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Tamouls, les pogroms oubliés


Tamouls, les pogroms oubliés
Rassemblement pro-tamoul à Paris, 2015. Sipa. Numéro de reportage : 00713130_000007.

Le 23 juillet, les Tamouls du Sri Lanka ont commémoré en France le « pogrom de Juillet Noir », qui marqua en 1983 le début d’une guerre civile qui durera jusqu’en 2009. On en voit dans le métro ou le RER d’Île de France se rendre au travail tôt le matin. Ils parlent une langue impénétrable, font de drôles hochements de tête qu’on est bien en peine de déchiffrer. On peut les confondre avec des Pakistanais mais pourtant, il n’en est rien : ils sont tamouls.

Reconnus au Canada

A deux pas de la station de métro La Chapelle à Paris, où un camion de CRS a pris résidence auprès de migrants vagabonds, Thiru, président de l’association La Maison du Tamil Eelam, me reçoit fort aimablement dans son modeste local. Ce cinquantenaire au visage poupin est arrivé en 1979 en France -avant même la guerre qui débuta en 1983 entre les séparatistes tamouls et le gouvernement du Sri Lanka soutenu par les Cinghalais, membres de l’ethnie majoritaire du pays.  Au programme de son association, la fin des discriminations envers les Tamouls et la reconnaissance de son peuple en tant que nation. « Car il faut que vous sachiez que nous sommes 120 millions sur cette terre, et que si nous sommes reconnus comme ethnie, nous ne sommes pas reconnus en tant que peuple. Le Canada nous reconnaît déjà comme nation. Nous voulons maintenant être reconnus comme tel par les Nations Unies.  » La diaspora tamoule s’est élargie avec la fin de l’esclavage des noirs. Pour remplacer ces derniers, on envoya alors des Tamouls dans les colonies françaises et anglaises. C’est ainsi que si l’on en trouve en Inde (80 millions), au Sri Lanka, en Malaisie ou à Singapour, ils sont aussi présents à la Réunion, à l’Île Maurice, en Guadeloupe, ou dans la Guyane chérie de Christiane Taubira.

300 000 en France

Combien sont-ils en France ? « En 2009, selon le bureau des réfugiés, ils étaient officiellement 156 000 réfugiés. Ce qui correspondrait à environ 300 000 tamouls en France », affirme Thiru d’un air rusé. Une population discrète qui n’exporte pas son conflit ? En apparence. Mais en 1995, deux membres de l’ancien « Comité de coordination tamoul en France » ont été assassinés. Et en 2012, rebelote avec un autre Tigre Tamoul. Si on ignore par qui, on ne voit pas qui aurait eu intérêt à ces forfaits si ce n’est le gouvernement sri-lankais. Mais « on ne sait pas, relativise Thiru avec la sagesse d’un Brahma.  Ce n’est pas à nous d’enquêter là-dessus. Laissons la justice faire son travail ».

Histoire de la guerre

Le 23 juillet 1983, après de sordides crimes de guerre de soldats sri lankais sur des jeunes filles tamoules, les Tigres de libération de l’Eelam tamoulqui réclament la création d’un Etat dans le nord du pays- attaquent une unité militaire à Jaffna (ville du nord du pays, à grande majorité tamoule). L’assaut coûte la vie à treize soldats. La justice populaire ne se fait pas attendre : de terribles représailles de la part des Cinghalais sur la minorité tamoule ont lieu, avec le consentement tacite du gouvernement. Les hostilités armées sont lancées. Jeune trentenaire, Sumanaventhan est arrivé en France en 2014, où il est désormais réfugié de guerre. Originaire de Kilinochichi, petite ville du nord du Sri Lanka, il a arrêté ses études à l’âge de 25 ans pour s’engager dans la guérilla des Tigres, car ses arrière grands-parents étaient déjà victimes d’injustices et certains de ses proches ont péri sous les bombardements du gouvernement. Il part au combat la peur au ventre, convaincu que c’est par la résistance armée que passera la reconnaissance des droits des siens à égalité avec ceux des Cinghalais.

Des terroristes équipés d’avions de guerre

Affecté sur terre – bien que les Tigres aient été la seule organisation terroriste à disposer de bateaux et d’avions de guerre – il passera un an sur des terrains d’entraînement à apprendre le maniement des armes avant d’aller au front. Où il restera deux ans. Il ne participa jamais personnellement aux actions de terrorisme, précise-t-il. Car qu’on ne s’y trompe pas, cette guérilla ferait passer les FARC colombiens ou même l’OLP pour des enfants de chœur : entre 1980 et 2001, près de la moitié des attentats suicide commis dans le monde seraient l’œuvre des Tigres[1. D’après Les 100 mots du terrorisme « Que sais-je », n°3987, Jean-Louis Brugière, Alain Bauer.]. Et parmi ces 75 attentats-suicides, un tiers aurait été commis par des femmes. Extrémisme hindou ? Les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ayant été une organisation laïque et même, comme l’atteste le rouge tomate de son drapeau, d’obédience marxiste, ses kamikazes ne furent pas attendus chacun(e)s  par 70 vierges au Paradis. En revanche, le culte des martyrs permit sans doute aux sacrifiés une reconnaissance posthume au sein de leur minorité.

