Famille: ce que dit le bon sens catholique


Famille: ce que dit le bon sens catholique

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Même dans l’Église catholique on respecte les trêves estivales. La question est alors de savoir qui la rompra, quand et pourquoi ! Nous avons la réponse. À quelques semaines de l’ouverture de la seconde phase du Synode romain sur la famille, on nous fait savoir que 500 000 signatures auraient été recueillis par la «filiale supplique» au pape François, lui enjoignant de ne «jamais dissocier la pratique pastorale de l’enseignement légué par Jésus-Christ et (ses) prédécesseurs…» Ailleurs nous est annoncée la parution prochaine d’un ouvrage collectif, signé de onze éminences, sur «Le mariage et la famille dans l’Église catholique». La littérature sur le sujet étant on ne peut plus abondante, on s’autorise à y voir une nouvelle tentative de pression exercée sur le pape François et les Pères du Synode pour ne rien toucher à la pastorale de l’Église catholique sur les sujets aussi brûlants que l’accueil aux sacrements des divorcés remariés ou la prise en compte de la conjugalité homosexuelle.

Et il y a fort à parier que cette pieuse mobilisation ira en s’amplifiant au cours des prochaines semaines, même si certains contre-feux sont attendus, ici ou là. Depuis des mois, quelques vaticanistes s’efforcent de lire dans le marc de café que constituent les listes des délégués au Synode, ce que pourrait être le rapport de force entre partisans et adversaires de «l’ouverture» pastorale souhaitée par le pape François. Et l’on ne sait trop s’il faut s‘apitoyer, se scandaliser, se gausser ou se désespérer d’entendre tant de belles âmes dire leur désarroi à l’idée que le pape puisse, à la faveur d’un Synode redouté, jeter la doctrine avec l’eau du bain. Est-il exagéré d’affirmer qu’une majorité du peuple croyant, qui a dit en temps et heure ses espérances, se range désormais au côté d’une majorité du corps épiscopal pour «faire confiance» à l’Esprit Saint et au pape François. Même si, ici et là, certains évêques commencent à exprimer, en privé, leur crainte que l’immobilisme ne finisse par l’emporter.

Qu’écrire sur le sujet qui n’ait déjà été martelé en tous sens ? Peut-être que le cœur du débat repose sur ce que la théologie catholique la plus classique appelle le sensus fidei, ce «bon sens de la foi» que possède tout baptisé, du fait même de son appartenance au Christ et de la présence, en lui, de l’Esprit Saint. Un bon sens de la foi qui, depuis longtemps déjà, conduit un nombre grandissant de fidèles, et parmi les plus pratiquants, à ne plus comprendre le lien existant entre l’Evangile et telle ou telle prescription du magistère. Pour prendre ce seul exemple, souvent évoqué à propos du Synode en cours, comment comprendre l’insistance du Christ sur le pardon et le refus obstiné de l’Église à admettre les divorcés remariés au sacrement du même nom ?

«Avertis par leur sensus fidei, les individus croyants peuvent aller jusqu’à refuser leur assentiment à un enseignement de leurs pasteurs légitimes s’ils ne reconnaissent pas dans cet enseignement la voix du Christ, le Bon Pasteur». Nous y sommes ! Or ce texte ne provient pas de quelque officine séditieuse dans l’Eglise mais de la très officielle Commission théologique internationale qui vient de consacrer au sensus fidei une étude tout à fait stimulante à défaut d’être toujours convaincante.  La publication de l’ouvrage tombe à propos comme le soulignent d’ailleurs ses auteurs, en introduction, lorsqu’ils écrivent que son objet est de «…trouver une réponse à certaines questions, en particulier celles qui ont trait à l’identification du sensus fidei authentique dans des situations de controverse, lorsque par exemple il existe des tensions entre l’enseignement du magistère et des points de vue qui prétendent exprimer le sensus fidei

Or, toute l’argumentation déployée par la Commission théologique internationale, conduit à vider l’idée de sa substance. Le texte prend soin de différencier le sensus fidei fidelis (le bon sens de la foi individuel à chaque baptisé) du sensus fidei fidelium (celui qui est commun à tous les baptisés, depuis les évêques jusqu’aux prêtres et aux simples laïcs) le seul, finalement authentique. Il insiste sur la nécessité de ne pas confondre sensus fidei et opinion publique dans l’Église, si légitime soit-elle. Et s’il admet, par principe, qu’un désaccord entre les fidèles et le magistère puisse aussi avoir pour origine une prise en compte insuffisante du sensus fidei des fidèles… c’est pour se dépêcher de préciser que : «le jugement concernant l’authenticité du sensus fidelium appartient, en dernière analyse, non aux fidèles eux-mêmes ni à la théologie, mais au magistère.» CQFD ?

