149385//2006060205

Le petit monde de la recherche en chimie a connu un séisme au début du mois. Tomas Hudlický, enseignant-chercheur à l’université de Brock (Canada), a publié un article dans la revue allemande Angewandte Chemie. Il y argumente en faveur de la compétence comme critère principal de recrutement. Au temps de la discrimination positive, cette défense de la méritocratie a soulevé l’indignation.


Le 4 juin, Thomas Hudlický, enseignant-chercheur en chimie, publie un article dans le journal allemand Angewandte Chemie intitulé « Organic synthesis where now ? is thirty years old. A reflection on the current state of affairs » (« Où en est la synthèse organique ? 30 ans après. Une réflexion sur l’état actuel des choses »). Vendredi 5 juin, la revue décide de retirer l’article de Tomas Hudlický, sans même produire de note pour justifier sa décision, procédure scientifique de base et courtoisie élémentaire. Dans l’article censuré, Hudlický affirmait que les mesures en faveur de la diversité (ethnique et sexuelle) nuisaient à sa discipline scientifique si elles conduisaient à privilégier un candidat moins compétent qu’un autre. Mais apparemment, le recrutement au mérite n’a plus droit de cité jusque dans les revues scientifiques!

Des idées préhistoriques

À en croire le portrait qu’en font ses détracteurs, Tomas Hudlický tient moins de l’honnête chercheur en chimie que d’un dinosaure aux idées préhistoriques. Quelques bons samaritains ont republié l’article incriminé sur internet pour ceux qui voudraient se faire un avis eux-mêmes. Petit florilège de pensées « nauséabondes » :

« Dans une situation d’équilibre social, avantager un groupe conduit à en désavantager un autre »
« Chaque candidat devrait avoir la même opportunité de prétendre à un poste, peu importe le groupe auquel il s’identifie ou est catégorisé »

Et enfin – âmes sensibles s’abstenir –
« L’augmentation et l’accent mis sur des pratiques de recrutement qui suggèrent ou exigent l’égalité en termes numériques absolus sont contre-productifs s’ils donnent lieu à une discrimination des candidats les plus méritants ».

Le premier graphique accompagnant l’article – lequel figurait une flèche « diversité » comme un facteur négatif – a cristallisé l’indignation. Beaucoup n’ont évidemment pas pris la peine de le restituer dans le contexte global de l’article.

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Parmi les « leaders » affichés de la fronde contre Hudlický, se trouve un certain L- C. Campeau. Il a été dans les premiers à faire publiquement état de la déception que lui a causé M. Hudlický. Puisant dans son expérience personnelle pour invalider les thèses de Tomas Hudlický, il affirme : « en tant que recruteur expérimenté et leader […] je peux vous dire que ses conclusions sont non seulement factuellement fausses mais qu’elles représentent de surcroît tout à fait le genre de biais dont notre secteur cherche à se débarrasser. J’encourage les autres leaders à les dénoncer. »

Le hic, c’est que M. Campeau n’est ni chercheur ni universitaire : il travaille pour le laboratoire Merck[tooltips content= »Ironie de l’histoire, Merck était une filiale américaine du grand groupe allemand du même nom, filière cédée aux américains après la guerre en guise de dédommagement. Cent ans plus tard, c’est au tour du journal allemand Angewandte Chemie de sacrifier son autonomie idéologique aux Etats-Unis. »]1[/tooltips]… Rien de répréhensible dans ce simple fait, mais ainsi juger un travail universitaire serait cocasse si L- C. Campeau ne débordait pas autant de certitudes. La science de M. Campeau semble écartelée entre des positions épistémiques passéistes et postmodernes : d’un côté un positivisme dix-neuvièmiste (ses certitudes sur les bénéfices de la « diversité ») et de l’autre un relativisme extrême à la Feyerabend[tooltips content= »Paul Feyerabend, dans Adieu la raison ou Contre la méthode défend ce qu’il appelle un « anarchisme épistémologique », c’est-à-dire la possibilité de proposer des hypothèses en contradiction avec les paradigmes et les interprétations en vigueur. Dans cette optique relativiste, une hypothèse ne doit pas être jugée à l’aune de sa bonne intégration avec les idées et les systèmes déjà existants mais en fonction de sa propre cohérence. »]2[/tooltips] dévoyé qui abolirait complètement la vieille distinction sujet-objet au profit exclusif du premier[tooltips content= »Où le simple fait d’appartenir à une communauté minoritaire est une richesse et une avancée pour la science »]3[/tooltips].

Une cellule psychologique dépêchée sur place

Outre le journal Angewandte Chemie – qui a renvoyé deux des scientifiques ayant laissé passer l’article – tout ce que la recherche en chimie compte d’institutions[tooltips content= »Jusqu’à la Société de chimie chinoise (Chinese Chemistry Society) en passant par la Société de chimie allemande (GDCh) »]4[/tooltips] a attaqué Tomas Hudlický ces derniers jours. Sa propre université (Brock au Canada) s’est désolidarisée dans un communiqué. Le vice-président est allé jusqu’à envoyer une lettre aux étudiants en master dans laquelle il assurait qu’ils pouvaient bénéficier de « soutiens » (psychologiques). C’est que dans son fameux article, M. Hudlický allait jusqu’à estimer que les élèves ne s’investissaient pas assez dans la relation « maître-apprenti ». Face à un esprit si rétrograde, vite, un psy !

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Cette idéologie, bien identifiée dans les sciences humaines, s’étend donc maintenant, et c’est sans doute le fond de l’affaire, aux sciences plus « dures » et descriptives comme la chimie. De jeunes étudiants, chercheurs et professeurs se sont ligués sur les réseaux sociaux sous le hashtag « #ChemTwitter » pour mener leur combat. Il n’y a pas encore de hashtag « #Math Twitter » ou « QuantumPhysics Twitter » cependant. Le 10 juin, quelque 5000 scientifiques du monde anglo-saxon ont organisé une journée de grève en s’appuyant sur ces hashtags, suite à la mort de George Floyd et à ses conséquences. Parmi eux, la prestigieuse revue Nature a par exemple profité de cette journée pour « s’éduquer sur le racisme systémique ». Il n’y a aucune raison pour que cette idéologie ne s’invite pas en France où l’université d’Aix-Marseille entreprend déjà d’installer des « baby-foot inclusifs », une « initiative unique » (pour l’instant) « qui consiste à proposer aux étudiantes et étudiants un équipement ludique qui déconstruit les représentations et les stéréotypes et suscite des échanges sur la mixité et la diversité »

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