Exilé à Paris via le Mali

En 2009, l’ancien guérillero échappe de peu à la mort après avoir reçu des éclats de bombes au niveau du crâne, du bras et de la main. S’il peut arborer depuis une cicatrice au niveau du front à faire frémir tous les rappeurs gangsta, il a perdu, plus tragique, la vision de l’œil droit. Après avoir été soigné à l’hôpital de sa ville, il parvient à échapper à la prison en s’enfuyant clandestinement de l’hôpital grâce à un ami qui y travaille. Cinq ans durant, il restera au Sri Lanka caché chez divers membres de sa famille. Puis en 2014, il parvient à gagner l’Inde en avion muni d’un faux passeport, se laissant pousser la barbe et coupant ses cheveux pour ne pas être reconnu. Il fait alors un vol vers le Mali. Puis un dernier vers la France. Il a y peu de temps encore, des soldats sont venus voir ses parents pour leur demander dans quel pays il était parti, confie-t-il. Regrette-t-il d’avoir pris les armes ? « Non, répond-il, imperturbable. Il n’y a toujours pas de droits pour les Tamouls en Sri Lanka. Si un Cinghalais frappe un Tamoul, il y est impossible pour celui-ci de porter plainte. Compte-tenu des injustices subies tous les jours depuis des générations, il n’y avait d’autre choix que celui de la lutte armée ».

Occultés par Gaza

Début 2009, année de la fin de la guerre civile au Sri Lanka, la situation est particulièrement sanglante. Tandis qu’au mois de janvier, de bruyantes manifestations ont lieu en France pour protester contre la guerre de Gaza -avec dans certains cortèges Marie-George Buffet, Jean-Luc Mélenchon ou même Dieudonné-  les Tamouls de France sortent de leur réserve et manifestent. Tous les jours. S’ils peinent à se faire entendre, ils obtiennent finalement quelques articles dans Le Monde, Libération, L’Humanité et « même Le Figaro », souligne Thiru. « Il y  a six millions de tamouls au Sri-Lanka. Si on a 100 000 morts, pour nous c’est beaucoup. Mais on en a moins parlé que de la guerre de Gaza dont on parlait tout le temps, tout le temps »…. Alors ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner fera néanmoins le déplacement au Sri Lanka en compagnie de son homologue britannique pour réclamer une trêve. En mai 2009, suite à un très sanglant assaut de l’armée dans le nord de l’île, les séparatistes reconnaissent officiellement leur défaite. La guerre prend fin. Elle aurait fait près de 100 000 victimes.

Un Etat sinon rien?

Aujourd’hui, tandis que les plaies semblent encore bien ouvertes, qu’en est-il du futur des Tamouls du Sri Lanka ?  Pour Sumanaventhan l’ancien guerrier, rien ne présage de meilleurs jours. « Pour qu’il n’y ait pas de problèmes, il faut un Etat pour les Tamouls et un autre pour les Cinghalais. Autrement, je ne vois pas de solution. Depuis la fin de la guerre, les touristes reviennent au Sri Lanka et le gouvernement leur en donne une image lissée qui n’a rien à voir avec la réalité ».  L’idéal républicain français ne le laisse pas indifférent : « Ici en France, tout le  monde a les mêmes droits. Au Sri Lanka, les Tamouls n’ont toujours aucune liberté d’expression, l’armée les surveille constamment. Si un Tamoul dit du mal du gouvernement, il ne sait pas s’il sera vivant le lendemain. Et si un Cinghalais viole une Tamoule, il ne risque rien. Tant que les Cinghalais contrôlent le pouvoir politique, il n’y aura aucune amélioration pour les Tamouls. Il faut un grand changement politique. Mais pour l’instant, on ne sait pas quand ce jour-là va arriver ».

Et l’autonomie?

Un grand soir ? Pas forcément. L’Alliance Nationale Tamoule, qui a désormais des élus dans l’opposition sri lankaise, prône, plutôt qu’une séparation pure et simple du Sri Lanka, un plus large pouvoir politique pour les régions du pays à majorité tamoule, un peu sur le modèle de l’Inde, son voisin du nord. Et surtout, pour revendiquer l’autodétermination tamoule, elle préfère le principe de non-violence et les actions de désobéissance civile, façon Gandhi ou Dalaï-Lama, à la lutte armée. Cela convainc-t-il l’ancien soldat ? Rien n’est moins sûr : lorsque nous nous quittons, il m’offre une jolie petite carte ornée de Velupillai Pirapakaran – le leader abattu en 2009 par l’armée loyaliste, mais « qui est toujours le leader » précise-t-il- posant en costume blanc, devant le dessin d’un tigre aux couleurs arc en ciel. Quand le kitch du Kollywood, version tamoule du Bollywood, s’invite dans la guérilla…

On ne parle pas de politique à table !