On savait que l’Église n’est pas une démocratie mais c’est le sensus fidei lui-même qui conduit les baptisés, en ce début de millénaire, à s’interroger sur la légitimité – et le degré de fidélité à l’Évangile – d’une disposition contraire à toutes les pratiques des sociétés modernes et qui fait du magistère l’arbitre suprême des critiques formulées à son égard. Si le sensus fidei est légitimé à influer sur le magistère dans une perspective de «développement de la doctrine», comment articuler cette affirmation avec l’idée que «il appartient au magistère de nourrir et d’éduquer le sensus fidelium»… jusqu’à se confondre avec lui ? (4) Comment ne pas y voir une contradiction avec l’idée que : «La division entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas perd de sa pertinence lorsque l’Esprit Saint est donné à tous.» comme le souligne Mgr Eric de Moulins-Beaufort dans sa préface de l’ouvrage ?

Pardon pour cette longue digression mais ce questionnements est au cœur des débats sur le Synode romain. La Conférence Catholique des Baptisés Francophones l’a bien compris et organise un débat sur ce thème, au Centre Sèvres, le 26 septembre prochain avec deux intervenants de renom. Voilà des années que l’on nous oppose l’idée que les adaptations souhaitées par nombre de fidèles sur la contraception ou l’accueil aux sacrements des divorcés remariés, pour s’en tenir à ces deux points, ne reposeraient pas sur un sensus fidei authentique mais sur la simple expression d’une opinion publique catholique influencée par l’idéologie dominante… Alors même que ces demandes se retrouvent, en conclusion, dans la quasi totalité des synodes diocésains et sont appuyées par nombre d’évêques, cardinaux et théologiens ! Tous des irresponsables dévoyés par l’air du temps  ? On nous objectera qu’il existe également un autre sensus fidei, dont se réclament d’autres fidèles, évêques, cardinaux et théologiens et qui demande, lui, le maintien du statu quo.

Si la demande de changements formulée par certains fidèles venait uniquement, comme certains le prétendent, d’une mauvaise compréhension de la «vérité» enseignée par le magistère, comment expliquer alors que cette «vérité» ait pu varier, au cours des siècles, sur des questions aussi diverses que le prêt à intérêt, la question sociale ou la liberté religieuse ? Et si l’opinion des laïcs et des théologiens fut pertinente hier, pour justifier de telles évolutions, désormais validées par le magistère, pourquoi ne le serait-elle plus aujourd’hui à propos de la famille ?

Comment sortir de l’impasse ? S’agissant de la famille, j’observe qu’il existe un vrai consensus, dans l’Église catholique, sur la sacramentalité du mariage et son indissolubilité, sur l’altérité, la fécondité, la fidélité… Mais aussi des questionnements sur la manière de comprendre cet enseignement et de le traduire dans «l’agir chrétien» contemporain en tenant compte des réalités du monde, des découvertes de la science et des différentes cultures. Consensus et questionnements sont constitutifs du sensus fidei sur lequel veut s’appuyer le pape François. Dans son entretien de 2013 aux revues jésuites, il déclarait à ce propos : «L’ensemble des fidèles est infaillible dans le croire, et il manifeste son infaillibilitas in credendo à travers le sens surnaturel de la foi de tout le peuple en marche (…) Quand le dialogue entre les personnes, les évêques et le pape va dans cette direction et est loyal, alors il est assisté par l’Esprit Saint.» Est-ce manquer au devoir de «charité chrétienne» de constater que certains lui refusent aujourd’hui cette confiance et cette loyauté ?

J’ignore à ce jour, et veux ignorer, ce qui pourra sortir du Synode romain. Paradoxalement, l’ouvrage de la Commission théologique internationale nous fournit une issue possible à travers un texte d’accompagnement rédigé par le Frère dominicain Serge-Thomas Bonino, par ailleurs Secrétaire général de ladite commission. Revenant sur l’encyclique Humanae Vitae, il écrit : «La réception très difficile de l’encyclique Humanae Vitae (1968) par un grand nombre de catholiques est souvent interprétée comme le signe d’une «erreur» du Magistère que la réaction négative du sensus fidei du peuple chrétien aurait permis de mettre en évidence. Le Magistère postconciliaire a plusieurs fois mis en garde contre cet usage déplacé du sensus fidei

On retrouve là toute l’ambiguïté de cette réflexion théologique qui semble tourner en rond. Mais cette ambiguïté même cache une issue possible : qu’in fine, le pape François décide souverainement dans le sens de sa seule conscience – comme le fit en son temps le pape Paul VI contre l’avis de ses conseils. Une manière de voir le magistère Pontifical avoir le dernier mot, pour juger de l’authenticité du sensus fidei qui, depuis son élection, soutient ses désirs d’ouverture. Dans une totale conformité au propos de la Commission théologique internationale.

*Photo : wikicommons.



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