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Testament breton

« Le testament breton » de Philippe Le Guillou (Gallimard, 2022) Finistère amer?


Testament breton
L'écrivain Philippe Le Guillou photographié en 1996 à Saint Malo © ANDERSEN/SIPA

Reclus dans sa région natale lors du confinement, l’écrivain Philippe Le Guillou couche sur le papier quelques souvenirs, et raconte le rapport si particulier des Bretons à la mort.


Coincé seul au printemps 2020 au Faou, au beau milieu du Finistère, Philippe Le Guillou a écrit un Testament breton, récit publié en mars chez Gallimard qui mêle considérations autobiographiques et réflexions sur la Bretagne, dans un texte parfois un peu décousu, mais avec de jolies digressions sur la littérature (1).

Petites blessures narcissiques

Le Haut-Breton que je suis ne prendra pas trop ombrage des piques adressées à la ville de Rennes, « si peu bretonne », « un peu prétentieuse et sans charme », ni à la Bretagne orientale dans son ensemble, celle qui ne parle plus breton depuis le XIIIème siècle (Jules Ferry n’y fut pour rien !), ces « marches qui dégagent un charme moins grand » que « les franges ultimes de la péninsule, ces pointes majestueuses qui regardent l’océan ». Après tout, si la Bretagne gallèse n’avait pas existé, si elle avait été engloutie par les eaux comme la cité d’Ys, cela aurait offert à la Bretagne bretonnante un destin insulaire, et en aurait fait une troisième île britannique, peut-être politiquement indépendante, comme les deux autres… 

Une fois dépassé ces petites blessures narcissiques, nous nous plongeons avec délectation dans cet exercice de style qui consiste pour Le Guillou à raconter son rapport personnel à sa région natale, exercice peut-être typiquement breton. Se pose-t-on aussi intensément de telles questions dans le Limousin ? 

Cette démarche a déjà été brillamment menée par d’autres. Par exemple, par Ernest Renan, dans Souvenirs d’enfance et de jeunesse. Ou, plus récemment, par Mona Ozouf, en 2009, dans Composition française, ouvrage dans lequel l’historienne montrait, en racontant sa jeunesse, la subtile superposition d’éléments à première vue contraires : l’influence de la famille attachée à la langue bretonne, l’enseignement délivré par l’école laïque et républicaine, ou l’importance intacte de l’Eglise catholique dans la Bretagne de l’entre-deux-guerres. 

Mona Ozouf est née en 1931, Philippe Le Guillou en 1959. C’est donc la jeunesse d’une autre génération dans ce texte, avec un rapport à soi qui fluctue entre affirmation et honte de soi, ou, du moins, fatigue de soi – par exemple quand la mère de l’auteur décide un beau jour de se débarrasser de tout le mobilier archaïque, des coffres, lits-clos, buffets anciens, assiettes, soupières, statues, bénitiers en faïence, toutes ces « bretonneries », au profit du formica, qui ne vieillira pas forcément mieux. 

Commères de villages toutes de noir vêtues

Dans cette France gaullo-pompidolienne qui se modernise à marche forcée, la Bretagne suit la cadence, détruit son bocage et se débarrasse de son mobilier. Mais elle garde longtemps ce rapport particulier à la mort, notamment quand survient novembre, le mois noir (miz Du), suivi de décembre, le mois très noir (miz Kerzu). Période durant laquelle « on prétend qu’une sorte de porosité, donc de communication, s’établit entre le monde visible et celui des morts, l’Autre Monde, celui des âmes et des ombres »… Le coup d’envoi de cette saison est donnée par les tempêtes : « le vent secoue, bouscule tout sur son passage », arrachant les branches, cassant les ardoises, décrochant les gouttières, détachant parfois les pierres des cheminées. Cette omniprésence de la mort est rappelée par les commères de village « toutes de noir vêtu, comme en deuil perpétuel », et aussi par la figure de l’Ankou, qui apparait sur les ossuaires des églises, « avec sa faux, sa grimace affolante ». 

Ce rapport singulier aux mortsavait été étudié par Alain Croix dans sa thèse d’Etat soutenue en 1980, La Mort quotidienne en Bretagne (1480-1670) ainsi que dans Les Bretons, la mort et Dieu (de 1600 à nos jours), coécrit avec Fanch Roudaut (Messidor, 1984). 

Tanguy Malmanche, écrivain né en 1885, avait écrit de son côté : « Chez nous on ne se soucie guère des vivants mais on a par contre beaucoup d’égards pour les morts. On les met d’abord dans la terre pour qu’ils se reposent. Puis quand on estime qu’ils se sont bien reposés – au bout de cent, deux cents ans – on les remet à l’air pour leur donner un peu de distraction. Comme les têtes de morts ont une certaine difficulté à se déplacer, elles restent là où elles étaient enterrées, c’est-à-dire dans des chapelles. Seulement, elles s’y placent selon leur goût : les dévotes vont sous l’autel, les amateurs de paysage dans la chambre de la tour, et les curieuses sur le confessionnal… Je ne connais, pour faire la conversation, personne de plus agréable que les têtes de morts… Somme toute, il n’est encore que les morts pour savoir vivre» (2)Dans la Bretagne de jadis, la mort semblait être tout un art de vivre

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[1] Comme celle-ci : « À parcourir l’immense nef et les absidioles d’A la recherche du temps perdu, je croyais naïvement que la littérature illuminait tout, sauvait de toutes les noirceurs et de tous les gouffres, qu’elle permettait d’accéder à cette forme supérieure de la vie intellectuelle et sensible, qu’elle éclairait et qu’elle allégeait, et je vois soudain [en hypokhâgne] cette littérature divinisée, idôlatrée, tomber sous les chenilles des tractopelles de la textualité et se laisser démembrer aussi tristement que les prairies finistériennes de l’enfance ».

[2] Tanguy Malmanche, la vie de Salaün qu’ils nommèrent Le Fou, Introduction, p. VI-VII 1926.




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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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