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Mort d’un punk breton

Frank Darcel (1958-2024)


Mort d’un punk breton
L'écrivain, musicien et producteur de musique français Frank Darcel photographié à Rennes en 2017 © Damien MEYER / AFP

Le rockeur Frank Darcel, héros du groupe culte Marquis de Sade et de toute une vague musicale, disparait mystérieusement à l’âge de 65 ans. Hommage à un talentueux musicien français. Talentueux, c’est certain – Français un peu moins…


Il a été retrouvé mort, ce 14 mars, sur une plage du Nord-Ouest de l’Espagne, dans cette Bretagne espagnole qu’est la Galice. Frank Darcel, 65 ans, guitariste du groupe Marquis de Sade, a animé la scène rennaise à partir des années 70. Fils de médecin breton, il était bien parti pour prendre la relève familiale. Un matin, il oublie de se lever pour se rendre à un examen. C’était juste avant de se laisser embarquer dans les rythmes glaciaux de la Cold Wave.

Cancer, Bretagne et Holodomor

Février 1980. Ian Curtis, chanteur de Joy Division, n’en a plus que pour quelques jours. En France, le journal branché de l’époque, Actuel, s’intéresse aux garçons modernes qui aiment leur maman. Entourés de dames très convenables – leurs mamans – les membres du groupe rennais Marquis de Sade posent, bien sagement. Aux côtés de Taxi Girl et de quelques autres, les Bretons, Frank Darcel et le chanteur Philippe Pascal[1], font partie des coqueluches du moment. A la télé française, Thierry Le Luron les invite et les qualifie de « groupe normand ». Sacrilège. Les garçons rennais ont l’air de chercher leurs thèmes et leurs rythmes dans les cimetières : dans Conrad Veidt, ils scandent : « L’Europe désire l’euthanasie ». Ils chantent le cancer et la drogue. Plus récemment, ils ont consacré une chanson à l’Holodomor, famine organisée en Ukraine par l’URSS dans les années 30. Sur scène, ils se mordent les joues de l’intérieur pour avoir des trognes plus émaciés et cadavériques.
Frank Darcel était imprégné d’esthétique Art Nouveau et d’expressionisme allemand. Dans l’interview donnée à Patrick Zerbib, toujours pour Actuel, le guitariste ne cache pas son goût pour Friedrich Nietzsche… ce qui a failli lui donner mauvaise réputation. « Au départ de cette nouvelle réputation, il y a l’envie délibérée de se différencier des autres groupes. De refuser tous les poncifs qui font des groupes de rock des subversifs en carton-pâte. L’envie aussi de manier de nouvelles images, de se trouver de nouvelles références qui collent mieux avec notre musique. En cela, le plan avec Actuel nous parut, au départ, intéressant et surtout drôle. Mais l’interview fût traitée d’une telle manière par le zélé Patrick Zerbib que j’étais devenu l’apôtre d’une ‘’modernité’’ agaçante, prétentieuse et imprégnée d’idéaux totalitaires ».

À lire aussi, du même auteur: Le dictateur, le fils psychopathe et le sacrilège

Le vrai sujet politique qui a animé Frank Darcel, c’était la Bretagne. Dans un podcast pour France Culture, il avait confié : « Le jour où j’ai commencé à lire l’histoire de la Bretagne, dont je n’ai jamais entendu parler à l’école, ça m’a fait bizarre, j’ai été presque vexé. Je me suis dit ‘’eh ben mince, on a existé en tant que Bretagne, indépendante, autonome, etc. Et pourquoi on ne nous en a pas parlé à l’école ?’’. Ça a été un peu comme si on m’annonçait que j’étais un enfant adopté. Ma mère adoptive c’était la France, et ma vraie maman biologique c’était la Bretagne. » Décidément, les garçons modernes aiment leur maman. Militant du Parti national breton, tête de liste de diverses listes autonomes à Rennes et en Bretagne, il est une figure de la question bretonne.

Oiseau de mauvais augure

Miné par des tensions internes, le groupe Marquis de Sade disparait malgré une reconstitution en 2017. Frank Darcel fut ensuite un découvreur de talents : Pascal Obispo, Etienne Daho (pour qui il a co-écrit « Tombé pour la France »)… Tous lui ont rendu hommage ce week-end. Il y a eu aussi la période portugaise de Frank Darcel, durant laquelle il a produit de nombreux groupes lusitaniens. La chanson « Os Filhos Da Nação » (1994) du groupe Quinta do Bill, produit par le Breton, a été reconnue par un média portugais comme l’une des chansons constitutives de l’identité nationale. Une sorte d’hymne officieux. Frank Darcel nous confiait en 2022, amusé : « J’ai modestement contribué à façonner l’identité portugaise ».
Les oreilles détruites par une alarme incendie, Frank Darcel a dû un temps s’éloigner de la musique. En 2022, il publie L’Armée des hommes libres, roman de science-fiction dans lequel il prédit l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les étapes suivantes : invasion de l’Arménie, reprise du conflit irlandais en 2024, chaos atomique… Un beau bordel en vue d’ici à 2030.
Espérons que l’oiseau de mauvais augure, échoué sur les plages de Galice, n’a pas vu trop juste.

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[1] Le chanteur de Marquis de Sade s’est suicidé en 2019



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