Les Tamouls de France sont essentiellement présents en Île de France. Et depuis quelques années, un « Little Jaffna » a crû à La Courneuve. S’ils ne sont guère bruyants, des élus tamouls siègent au conseil municipal de cette commune, menés par le communiste Anthony Couteau-Russel (qui semble avoir trouvé là une nouvelle lutte avec de nouveaux opprimés…). A Paris, on trouve moult tamouls aux pieds de la Gare du Nord. Pourquoi là-bas ? La légende voudrait qu’ainsi, il leur serait plus facile de rejoindre l’Angleterre. S’il reste prudent, Thiru balaye cette thèse : « Car en 1979, il y avait déjà quelques magasins tamouls d’origine Pondichéry (ville tamoule du Sud de l’Inde). Des Tamouls sri lankais sont venus, ils ont commencé à ouvrir d’autres magasins et ainsi de suite. C’est aussi simple que ça ». Depuis, on y trouve aussi deux temples hindous – religion majoritaire de ces immigrés. « Les Tamouls forment une communauté un peu réservée. Ils ne parlent pas de leurs idées politiques » m’a prévenu Thiru.

Gâteaux de propagande

Sur certains murs néanmoins, on peut apercevoir Velupillai Pirapakaran, leader éternel à l’éternelle moustache, sur de discrètes affiches de soutien aux Tigres. Mais au restaurant, le non initié se contentera de déguster son biryani poulet sur fond de musique traditionnelle. Si la promenade estivale pour le badaud y est agréable, deux voleurs se font courser le long du Faubourg Saint-Denis…  « Le 26 novembre, jour de la naissance de Pirapakaran, dans le quartier on partage des gâteaux, confie Thiru. C’est ainsi que les Tamouls expriment leurs opinions politiques ».  Des gâteaux d’anniversaire politiquement engagés, c’est pour le moins original, mais cela vaut les âpres discutions politiques des déjeuners du dimanche un peu trop arrosés. Et à défaut de sempiternels débats ou d’un gâteau pour s’exprimer, pourquoi pas une petite danse ?

Une minorité qui commence à s’ouvrir

Les Tamouls seraient-il dans l’entre soi ? « Ils ne sont pas communautaires, se défend Thiru d’emblée. Dans la première génération, beaucoup ne parlent pas bien français. Et les Tamouls sont soudés familialement c’est vrai. Mais la deuxième génération est plus intégrée. C’est une minorité qui est en train de s’ouvrir. Ce n’est pas du communautarisme. Mais ils sont tellement traumatisés par la guerre qu’ils restent des fois entre eux. Moi je suis venu avant 1983, mais tous ceux qui sont venus après ont vu des morts. Dans la plupart des familles tamoules de France, il y a eu un mort au Sri Lanka ». De fait, si les mariages mixtes existent et ne sont pas mal perçus, la plupart des Tamouls se marient encore avec… des Tamouls.

Loyaux avec leurs patrons

« Beaucoup de restaurateurs français cherchent des Tamouls à embaucher », m’indique Thiru.  Pour baisser les salaires ?  « Pas forcément. Surtout parce qu’ils sont loyaux avec leurs patrons ». Cependant, ce n’est pas –et heureusement- le lot de tous les Tamouls de France. « Certains réussissent bien leurs études, deviennent médecins, ingénieurs etc ». A l’image d’Agii, jeune homme svelte de dix-sept ans qui nage dans un t-shirt « Snoop Doggy Dog ». Né en France et parfaitement bilingue français-tamoul, il veut devenir médecin ou chercheur en biologie. Une pleine intégration pour délaisser les traditions ? Non. Il se rendra à la fête du Dieu Ganesh à Paris le 27 août prochain car « c’est notre Dieu et c’est important pour moi ». Elhili en revanche, qui vient d’avoir avec son Bac avec mention et va faire des études de droit « pour être juriste ou avocate » ne s’y rendra pas : « mon pays c’est la France, c’est ici que j’ai grandi et c’est le pays dont je me sens la plus proche ». Elle ne sait pas encore si elle ira commémorer le « pogrom de Juillet Noir ». « Ça dépendra de ce que j’ai à faire ce jour-là », commente-t-elle avec distance, visiblement plus préoccupée par sa réussite sociale en France. Le Tamoul libre, ça pourrait être ça finalement. La République en marche…



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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